Dans les tranchées face aux Russes 

Adolf et le caporal Validol avec leur arme en position de tir

Au Nord de Kharkiv, les soldats ukrainiens redoublent d’efforts au milieu des bombardements pour repousser les Russes au-delà de leur frontière désormais toute proche. Les Coops de l'information ont pu se rendre sur cette ligne de front mouvante.


Cela fait plusieurs minutes que le gros 4X4 a franchi le dernier point de contrôle établi à l’extrémité nord de Kharkiv. Le chauffeur file à près de 130 km/h sur la route qui mène en temps normal à Belgorod en Russie. Désormais déserte, cette voie est encombrée de pierres, de branches d’arbres, de sacs de sable éventrés ou encore de vieux pneus. Le décor classique d’un terrain de guerre. 

«Mettez votre casque!» nous dit Anatoly Rusetsky, le militaire qui nous accompagne ce matin-là sur le terrain. 

Dans la vie civile, Anatoly Rusetsky, 46 ans, est avocat, professeur de droit et élu au Conseil régional de Kharkiv. 

Les troupes terrestres russes ont été chassées de ce secteur, mais la menace continue de provenir des airs. Tout véhicule peut être repéré par leurs drones puis être immédiatement ciblé. Sans oublier les frappes aléatoires par leur artillerie. 

Encore quelques kilomètres à ce train d’enfer et le conducteur déboule en trombe dans un village situé à l’écart. Les petites maisons alignées le long d’un chemin de terre bordé de hautes herbes sont pour la plupart intactes, mais a priori inhabitées. «Il n’y a presque plus personne ici hormis une poignée de personnes âgées qui n’ont nulle part où aller», explique le militaire. 

Dans la vie civile, Anatoly Rusetsky, 46 ans, est avocat, professeur de droit et élu au Conseil régional de Kharkiv. Il s’occupe aussi d'une Fondation qui s’est donné pour but de fournir de l’eau et nourriture à la population. Mais au début de cette guerre, il a revêtu l’uniforme des Forces armées d’Ukraine et surtout mis sur pied un important centre logistique pour fournir notamment de l’équipement sophistiqué et des fournitures médicales aux soldats de son pays. 

Cela va de lunettes de vision nocturne aux caméras thermiques en passant par des drones quadricoptères. Tous achetés grâce à des fonds qu’il a recueillis. «L’Ukraine est notre Terre. Il faut unir nos forces pour la victoire», martèle celui qui ironiquement n’est que simple soldat. «Mais au QG, dit-il en riant, ils me disent que mon travail équivaut à celui d’un général trois étoiles.» 

Le chauffeur file à près de 130 km/h sur la route qui mène en temps normal à Belgorod en Russie.

Notre véhicule pénètre dans la cour d’un immeuble désaffecté. Des soldats se reposent assis à côté d’un escalier menant au sous-sol. Celui-ci est transformé en salle de repas, en dortoir avec lits superposés et en salle de commandement pour les opérations dans le secteur. 

Wing, 43 ans, responsable d’une unité de drones de reconnaissances au sein de la 82e Brigade mécanisée, passe de longues heures assis à scruter de larges écrans relayant en temps réel des images aériennes et satellites de la situation sur le terrain. «Parfois, je n’ai pas le temps de manger. Et quand j’arrive à dormir six heures, c’est merveilleux», lance-t-il. 

Les images de vues aériennes sont constellées d’une multitude de petits losanges rouges. Chacun représente une cible potentielle ennemie identifiée par les drones, que ce soit un groupe de soldats ou encore un véhicule ou de l’armement. 

«La guerre, c'est l'enfer», peut-on lire sur ce casque.

Quand Wing clique dessus, une fiche apparaît accompagnée de la photo en gros plan de la cible en question. «Toutes ces images sont analysées et ensuite c’est au commandement de décider lesquelles détruire et avec quel type d’arme», explique ce spécialiste. 

À ses côtés, une série de photos couleurs d’une douzaine de véhicules de guerre électroniques utilisés par les Russes pour brouiller les ondes radios de l’adversaire, ou à les intercepter. Autant de cibles prioritaires... 

Des fiches de différents véhicules de l’armée russe.

