Suzanne Paquette: marier les fils, arrimer les mondes

Suzanne Paquette devant <em>Pulsion</em>, au Centre d’exposition Louise-Carrier

Pour Suzanne Paquette, le seuil d’une maison est une frontière aussi importante que celle qui délimite un pays. Dans ses tapisseries haute lisse, les portes deviennent les symboles qui séparent le social de l’intime, mais aussi des souvenirs de voyage, qu’elle fragmente à dessein.


L’artiste présente une rare exposition solo à la Galerie Louise-Carrier, à Lévis. Il faut dire qu’au rythme d’une grande œuvre par an, son médium de prédilection demande patience et longueur de temps.

Les visiteurs sont d’autant plus privilégiés de voir rassemblées autant de pièces, qui ont été réalisées ces 25 dernières années.



Dans le corridor central, on découvre une série de miniatures aux pourtours échevelés. «Dans les musées, les textiles sont souvent des artefacts, des morceaux de quelque chose. Alors je me suis dit que c’était des fragments de mes souvenirs», indique Suzanne Paquette.

La miniature <em>Bonjour</em>

Émouvants, les tissages de la taille d’un polaroïd portent des noms comme Kasbah, La Boca ou Ourika.

«Je suis myope, donc j’appréhende le monde en détail plutôt qu’en plans larges», souligne l’artiste, qui magnifie ce qui accroche son œil.

La miniature <em>Par-delà</em>

L’avant et l’après-Maroc

À droite de l’entrée sont présentées les pièces qui «précèdent le Maroc», où l’artiste et pédagogue s’est rendue chaque année de 2006 à 2019. Engagée comme conseillère par le ministère de l’Artisanat, elle a développé des programmes de formation. Ce rôle lui a permis de se rendre dans toutes les régions du pays pour rencontrer des lissiers berbères.



Vue d’une partie de l’exposition. À l’avant-plan, <em>Bord de l’île</em>, un tapis kilim

Un vaste tapis kilim, posé sur un socle à quelques décimètres du sol, évoque une plage des Îles-de-la-Madeleine : il y du sable, des vagues mousseuses et des sédiments qui créent un pan de dentelle verte.

Plus solide que les tapisseries murales et fait d’une laine résistant à l’abrasion, le tapis est à appréhender de n’importe quel côté, en plongée, comme si on y posait les pieds.

Sur le mur du fond, un motif texturé rappelant les effusions de couleurs qui caractérisent les couchers de soleil d’été est partiellement drapé dans un tissu foncé.

«Il y a eu une période où je mettais en scène le textile par le textile, souligne l’artiste. Le rôle paradoxal du tissu est de cacher, de préserver l’intimité, et en même temps de mettre en valeur la personne qui le porte ou encore l’objet ou la fenêtre qu’il enveloppe.»

Dans la section de la galerie à gauche de l’entrée se trouvent des œuvres marquées par ses allers-retours entre le Maroc et le Québec. On y voit l’influence des couleurs, plus chaudes, et des thématiques.

«Là-bas, tout mon questionnement par rapport au privé et au public a été exacerbé, explique Suzanne Paquette. J’ai réalisé qu’on ne voit ni les maisons ni les jardins. Tout est emmuré, donc la porte devient un élément important, elle est apparue dans toutes mes compositions comme un seuil à franchir.»



Dans l’œuvre Cordes sensibles, un ovale pointu, symbole féminin, est attaché à la porte. Une corde à linge se déploie sur une ligne rouge, bien visible, qui rappelle que les libertés chèrement acquises sont malheureusement toujours menacées.

<em>Cordes sensibles</em>

Variations sur un regard montre une fenêtre voilée par un effet de transparence. «Notre culture est un filtre qui teinte notre compréhension de l’autre», indique l’artiste, pour qui la compréhension d’une terre d’accueil se révèle à qui sait attendre.

Dans Retour, l’image d’une petite maison de Rivière-du-Loup est tissée selon les techniques des femmes berbères, arrimant un foyer québécois à un savoir ancestral de l’Afrique du Nord.

Textures sensibles

«Ce que j’aime de la tapisserie est que vue de très près, on découvre tout un univers de grains et de pixels alors que de loin, c’est pictural», expose Suzanne Paquette.

À travers les hautes lisses, on trouve des cartons (des images qui guident la création de l’œuvre textile sur le métier) et un diptyque fait de fils et de béton, sur lequel une patine au fusain rappelle la texture de la pierre.

Le triptyque <em>Latence</em>, des tapisseries sur béton laminé, avec patine au fusain

Suzanne Paquette excelle à faire de chaque surface un monde en soi, complexe, rempli de nuances et de teintes différentes.

«Créer une couleur en peinture, c’est très difficile pour moi. Mais mettez-moi devant des balles de laine et je vais mêler cinq ou six fils pour obtenir exactement la couleur que je veux. La synthèse optique, c’est vraiment mon mode chromatique.»

Un estampe numérique, qui a servi d’image de référence pour la création d’une tapisserie haute lisse

L’exposition est présentée jusqu’au 22 juin au 33, rue Wolfe à Lévis. L’artiste sera présente le dimanche 19 juin, entre 14h et 16h.