Dans la foulée de la fermeture du Local Centre-ville, alors que des voisins de Lauberivière interpellent la Ville de Québec et le gouvernement du Québec pour que cessent les «nuisances publiques» qu'ils jugent liées à la présence accrue d'itinérants depuis le déménagement de l'établissement dans le quartier, Le Soleil souhaitait aller à la rencontre des principaux intéressés.
Durant les quelques heures passées à sillonner les rues, les ruelles et les quelques parcs du secteur, force est d'admettre que ces derniers étaient plutôt difficiles à trouver... sauf en périphérie de Lauberivière, où une trentaine de sans-abri plutôt discrets s'étaient installés. Effets de la forte présence policière constatée cette nuit-là? Ou des douze degrés Celsius qu'indiquait le thermomètre dans la nuit de samedi à dimanche?
«Fait frette, ost...!» lance Hurley en sortant de sous la bâche blanche. «Regarde-moi, tu vas avoir chaud!» lui répond Céleri, un carton de lait au chocolat dans la main.
Hurley et Céleri, deux surnoms qu’ils se sont donnés pour protéger leur identité, forment un couple atypique qui vit dans la rue.
«On arrive sur nos cinq mois ensemble. Pour les gens qui disent que c’est court, il s’en passe en crisse, des affaires, en cinq mois», confie Céleri, jeune trentenaire.
Pour un couple formé par la rue, façonné par les épreuves, forgé par les intempéries et la fatigue, cinq mois représentent une éternité. «Surtout que j’suis enceinte», confie celui qui est une femme pour son homme, mais un homme pour tous les autres. En fait, Céleri est non-binaire. «J’suis comme un hippocampe», s’amuse-t-il avant de prendre une gorgée de lait au chocolat.
Au même moment, une des quatre personnes assoupies dans son sac de couchage en sort et allume une bougie qu’elle dépose avec prudence sur le bord de la vitrine du YMCA.
Première grossesse
«Quand je l’ai connue, c’était un chum de gars pour moi, précise Hurley, les yeux plantés droits dans ceux de Céleri qui le prend par la taille. Elle a décidé d’être elle pour moi, pis il pour le reste du monde.»
Première grossesse? «Elle, oui», dit le colosse de 6 pieds 9 pouces, un ex-déménageur qui a aussi oeuvré comme agent de sécurité. Il s’agit de la sixième fois qu’il met une femme enceinte. «Mais c’est le premier bébé qui va naître, souhaite Céleri. Si la vie le permet.»
Même s’il vit dans la rue, un rendez-vous de suivi avec un gynécologue était prévu dans la semaine. Céleri avoue que ça le stresse «un peu».
Ayant abandonné sa consommation de speed trois semaines auparavant, Hurley confie être à sa cinquième journée sans cocaïne. «Il me reste juste mon petit pot de temps en temps», admet-il, sourire en coin.
Malgré les épreuves, le jeune homme a la ferme intention de se trouver du travail prochainement. «J’m’en vais en appartement à la fin du mois», ajoute-t-il, fier comme un paon. On croirait voir Hurley grandir encore plus sous nos yeux.
Un de ses colocs de rue allume une deuxième bougie près de la première.
Trop débrouillard?
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L’ancien scout et ex-cadet peut compter «sur les doigts d’une main» le nombre de nuits passé à l’intérieur depuis février. «J’suis assez débrouillard.»
Trop débrouillard? Selon lui, il s’agit d’un des motifs que brandissent certains refuges pour lui refuser l’accès. «Ils me laissent à moi-même.» Hurley fait aussi référence à la fois où il a omis de porter le masque dans la cafétéria de Lauberivière. C’était il y a quatre mois.
Le coup de grâce aurait été asséné lorsque le gaillard était assis, recouvert d’un sac de couchage sous une pluie battante, dans les marches extérieures de l’établissement à surveiller le vélo d’un camarade de rue. Une intervenante lui aurait alors demandé de quitter les lieux en apportant son matériel avec lui, sans quoi il se verrait privé d’accès aux services. Atteint de problèmes de dos, impossible pour lui de tout déplacer, affirme-t-il. Surtout pas une bicyclette. Il a donc refusé. «Je suis barré depuis».
Une troisième et dernière bougie est allumée.
Céleri regarde les trois flammes et leurs reflets qui dansent au gré du vent : «Ça fait un peu d’espoir, même si y en n’a pas.»
En collaboration avec Caroline Grégoire.