Les camps de jour adaptés «dépassés» par la pénurie de main-d’oeuvre

Julie Leblond, directrice à la programmation DI-TSA-DP du Patro Roc Amadour

Une vingtaine de jours. C'est tout le temps qu'il reste aux camps de jour adaptés aux enfants handicapés ou à besoins particuliers pour trouver des moniteurs pour s'en occuper. La course contre la montre est lancée, mais les CV se font rares.


«En tant que service spécialisé, le fait de ne pas être en mesure de répondre aux besoins des familles, ça m'empêche de dormir», regrette Véronique Tremblay, directrice générale d'Autisme Québec. 

La nouvelle directrice de l'association régionale est elle-même maman de trois enfants, dont une est atteinte du trouble du spectre de l'autisme. Elle peut facilement se mettre dans la peau des familles qu'elle a dû contacter à regret, lundi, pour leur annoncer une «modulation de l'offre» de ses camps de jour adaptés.

En de simples mots, elle a dû leur dire que les services seront réduits. Que toutes celles qui avaient prévu envoyer leur enfant pendant un nombre X de semaines n'auront accès qu'à une seule, par souci d'«équité». 



Autisme Québec aurait, dans un monde «idéal», déniché au moins 80 moniteurs pour veiller au bon déroulement des camps. Sauf qu'en date du 7 juin, à peine 40 intervenants avaient été embauchés. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé, assure Mme Tremblay. 

Le recrutement a débuté en janvier et les salaires ont même été augmentés, de 13,65$ à 16,10$ de l'heure. «Force est d'admettre que même à 16,10$, on n'a pas reçu de CV», rapporte la directrice générale. 

«Ça nous dépasse tous un peu la pénurie de main-d’oeuvre», observe Véronique Tremblay. 

Les plans A, B, C... W

Le Patro Roc Amadour, qui accueille habituellement plus ou moins 70 adolescents âgés entre 12 et 20 ans présentant une déficience intellectuelle ou encore un trouble du spectre de l’autisme, risque cet été de n’en admettre… aucun, faute de moniteurs en nombre suffisant.

Par précaution, appréhendant les enjeux de recrutement qui se sont avérés bien réels, seuls 36 jeunes avaient été admis ce printemps dans le programme pour l’été 2022.

«C’est la première année qu’on vit cette problématique», se désole Julie Leblond, directrice à la programmation DI-TSA-DP du centre communautaire situé à Limoilou. C’est le service au complet qui est en jeu.»

Ayant épuisé la quasi-totalité des lettres de l’alphabet, l’équipe du Patro Roc Amadour se donne jusqu’au 10 juin «pour trouver un plan W», à la suite de quoi il devra prendre la décision de fermer le service pour l'été. Mme Leblond convient que l’échéancier est serré, mais «il faut permettre aux parents de trouver une alternative» avant que ne débute la saison estivale.

Partout pareil

Le Patro Roc Amadour, qui accueille habituellement plus ou moins 70 adolescents âgés entre 12 et 20 ans présentant une déficience intellectuelle ou encore un trouble du spectre de l’autisme, risque cet été de n’en admettre… aucun, faute de moniteurs en nombre suffisant.

Parmi les alternatives, le Patro a évalué la possibilité de référer les familles à d'autres camps des alentours, mais les indicateurs de ceux-ci sont tout autant au rouge. 

Au camp Cité Joie, à Lac-Beauport, on a dû diminuer le nombre d’inscriptions devant le problème criant de pénurie de personnel. «Depuis 2019, on a une capacité de 100 lits. Cette année, on commence avec une capacité d’accueil de 40 personnes par séjour, pour être capable de les encadrer convenablement, avec le personnel qu’on a actuellement», explique Denis Savard, directeur général de Cité Joie.

Cité Joie propose des séjours de répit à des personnes âgées entre 3 et 80 ans, qui vivent avec une déficience physique, intellectuelle ou qui présentent un trouble du spectre de l’autisme.

M. Savard estime qu’il lui faudrait entre 10 et 20 moniteurs supplémentaires pour assurer un service idéal. 

Le directeur de Cité Joie reçoit ces jours-ci des appels de parents qui ont appris que le camp qui recevait habituellement leur enfant ne serait pas en mesure d’offrir ce type de séjour cet été et qui cherche une alternative.

Chez Adaptavie, à Québec, un organisme qui offre des séjours de répit et des camps spécialisés, les inscriptions étaient déjà complètes à la mi-mars.

«Il y a beaucoup de gens qui nous appellent en avril, en mai et même en juin. Même pour ceux qui ont envoyé des inscriptions dans les temps, on a dû annuler quelques semaines à certaines personnes, pour respecter nos ratios et pour que ce soit sécuritaire», explique Mélanie Beaudoin, directrice adjointe des programmes chez Adaptavie.

Un groupe de 8 ou 9 enfants vivant avec un trouble du spectre de l’autisme mobilise au moins une dizaine d’accompagnateurs.

Le bien-être «affecté»

À la Ville de Québec, la conseillère municipale Véronique Dallaire, membre associée du comité exécutif responsable de l'accessibilité universelle prend l'enjeu au sérieux. Pour elle, le constat est clair : la pénurie de main-d'oeuvre n’affecte pas que l’économie, mais aussi le bien-être des gens. Les enfants, qui ne pourront avoir leur place au camp, et leurs parents, qui ont besoin de répit. Elle a d'ailleurs fait de la problématique le sujet principal de son intervention lundi, lors de la séance du conseil municipal. 

Si elle en parle, c'est pour prévenir une rupture de services à l'automne ou encore l'été prochain. Pour cet été, la conseillère de l'opposition officielle demeure «lucide», voyant que les solutions qui s'offrent aux différentes organisations, comme le Patro Roc-Amadour, sont limitées. «J'ai bien l'impression qu'ils ne pourront pas ouvrir le service cet été, ce qui est inacceptable à mon avis, regrette Mme Dallaire. Il faut sensibiliser, mais surtout pour regarder la situation et mettre les bouchées doubles pour que ça ne perdure pas dans le temps.»

«La pénurie de main-d'oeuvre ne s'arrêtera pas du jour au lendemain», avise-t-elle.