Pour un Conseil des Universitaires Indépendants

DES UNIVERSITAIRES / Les intérêts privés représentent une menace grandissante pour les démocraties partout à travers le monde, en particulier en Occident, où leur influence sur les gouvernements se remarque par la prise de décisions politiques de plus en plus douteuses. Et si l’établissement d’un Conseil des Universitaires Indépendants (CUI; prononcer «QI») nous permettait de corriger cette trajectoire plutôt inquiétante?


Problématique

L’expertise et les connaissances sont sous le joug grandissant des intérêts privés qui influencent les décisions de nos gouvernements relatives au bien commun et au bien-être et à la santé de la population. Hausse des taux de glyphosate sur les aliments, hausse des niveaux acceptables de nickel dans l’air, agitation du spectre d’un troisième lien à Québec, inaction contre l’urgence climatique : les décisions politiques douteuses — où la science est bafouée, le principe de précaution écarté et la vision à long terme absente — se succèdent à un rythme de plus en plus effréné.

La raison qui sous-tend ces décisions est simple : la puissance, la proximité et l’omniprésence de lobbyistes défendant les intérêts du secteur privé autour des élus. Ces lobbyistes bénéficient d’un accès privilégié et d’une écoute attentive de la part des personnes élues censées d’abord nous représenter et défendre nos intérêts. Ce jeu d’influences produit un biais de représentation en faveur des intérêts privés qui compromet la démocratie.

Que les lobbies soient pétroliers/gaziers, agroalimentaires ou pharmaceutiques, ils défendent des corporations dont les intérêts sont principalement financiers et ne vont pas nécessairement de pair avec les intérêts de la population. Il n’est donc pas étonnant que certaines décisions fassent sourciller et soulèvent des questionnements légitimes au sein de la population, et que la confiance envers nos gouvernements et institutions s’effrite.

Un Regroupement d’Universitaires engagés

Pour pallier cette situation qui prend de l’ampleur et se dégrade, pourquoi ne pas faire appel à des universitaires socialement engagés?

Le Regroupement Des Universitaires regroupe plus de 620 membres diplômés universitaires (en formation, actifs ou retraités), qui se mobilisent pour la lutte aux changements climatiques et la protection de l’environnement et de la biodiversité. Nous publions la Tribune Des Universitaires chaque samedi dans Le Soleil et les autres coops de l’information, dont voici quelques titres récents : «Entente Hydro-Québec–Énergir : une solution insuffisante», «Pour des normes de nickel adaptées à Limoilou», «La révolution agroécologique», «Le caribou forestier victime de la voracité industrielle», «Le 8 mai, marchons, osons, agissons, accélérons!» 

Voici d’autres textes récents publiés par nos membres hors tribune : «La protection du territoire agricole mérite un vrai débat» (Le Devoir), «Abandonnons le projet du troisième lien Québec-Lévis!» (La Presse), «Ces silencieux qui n’en sont plus» (Le Journal de Québec), «Échec de la gouvernance climatique : Le ministère de l’Environnement doit rendre des comptes» (La Presse).

Ces contributions, individuelles ou collectives, font état des problèmes de notre société, les décortiquent, posent un regard critique, avancent des idées et proposent des solutions concrètes pour y remédier. Les connaissances y sont mises de l’avant dans le cadre de concepts maîtrisés par une expertise et des habiletés acquises par une formation universitaire, dans une préoccupation marquée pour le bien commun et le bien-être de la population.

Ces interventions éclairantes devraient pouvoir servir à bien plus qu’à simplement informer la population.

Et si nous sollicitions la participation active des universitaires aux décisions politiques?

Proposition politique de CUI

Il serait temps d’utiliser l’expertise, les connaissances et le jugement de nos universitaires indépendants, que l’on garde, pour la plupart, enfermés dans leur tour d’ivoire, pour les mettre au service du gouvernement provincial.

Des universitaires sont déjà consultés de manière confidentielle (off the record) par nos élus, entre autres, pour donner leur opinion sur leurs politiques ou leur avis sur une loi éventuelle. Pourquoi ne pas rendre le tout officiel et l’étendre à toutes les sphères d’activités de nos universitaires, telles que le droit, l’éducation, la sociologie, la philosophie, la santé publique?

Je propose donc l’établissement d’un Conseil des Universitaires Indépendants (CUI; prononcer «QI») permanent, qui permettrait de pallier l’absence ou le manque de connaissance ou d’expertise parmi les députés formant le gouvernement, tout en étant politiquement indépendant de celui-ci.

Au niveau de l’organigramme, le CUI jouerait un rôle aviseur directement au premier ministre par le biais de rapports rendus publics simultanément afin de favoriser la transparence et la reddition de compte, et permettre aux électeurs de bien saisir le fondement des décisions politiques. Des CUI thématiques (CUIT) permanents pourraient également être constitués et rattachés à chacun des ministères, et y jouer un rôle similaire.

Les universitaires (p. ex., professeurs) intéressés seraient «prêtés» par leurs employeurs (p. ex., les universités) pour un terme fixe (p. ex., 2 ans, renouvelable une fois). Le nombre de membres du CUI — dépourvus de tout conflit d’intérêts avec le secteur privé — avoisinerait la vingtaine afin d’assurer la représentation des différentes disciplines universitaires dans les différents dossiers gouvernementaux. Un prérequis pourrait être, outre l’intérêt, d’avoir réalisé des actions concrètes visant à défendre le bien commun, la santé et/ou le bien-être de la population.

Bien que la constitution, le déploiement, la composition et les modalités du CUI seraient à discuter, idéalement par les universitaires eux-mêmes, son mandat serait clair : formuler des recommandations et des avis afin que les meilleures décisions soient prises dans l’intérêt de la collectivité, et ce, au-delà du cycle électoral.

Exemple patent de CUI

La Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire (Commission Cloutier) est un exemple patent de CUI. Constituée de cinq universitaires (un vice-recteur, trois professeur.e.s et une chargée de cours/étudiante) choisis pour leur connaissance du système, leur expérience et leur expertise, la Commission Cloutier a procédé à des travaux et à des consultations afin de produire et de déposer un rapport, dans lequel il a émis cinq recommandations et autant d’avis. Le gouvernement s’est ensuite basé sur ce rapport pour formuler et faire adopter une loi — bien qu’imparfaite — sur la liberté universitaire.

Le recours à un CUI et aux CUIT permettrait de dépolitiser les décisions prises par le gouvernement afin qu’elles soient davantage basées sur la science et les meilleures pratiques et connaissances possibles, et être en faveur du bien commun et de la population, plutôt que d’être à la merci d’un parti ou d’une idéologie politique, qui, dans le système démocratique actuel, peut s’imposer avec 37,4 % des voix exprimées.

La société paie cher pour la formation et le travail de ses universitaires, et elle est en droit de s’attendre à un juste retour sur son investissement. Comme nous l’avons vu avec la Commission Cloutier — et les partis politiques ont pu le constater —, les universitaires peuvent jouer un rôle extrêmement utile et important au sein de notre société, pourvu qu’on ne les confine pas dans leur tour d’ivoire.

Quels chef ou parti politique s’engagera à constituer un CUI (et des CUIT) s’il accède au pouvoir le 3 octobre prochain? 

Questions ou commentaires?

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