Chronique|

Tout le monde aux abris!

Mettre des affiches de maisons à vendre sur un poteau est une chose, vendre au prix qui convient au vendeur et à l’acheteur en est une autre...

CHRONIQUE / Les bourses plantent, les banquiers s’impatientent. Les entreprises tremblent et les investisseurs appréhendent... le pire. Tout le monde aux abris tandis qu’il est encore temps!


Nous venons de connaître une semaine complètement folle. Il serait plus juste de parler d’une semaine angoissante.

Aux États-Unis, la Réserve fédérale, la Fed, nous a asséné un véritable coup de marteau en décrétant la plus importante hausse de son taux directeur en 30 ans, avec une majoration de trois quarts de points de pourcentage.



Ce faisant, elle a envoyé un signal à ceux et celles qui persistent à croire que l’économie américaine est encore sur ses rails, et qu’il ne faut pas se préoccuper outre mesure de la poussée de l’inflation, qui frôle maintenant les 9 %.

On s’attend à ce que la Banque du Canada, notre banque centrale, imite nos voisins de l’autre côté de la frontière et relève son taux directeur de façon significative vers la mi-juillet. Parce que chez nous aussi l’inflation galope à vive allure, à près de 7 %.

Des intérêts...

Pendant ce temps, les taux d’intérêt montent, montent et montent encore, après avoir été bas, très, très bas. Ils ont été tellement peu élevés que nous avons dépensé sans compter au cours des dernières années, convaincus que nous étions que ça se passait comme ça dans la vraie vie.

On avait oublié que les banques ne sont pas des succursales de Centraide et autres organismes de charité. Elles nous ont prêté au-delà de la limite acceptable sachant pertinemment qu’un jour ou l’autre, ces contrats d’emprunts imprimés en petits caractères allaient leur permettre de toucher des intérêts, beaucoup d’intérêts, avec la remontée des taux… hypothécaires.



Puisqu’il était facile d’emprunter, les maisons se sont vendues à gros prix, en mode surenchère, tant dans la grande région de Montréal que dans les marchés périphériques. Aucune région n’a été épargnée, de la Mauricie à l’Estrie, en passant par le Saguenay-Lac Saint-Jean, Québec, Gatineau et la Montérégie. Personne n’a échappé à cette folie immobilière.

Résultat net: les vendeurs ont empoché de juteux profits, les courtiers immobiliers à commission ont considérablement amélioré leur sort, tandis que les acheteurs, surtout les premiers, les jeunes couples, se sont saignés pour accéder à la propriété.

On faisait la file pour visiter les maisons à vendre, on se faisait dire qu’on avait droit à quinze minutes, max, avant de laisser la place au suivant, et au plus offrant. Des courtiers, une minorité, mais quand même, ont étiré l’élastique en organisant des belles visites, à heures fixes.

C’était il y a quelques semaines à peine. Mais là, tout a changé. Pour reprendre une déclaration d’un courtier immobilier appelé à commenter le ralentissement du marché: «C’est la fin de la fête, la musique vient d’arrêter».

Il faut désormais faire face à la musique et admettre que le marché immobilier a été siphonné à l’os. C’est un peu ce que doivent se dire, au moment où vous lisez cette chronique d’humeur, ces acheteurs qui ont payé 100 000 et même 150 000 dollars de plus que le prix acceptable pour ce bungalow tout ce qu’il y a de plus ordinaire, avec une piscine hors terre et un terrain clôturé pour ne pas avoir à dire bonjour tous les jours à son voisin qui fait cuire son hamburger steak sur son barbecue.

Il y a quelques jours, on nous apprenait que «près d’un propriétaire sur quatre» pourrait devoir vendre sa maison si les taux hypothécaires continuent d’augmenter, cette prévision alarmante – alarmiste? – étant la résultante d’un sondage commandé par la Banque Manuvie du Canada.



On peut faire dire bien des choses aux sondages, on peut les interpréter chacun à sa manière, mais avouons que dans le cas présent, la réalité financière de bon nombre de propriétaires hypothéqués a de quoi faire réfléchir.

Des projets sur pause

Et qu’en est-il des jeunes couples qui ne sont pas encore passés à la banque pour contracter un prêt hypothécaire?

«Beaucoup de nos clients ont mis leur projet [d’acquisition] sur pause», constate Nathalie Lapointe, courtière hypothécaire et gestionnaire chez Multi Prêts, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Ces clients potentiels ont renoncé à la propriété pour diverses raisons, la plus importante étant l’incapacité de faire accepter leur offre d’achat au terme d’une année à cogner à toutes les portes de maisons à vendre.

Il y a aussi la menace d’une récession et le risque réel d’une correction du marché qui pourrait faire chuter le prix des maisons de 15 %, selon Desjardins.

«Quand les taux hypothécaires étaient bas, nos clients n’avaient aucune difficulté à se qualifier en vue d’une acquisition, relève la courtière. Les choses allaient vite et bien. Ce n’est pas le cas maintenant. On annule beaucoup de dossiers à la demande de nos clients, qui ne veulent plus ou qui ne peuvent plus acheter.»

Il y a un an, à l’été 2021, le taux fixe sur 5 ans était de 1,74 %.

Pas plus tard qu’hier, il se situait à… 5,09 %.



Et pour passer le test d’emprunt avec la banque, il faut ajouter un autre 2 % dans le scénario de simulation, ce qui se traduit par un taux de 7,09 %. Il faut donc avoir les reins solides pour obtenir les clés d’une propriété.

Nul besoin d’avoir en main sa calculette pour réaliser que l’achat d’une unifamiliale, d’un condo ou d’un plex est désormais hors de portée pour bien des acheteurs.

Dans ces conditions, l’immobilier est proche de l’immobilisme.