Chronique|

Salami en beau fusil

Dernièrement, cette phrase que j’ai lue m’a fait douter, plus précisément « ça l’a » : « Ça l’a en quelque sorte libéré… » Cela s’écrit ainsi? [Charlotte Roger, Québec]; Depuis plusieurs années, j’observe, de la part de personnalités publiques mais aussi de la population en général, de fausses liaisons avec le pronom « ça » suivi d’un verbe commençant par une voyelle. Par exemple : « Ça l’aide, ça l’arrive, ça l’ajoute, etc. » Je crois qu’il y a des situations où la liaison est justifiée, mais un éclairage à ce sujet serait grandement apprécié, non seulement au profit de tous, mais également pour apaiser ma « dissonance auditive » [Wilson Bernier, Lévis].


Vos questions me rappellent qu’en langue française comme en toute chose, les règles absolues ne sont pas si nombreuses. Il en est de même pour les «ça l’a». Le plus souvent, ce sont de grossières erreurs de liaison. Il ne faut pas avoir peur de l’hiatus et ne pas hésiter à dire « ça a », voire « ç’a » dans la langue familière.

«Ça a mal été hier au travail [et non "ça l’a"].»

«Ça a fait un vacarme épouvantable [et non "ça l’a fait"].»

«Ça a donné quelque chose de très intéressant [et non "ça l’a donné"].»

«Il est parti seulement après que ça a marché [et non "ça l’a marché"].»

Cette erreur se produit également à des temps composés autres que le passé composé. Il n’aurait donc pas été plus acceptable d’écrire, dans les phrases ci-dessus : «Ça l’avait mal été au travail [plus-que-parfait], ça l’aurait fait un vacarme épouvantable [conditionnel passé], ça l’aura donné quelque chose de très intéressant [futur antérieur], il est parti avant que ça l’ait marché [subjonctif passé].»

Temps simple, temps composé

Mais comme vous le mentionnez, il peut arriver que ce  « l » apostrophe soit parfaitement justifié. Celui-ci représente alors les pronoms personnels «le» ou «la» remplaçant un complément d’objet direct. 

Prenons la phrase en question et imaginons un contexte et un complément, lequel serait un homme prénommé Pierre.

«La condamnation de l’agresseur a complètement transformé Pierre. Ça l’a en quelque sorte libéré.»

«Ça» a libéré qui? Le « l » apostrophe, pronom mis pour « Pierre », complément d’objet direct. 

On peut s’en convaincre en faisant passer la phrase au présent de l’indicatif, ce qui aurait donné : «La condamnation de l’agresseur transforme Pierre. Ça le libère.»

C’est d’ailleurs un truc à essayer en cas d’hésitation : remplacez le temps composé par un temps simple. 

Par exemple, si vous faisiez passer la phrase « ça l’a mal été » au présent de l’indicatif, diriez-vous « c’est mal » ou « ça l’est mal »? « Ça fait un vacarme » ou « ça le fait un vacarme »? « Ça donne quelque chose » ou « ça le donne quelque chose »? Si c’est la première phrase qui apparaît la plus sensée, votre « l » apostrophe est totalement superflu au passé composé.

Le virus du l apostrophe

Maintenant, il est vrai, comme l’évoque M. Bernier, que ce virus du « l » apostrophe affecte aussi les temps simples quand le verbe débute par une voyelle. On peut essayer d’y voir plus clair en remplaçant le verbe par un autre commençant par une consonne.

«Vous pouvez mettre de l’engrais, ça l’aide votre plante.» 

Échangeons « aider » pour « fortifier » pour voir... Diriez-vous « ça la fortifie votre plante »? Manifestement pas. Pourquoi? Parce que le complément d’objet direct (« plante ») est déjà placé après. Ça aide quoi? Votre plante. Il est donc totalement injustifié d’insérer un « l » apostrophe jouant le même rôle. Si vous l’enlevez, votre phrase se tiendra quand même.

« Vous pouvez mettre de l’engrais, ça aide votre plante. » 

Pléonasme d’insistance

Mais j’entends une légère protestation : «Ça m’arrive de dire que ça l’aide, ma plante, que ça l’énerve, ma mère, que ça l’use, ma voiture, que ça l’intéresse, mon ami. La phrase me semble correcte, même si le complément d’objet direct est là deux fois. Où est le problème?»

Attention! On entre ici sur le terrain de la figure de style, plus précisément du pléonasme pour marquer l’insistance. Le complément d’objet direct est effectivement présent deux fois, d’abord sous la forme de pronom (« l » apostrophe), puis il est textuellement exprimé en fin de phrase. Mais cette tournure est une façon d’insister, dans la langue familière. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ajoute une virgule : pour souligner cette insistance. Car normalement, on ne met jamais de virgule entre un verbe et le complément qui le suit immédiatement. Voici d’autres exemples.

«Tu la trouves dangereuse au volant, mais contrairement à toi, elle l’a vu, le feu rouge [le « l » apostrophe et "feu" sont le même complément d’objet direct].»

«Contrairement à toi, je m’y fie, aux consignes sanitaires ["y" et "consignes" sont le même complément d’objet indirect].»

Perles de la semaine

Je suis retourné faire un tour dans une épicerie asiatique...

« Fried onion paste [pâte d’oignons frits] »

Pâte échalote fritte

« Potato hand made leek leaf powder »

Poudre de feuille de poireau faite à la main de pomme de terre

« Instant japanese style noodles »

Nouilles japonaises de style instantanées

« Quail eggs in water »

Œufs de caille à l’eau

« Garlic and basil paste [pâte d’ail et basilic] »

Pâte d’ail et basil


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Steve.Bergeron@latribune.qc.ca