Le modèle québécois, 60 ans après

Il y a un consensus pour affirmer que le point de départ de la Révolution tranquille est la prise du pouvoir des Libéraux de Jean Lesage, le 22 juin 1960.

POINT DE VUE / Les débats sur l’existence même de la Révolution tranquille et d’un modèle québécois ont de quoi rendre perplexes les spécialistes de l’administration et des politiques publiques, en somme ceux qui étudient le Québec à partir du point de vue de l’État québécois. Étonnant puisqu’il y a un consensus pour affirmer que le point de départ de la Révolution tranquille est la prise du pouvoir des Libéraux de Jean Lesage, le 22 juin 1960.


Pourtant pour de très nombreux spécialistes, notamment en histoire sociale, la Révolution tranquille repose fondamentalement sur un mythe. Depuis les années 1980, l’école dite «moderniste», soutient que le Québec suit un rythme de développement normal, voire comparable à celui d’autres sociétés occidentales. Paul-André Linteau a même écrit que cette dernière a quelque chose de «l’interprétation de l’équipe gagnante». Le retard du Québec en 1960 n’existe plus.

Les travaux au sujet de la modernité, mais aussi du retard du Québec, posent de nombreux problèmes. L’idée très en vogue dans les années 1960-1970 selon laquelle la modernité est un idéal type vers lequel tendrait naturellement l’ensemble des sociétés occidentales, dont le Québec, est complètement discréditée de nos jours. 

Le Québec n’est pas une province comme les autres, il ne l’a jamais été. Il possède plutôt un modèle d’organisation différent, distinct de la norme libérale canadienne et est également largement unique au monde. Cette situation s’est même accrue depuis 1960. Ainsi plutôt que de se fondre dans la « modernité » occidentale, la différence québécoise s’est reconstruite et accentuée depuis 1960 et ce, malgré la mondialisation.

Le modèle québécois s’appuie notamment sur l’État du Québec, qui est plus important que ce qu’on trouve ailleurs au pays.  En 60 ans, le budget du gouvernement du Québec a même augmenté d’un spectaculaire 2700%! Il s’agit d’une augmentation considérable même si on tient compte de la croissance de la population. Cette dernière est passée, pendant la même période, de 5 300 000 à 8 500 000 personnes, une hausse bien moindre de 60%.

De nos jours, le taux de pression fiscale, c’est-à-dire la somme de toutes les recettes fiscales encaissées sur une année en pourcentage du PIB, représentait de 39% au Québec. Ce taux est bien plus élevé que celui de la moyenne canadienne sans le Québec (32%) et que celui de la moyenne des pays de l’OCDE (34%) ou des pays du G7 (36%). 

Conséquemment, les services publics et les dépenses sociales financés par le gouvernement du Québec sont également beaucoup plus importants qu’ailleurs au Canada. Le Québec dispose d’un système de garderies publiques subventionnées, de politiques familiales de type scandinave, d’un régime public d’assurance médicaments, et les droits de scolarité universitaires y sont les plus bas en Amérique du Nord. Tout un contraste avec l’État-providence canadien qui est un des moins bien doté des pays de l’OCDE. 

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le Québec réduit davantage les inégalités que la moyenne des pays de l’OCDE et que les pays du G7 et se compare même aux performances de la Suède. Quand même.

Mais l’État québécois n’explique pas tout. Le modèle québécois repose également sur un vaste réseau d’institutions, de groupes d’intérêts et d’organisations dont le point de référence est d’abord et avant tout le Québec. 

Le Québec a développé un modèle financier dans lequel les principaux acteurs ne viennent pas du secteur privé à but lucratif, mais de sociétés d’État (Caisse de dépôt et placement du Québec), d’un mouvement coopératif (Desjardins) et de fonds syndicaux fiscalisés (FTQ et CSN). Cela le distingue encore une fois du modèle libéral canadien mais également de cette idée d’une « modernité » internationale. 

Une différence fondamentale entre le Québec, le reste du Canada mais également la moyenne des pays de l’OCDE réside dans la forte présence syndicale sur son territoire. Depuis 1985, ce taux a diminué de près de la moitié dans les pays de l’OCDE passant de 30% en 1985 à 16% en 2018, un recul de 47%. Le Québec, avec un taux de 39%, ne suit pas la tendance et est bien au-dessus de la moyenne canadienne, malgré un léger recul depuis les années 1990.