Les employeurs n’auront plus d’excuses

La jeune brigade de L’îlot Repère gourmand à l’ouvrage à l’hôtel Entourage-sur-le-Lac de Lac-Beauport.

À la fin d’une «offensive de sensibilisation» annoncée jeudi, les employeurs n’auront plus d’excuses, croit le ministre du Travail, Jean Boulet. Et les sanctions viendront vite si les patrons négligent de placer la sécurité des jeunes travailleurs parmi leurs priorités.


En entrevue au Soleil, le ministre a insisté sur ce point : les employeurs doivent respecter leurs obligations inscrites dans les lois du travail.

Dans les prochaines semaines, des agents de prévention visiteront des commerces dans les secteurs d’activité où les employés en bas âge travaillent massivement : hébergement, restauration, tourisme, commerce de détail. On rappellera aux employeurs l’importance d’obtenir le consentement écrit des parents pour les moins de 14 ans et d’assurer un environnement sécuritaire pour les apprentis travailleurs.

Les très jeunes au travail semblent plus nombreux qu’avant, constate lui-même M. Boulet, mais ce n’est pas sa principale motivation pour effectuer ce «nouveau tour de roue» préventif, qui s’ajoute aux actions déjà en mises en place par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dans sa Stratégie jeunesse 2020-2023.

Dans la foulée, il insiste sur les amendes possibles. De 600 à 1200 $ si on embauche un jeune de moins de 14 ans sans le consentement de ses parents, et de 1200 $ à 6000 $ en cas de récidive; de 1818 $ à 3632 $ si un environnement est jugé non sécuritaire, une deuxième récidive pouvant coûter jusqu’à 14 428 $.

«Je veux que ce soit considéré comme une circonstance aggravante si tu ne respectes pas ça», prend soin de répéter M. Boulet.

Les plus récentes données sur les lésions professionnelles chez les moins de 16 ans en disent long. De 79 en 2017, ce chiffre est passé à 203 l’an dernier, selon des chiffres fournis par le ministère du Travail. Les semaines suivant l’embauche étant propices aux blessures en raison de la nouveauté dans les apprentissages, les débutants sont particulièrement à risque, souligne le Ministère.

Pour éviter que la situation empire, le ministre Boulet demande même l’aide de la population, appelée à dénoncer une situation problématique en contactant la CNESST. «Elle va dépêcher des enquêteurs. Et s’il y a des violations, on fera enquête et des constats d’infraction seront émis si c’est justifié.»

Combien de très jeunes?

Difficile d’avoir une idée du nombre de jeunes travailleurs de 14 ans et moins au Québec. Ces chiffres n’existent pas. Le ministère du Travail nous renvoie aux données de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec. La première catégorie d’âge de ces recensements : 15 à 19 ans.

Ces données indiquent que 216 800 de ces jeunes ont occupé un emploi au Québec en 2021, une hausse par rapport à 2020, mais un chiffre comparable à 2019. Dans le contexte du rajeunissement de la main-d’œuvre, ces données demeurent toutefois incomplètes.

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale — le nom complet de son principal poste — reconnaît que l’arrivée massive de très jeunes travailleurs «n’est pas particulièrement une bonne nouvelle». Certes, les employeurs qui y trouvent du personnel motivé poussent un soupir de soulagement en pleine pénurie de main-d’œuvre. Mais cette nouvelle tendance vient avec son lot d’inquiétudes. La sécurité, oui, mais une autre mérite notre attention.

Jean Boulet, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Décrochage scolaire

«Ça soulève beaucoup de drapeaux jaunes», lance Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec.

Mme Poirier insiste sur le décrochage scolaire. À l’automne, que feront ces jeunes qui gagneront des sommes inespérées cet été?

Dans le contexte de pénurie, les salaires deviennent plus intéressants à cause de la pression du marché. «Ces salaires-là ne sont parfois plus au salaire minimum, explique Mme Poirier. Ils sont à 15, 18, 20, 22 $ de l’heure. Quand tu n’as pas une grande passion pour l’école, ça devient intéressant de travailler, de se dire : “des emplois, il y en a plein pour moi”».

La pénurie ne doit pas servir de prétexte pour relâcher les efforts pour mousser la persévérance scolaire, soutient Jean Boulet. Les chiffres sont à la baisse au Québec depuis plus de 20 ans, mais il y avait encore 13,5 % de décrocheurs en 2019-2020. Un chiffre qui monte à 16,4 % chez les garçons.

La prochaine rentrée pourrait être révélatrice. «C’est certain qu’on va être extrêmement attentifs et vigilants quand ce sera le temps du retour en classe, promet le ministre. Je ne veux certainement pas que le travail contribue au décrochage scolaire.»

Les règles

Interdit pour un employeur de compromettre l’éducation d’un jeune, souligne la CNESST sur son site Web. Un travailleur de moins de 16 ans sans diplôme de secondaire 5 n’a pas le droit de bosser pendant les heures d’école. Règle générale, il lui est aussi interdit de travailler entre 23h et 6h. Les patrons ne peuvent demander à une personne d’âge mineur d’exécuter un travail qui dépasse ses capacités.

Pour Manon Poirier, toutefois, le cadre législatif aurait intérêt à être resserré. En particulier avec l’arrivée d’autant de très jeunes travailleurs dans un contexte de pénurie. Devrait-il y avoir un âge minimal pour le travail? Un nombre maximal d’heures de travail par semaine selon l’âge? Des questions auxquelles on doit répondre rapidement, croit-elle.

En ce moment, illustre Mme Poirier, un employeur qui a le choix entre fermer son commerce pour la journée ou appeler des employés de 14 ans qui ont déjà de longues semaines dans le corps se trouve aux prises avec une lutte de valeurs contradictoires.

«Légiférer n’est pas toujours la meilleure approche, mais je crois qu’un cadre légal viendrait permettre de s’assurer que tout le monde ait le même guide, que le combat de valeurs ne repose pas sur le propriétaire, que la décision [de travailler ou non] ne repose pas sur la bonne volonté du jeune», affirme-t-elle.

Là-dessus, le ministre n’ose pas trop s’avancer, mais on comprend que la situation est à l’étude. «Je ne suis pas en mesure de m’exprimer là-dessus. C’est pour ça que je veux faire des consultations approfondies et m’inspirer des meilleures pratiques à l’échelle internationale en matière d’encadrement du travail des enfants», dit-il.