Guerre à l’ancienne

Cette guerre du 21e siècle n’est pas que technologique. C’est aussi une guerre conventionnelle, à l’ancienne, avec ses soldats dans des tranchées, souvent creusées à la pelle, gelant de froid l’hiver, pataugeant dans la boue au printemps et dans la chaleur de l’été. Ils dorment comme des rats dans de gros trous humides, recouverts de rondins et de branches en guise de camouflage.

Nous reprenons justement la route en direction de l’une des positions ukrainiennes les plus avancées, cette fois dans le véhicule d’Adolf, 38 ans, commandant d’une unité de reconnaissance. «J’ai déjà travaillé avec des militaires du Québec, c’était très plaisant», tient à dire ce grand gaillard aux cheveux blonds à moitié rasés.

Les soldats dorment dans de gros trous humides, recouverts de rondins et de branches en guise de camouflage.

Une vitre arrière est brisée et l’une des portes est criblée d’impacts de balles. Là encore, la première partie du trajet au milieu des champs doit se faire à haute vitesse dans un chemin défoncé.  Le 4X4 saute d’une bosse à l’autre, et ses passagers aussi, le tout dans un bruit infernal. Les militaires veulent atteindre au plus vite la forêt en face de nous. 

Au loin on aperçoit une épaisse fumée s’élevant dans le ciel. «Un tir russe sur nos positions, explique Adolf. Mais on va s’occuper d’eux.» 

Une fois enfin arrivés sous les arbres, dont les épais branchages font office de camouflage naturel, le chauffeur peut ralentir la cadence. 

Le soldat le plus âgé de l’équipe, mitrailleuse posée au sol, observe le chemin face à lui en direction du territoire encore occupe par les Russes

Quelques centaines de mètres plus loin, un soldat ukrainien en casquette et chandail manches longues est visible de dos au milieu du chemin, une mitrailleuse lourde à ses pieds. Il fait partie d’une petite équipe d’une dizaine d’hommes, certains à peine âgés dans la vingtaine, déployés ces derniers jours à ce point le plus avancé de la zone reprise aux Russes. Leur équipement est rudimentaire, du moins limité. 

Ils ont creusé des tranchées, ainsi qu’un abri pour la nuit ou en cas de bombardement. Leur mission : tenir cette position en attendant la prochaine poussée ukrainienne vers l’avant, avertir en cas de contre-attaque russe et les empêcher d’avancer!   

Adolf et Validol

La frontière n’est plus qu’à une douzaine de kilomètres devant eux. Les troupes russes sont plus proches encore. Mais doivent sans cesse reculer. «On les combat, ces sales bâtards, écrivez-le!» dit Adolf. Et d’ajouter avec un humour macabre : «Dès qu’il y a assez d’engrais d’Orcs pour fertiliser le sol on avance ! ».

À ses côtés, fusil d’assaut AK-74 en main, le caporal Validol, 33 ans, chef de ce poste, sourit. Ce militaire expérimenté qui s’est battu en  2014 dans le Donbass estime que cette guerre de 2022 est «plus dure, à cause de l’artillerie, des drones et de l’aviation» utilisés par l’adversaire. 

De nouveaux bruits sourds d’explosions tonnent dans la forêt. «C’est rien, ce sont les nôtres cette fois», rassure Adolf. 

Celui-ci explique que ses missions de reconnaissance, menées par petites groupes de 8 à 12 hommes,  le plus souvent la nuit, en zone hostile «pour collecter le plus d’informations possible», ne se déroulent pas sans risques. Justement à cause des tirs d’artillerie adverses. «Il ne faut jamais oublier d’avoir peur dès que vous entendez des roquettes ou des missiles voler. Sinon vous mourrez.» 

Lorsque l’on demande au caporal Validol quels sont leurs besoins les plus urgents: «Des armes lourdes et à longue portée», répond-il, en écho aux demandes répétées du président ukrainien à la communauté internationale.  

«Ici on a plutôt besoin de revues avec des femmes nues», intervient, l’air malicieux, le vieux soldat qui scrute fixement le chemin depuis notre arrivée. Puis il ajoute, sur un ton désabusé cette fois: «Toutes les guerres doivent finir! »

Il est temps de quitter Validol et ses hommes seuls dans le bois, à l’affût de l’ennemi russe invisible, au milieu des chants d’oiseaux entrecoupés de fracas d’explosions. Une autre journée ordinaire au front. 

Avec la collaboration de Maksym Stryzhevskyi.