TRAVAILLEURS ÉTRANGERS | Une fidélité qui ne s’achète plus

Une entreprise en construction a perdu un travailleur étranger après 9 mois, alors qu'il devait demeurer au Saguenay-Lac-Saint-Jean pendant trois ans.

Ça coûte 7000 $, 10 000$ et parfois même 12 000$. Les entreprises investissent gros pour recruter un seul travailleur étranger temporaire. S’il devait demeurer fidèle au même employeur pour la durée du contrat, soit environ 2 ans, ce n’est plus le cas. Des entrepreneurs en région voient leur investissement partir en fumée, alors que des travailleurs étrangers temporaires cèdent à l’attrait des grandes villes.


«Notre employé a quitté après 9 mois, pour aller travailler dans une autre région du Québec, raconte une responsable des ressources humaines d'une entreprise de construction du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui souhaite conserver l’anonymat.

«On a investi dans cet employé, pour les permis, pour le logement. On devait l'avoir pour 3 ans, mais il a voulu se rapprocher des grands centres. On pensait être protégé de ça, mais en appelant une avocate spécialisée, on s'est fait dire qu'il n'y avait rien à faire...» 

Malgré la croyance populaire, les travailleurs étrangers temporaires peuvent maintenant changer d'emploi avant la fin du contrat qui leur a permis de venir au Québec. En pleine pandémie, le gouvernement fédéral a modifié les règles du jeu.

«Pendant la pandémie, de nombreux travailleurs temporaires titulaires d’un permis de travail lié à un employeur donné ont perdu leur emploi», explique la porte-parole à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Nancy Caron. Le 20 mai 2020, Ottawa a donc mis en place une «politique temporaire» afin de réduire le temps qu’il faut à un travailleur étranger pour débuter un nouvel emploi.

«Tant que cette politique est en place, un travailleur qui se trouve déjà au Canada et qui a obtenu une nouvelle offre d’emploi, généralement appuyée par un examen du marché du travail, peut obtenir l’autorisation de commencer son nouvel emploi, même si sa demande de permis de travail est en cours de traitement», précise Mme Caron

L’entreprise de construction du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui a perdu son travailleur et son investissement, est d’accord avec cet assouplissement, mais il s’explique mal que le changement d’emploi se fasse sans condition,

«C'est normal que le travailleur qui n'a pas d'emploi puisse changer d'employeur. Et c'est aussi normal s'il y a un problème de climat de travail; par exemple, un employé qui se fait harceler. Mais dans notre cas, il n'y a rien de tout ça. Il n'a jamais été sur l'assurance emploi et il n'a pas été mal traité. Il voulait quitter la région pour une autre. Et ce changement de règlement le permet maintenant», déplore la responsable des ressources humaines.

Les travailleurs étrangers temporaires peuvent maintenant changer d'emploi avant la fin du contrat qui leur a permis de venir au Québec.

La nouvelle norme ne prévoit pas de critère pour changer d'emploi. Le travailleur immigrant doit seulement obtenir un autre travail. Son nouvel employeur doit faire une demande de permis. Dès l'ouverture du dossier, avant même que la demande soit traitée, le travailleur étranger peut changer d’emploi.

«La fidélité du travailleur étranger justifiait l'investissement. Maintenant, on fait quoi? On ne peut pas continuer à mettre 10 000$ sur chaque travailleur étranger en sachant qu'il peut quitter après deux mois», craint un autre entrepreneur du Québec, qui attend des travailleurs étrangers temporaires d'ici quelques mois pour son entreprise du secteur industriel.

L'employeur qui reprend le travailleur étranger n'a pas à rembourser l'investissement initial qui a été nécessaire pour le faire venir au pays.

Que font Québec et Ottawa?

Cette modification n'est pas le seul défi des employeurs qui se butent à la pénurie de main-d'oeuvre. Plusieurs estiment que les gouvernements n'ont pas fait tout ce qu'ils pouvaient pour en minimiser les impacts, alors qu'il s'agit de l'enjeu numéro un des deux dernières campagnes électorales provinciales et fédérales.

«Est-ce que les gouvernements ont fait tout ce qu'ils peuvent? La réponse rapide est non», lance Charles Milliard, président directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

«Ça ne veut pas dire qu'ils ne font rien non plus, poursuit-il. Mais tout le monde fait des symposiums, des colloques. Ça serait le fun qu'on arrête de dire que ça sera long, cette pénurie, et dire qu'on pense qu'il est possible de s'en sortir plus rapidement.»

Charles Milliard est président directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

La main-d'oeuvre immigrante est l’une des planches de salut des entrepreneurs. Malgré la volonté des gouvernements d'accélérer les démarches, les travailleurs étrangers et leurs employeurs ont dû prendre leur mal en patience. La moyenne du délai de traitement d’un permis de travail ouvert transitoire est passée de 80 jours à 137 jours, au cours de la dernière année.

Le gouvernement provincial a quant à lui annoncé en grande pompe les Journées Québec, en avril dernier, pour permettre de combler 22 % des besoins de main-d'oeuvre par des personnes immigrantes. Ces missions à l’étranger, dont les frais sont en partie payés par les entreprises, existent depuis quelques années. En 2020-2021, le gouvernement  n’a ajouté qu’une «journée» de plus, faisant passer le nombre de missions de 16 à 17. Et même si Québec accepte des candidats, c’est Ottawa a le dernier mot.

Le dirigeant de la Fédération des chambres de commerce du Québec s’explique mal cette «garde partagée» entre Québec et Ottawa.

«On ne comprend pas, dit M. Milliard. Il y a des entreprises ontariennes qui vont, par exemple, à Gatineau ou en Abitibi, et qui disent aux travailleurs immigrants: “venez chez nous, vous allez l'avoir tout de suite votre permis de travail”. C'est une réalité inacceptable et tout ça à cause d'une chicane constitutionnelle.»

Selon lui, Québec devrait élaborer un plan plus détaillé de la capacité de recevoir des immigrants par région, en connaissant le nombre de places en garderie et de logements, par exemple, plutôt que de se donner un nombre maximal d'immigrants pour le Québec.