Les Maisons Oxygène... à bout de souffle

Il y a 22 Maisons Oxygène au Québec. Ci-dessus, une Maison Oxygène à L'Assomption.

Les 22 Maisons Oxygène de la province, qui offrent soutien et hébergement aux pères en difficulté et à leurs enfants, sont à bout de souffle, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. Au point de demander au gouvernement une aide d’urgence d’un peu plus de 5 millions $ afin d’éviter des ruptures de services, voire des fermetures.


Pas moins d’un père sur sept serait en situation de détresse psychologique élevé au Québec, selon un sondage dévoilé la semaine dernière dans le cadre de la Semaine québécoise de la paternité. «Ça, c’est 130 000 papas qui, présentement, ne vont pas bien», calcule en entrevue Patrick Desbiens, président du Réseau des Maisons Oxygène du Québec et codirecteur de la Maison Oxygène Gens du Nord, située à Baie-Comeau. 

«Nous [le réseau des Maisons Oxygène], dans les deux dernières années, on a rejoint 10 000 pères, mais 10 000 sur 130 000, c’est juste la pointe de l’iceberg», s’alarme M. Desbiens, qui rappelle que les hommes n’ont pas naturellement le réflexe d’aller chercher de l’aide. D’où la campagne de sensibilisation menée la semaine dernière, qui avait pour but de «valoriser la demande d’aide». «On a donné une cinquantaine d’entrevues, et le téléphone sonne beaucoup depuis», rapporte Patrick Desbiens. 

Déjà, l’an dernier, le réseau des Maisons Oxygène avait noté une hausse considérable des demandes d’aide de la part de pères en détresse. «Ça avait doublé par rapport à l’année précédente. On voyait aussi que les pères accumulaient davantage de facteurs de vulnérabilité. […] La majorité des papas qui nous arrivaient en Maison Oxygène avaient vécu une rupture amoureuse dans l’année précédente, et c’était habituellement une séparation qu’ils n’avaient pas choisie», mentionne Patrick Desbiens, ajoutant que la pandémie avait «ajouté une couche» à la situation déjà difficile que ces pères vivaient.

Patrick Desbiens, président du Réseau des Maisons Oxygène du Québec

Devant cette hausse des demandes et l’ampleur de la détresse des pères, dont les besoins nécessitent davantage de soutien, le réseau des Maisons Oxygène s’est adressé il y a un an au bureau du ministre Lionel Carmant pour demander un fonds d'aide. Il n'a pas eu de réponse.

Puis, des «drapeaux jaunes» ont commencé à lever. En Estrie, la Maison Oxygène a dû composer avec une rupture de services et une «quasi-fermeture» après le départ d’à peu près tous les membres de l’équipe, partis travailler dans le réseau de la santé, raconte Patrick Desbiens.

C’est dans ce contexte qu’une inscription au registre des lobbyistes du Québec a été faite il y a quelques semaines. Le réseau souhaite obtenir du gouvernement une subvention d’urgence de 5,1 millions $ pour permettre aux Maisons Oxygène «de poursuivre leur mission et d’éviter de fermer dans les prochaines semaines/mois», peut-on lire.

Ce montant permettrait plus particulièrement d’ajouter du renfort dans chacune des maisons Oxygène au Québec et de «basculer partout en 24/7», c’est-à-dire d’y assurer une présence la nuit comme le jour, explique Patrick Desbiens. 

Car les papas débarquent dans ces ressources portées par des organismes communautaires autonomes «avec de plus grosses problématiques, des cumuls de facteurs de vulnérabilité», insiste le président du réseau des Maisons Oxygène. «Un père sur sept qui vit une détresse psychologique élevée, pour nous, c’est 83 % des papas qu’on a dans les Maisons qui ont des pensées anxiogènes ou des idéations suicidaires», souligne M. Desbiens, qui rappelle qu’une crise de panique ou d’anxiété, «ça arrive souvent le soir, la nuit». 

Selon Patrick Desbiens, les 22 Maisons Oxygène de la province, qui sont déployées dans 12 régions, «sont toutes en situation de précarité actuellement». «Elles sont essoufflées, sous respirateur artificiel… Pour la plupart, si une ou deux personne(s) tombai(en)t en congé maladie, ça mènerait à une rupture de services qui pourrait éventuellement mener à une fermeture», se désole M. Desbiens.

Le président du réseau des Maisons Oxygène souligne que les bonnes pratiques en matière de santé et de bien-être des hommes recommandent de regrouper les services sous un même toit. «Chez nous, je peux référer le papa à une criminologue ou à une travailleuse sociale qui peut faire de la médiation familiale, par exemple. [...] Mais si on perd notre travailleuse sociale, on tombe en situation de rupture de services, et ça a automatiquement des impacts sur l’ensemble des services», expose Patrick Desbiens.

«L’exemple de l’Estrie pourrait arriver à Québec comme il pourrait arriver à Baie-Comeau ou à Montréal. Une ou deux personne(s) qui part(ent), c’est une rupture de services et le risque de ne plus pouvoir accueillir de papas», s’inquiète M. Desbiens, qui souligne qu’en Outaouais, la Maison Oxygène ne peut actuellement accueillir qu’un père à la fois avec ses enfants, «alors qu’elle pourrait aller jusqu’à trois». 

Patrick Desbiens se veut toutefois rassurant : toutes les Maisons Oxygène sont ouvertes actuellement, «et tous les papas qui ont besoin d’aide ne doivent surtout pas hésiter à nous en demander». «Un père qui souhaite maintenir le lien avec ses enfants après une rupture amoureuse, c’est le coeur de notre mission», rappelle-t-il.

Les Maisons Oxygène, en bref

  • La première Maison Oxygène est née à Montréal en 1989.
  • On en trouve maintenant 22 dans 12 régions du Québec.
  • Leur mission est d’offrir aux pères et à leurs enfants du soutien et un endroit où poser leurs bagages. Elles offrent aussi des services externes pour les pères n’ayant pas besoin d’hébergement.
  • 10 000 pères et enfants ont trouvé un toit ou de l’accompagnement dans l’une ou l’autre des Maisons Oxygène depuis 2020.
  • Ces maisons ont offert près de 60 000 nuitées pères-enfants en 2021-2022.
  • Séjour moyen des familles : cinq mois.
  • Portrait des pères aidés : 84 % vivent de la détresse psychologique, 75 % vivent de l’itinérance cachée, 60 % vivent de l’isolement social, 24 % sont issus de l’immigration.
  • 52 placements d’enfants ont été évités grâce au travail des Maisons Oxygène en 2021-2022.