Équiterre blâmé par le DGEQ: «On marche sur des oeufs»

En 2018, le chef libéral Philippe Couillard, le leader péquiste Jean-Francois Lisée, le chef caquiste François Legault, et la co-porte-parole solidaire Manon Masse s'apprêtent à croiser le fer lors du débat des chefs.

Le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) blâme Équiterre pour une dépense électorale illégale, au terme d'une enquête qui a duré plus de trois ans, ont appris les Coops de l'information.


Lors de la dernière campagne électorale, en 2018, l’organisme a publié un comparatif des programmes soumis par les formations politiques. Les candidats s'autoévaluaient en fonction du cahier de recommandations d'Équiterre. Québec Solidaire a obtenu la meilleure note, alors que la Coalition avenir Québec s’est retrouvée au bas de la liste. Pour Élections Québec, il s'agit de favoritisme politique, et ainsi, d'une dépense électorale illégale.

Pour une première infraction, une amende pouvant aller jusqu'à 50 000$ est prévue, mais dans ce cas-ci, le DGEQ n'a imposé aucune pénalité monétaire. Il a été impossible d'en connaître les raisons, car l'organisation, qui a pour mission d'assurer «l'intégrité et la transparence» des élections, a refusé de commenter cette décision rendue en mars dernier. Pour une deuxième offense, l'amende varie de 50 000$ à 200 000$.

Comme en 2018, Équiterre ne partage pas l'interprétation du DGEQ, qui considère la diffusion des positions des partis et l'attribution de notes comme une dépense électorale.

«Nous n'avons porté aucun jugement, sous forme de note ou autre, à propos des réponses fournies. Ce sont les partis eux-mêmes qui se sont autoévalués», précise Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales chez Équiterre.

Inquiétudes à la veille des élections

Il déplore également que l'enquête ait duré plus de trois ans. Plusieurs organisations qui prennent part au débat public attendaient son dénouement avec inquiétude. À quelques mois des élections, certains groupes craignent d’être blâmés à leur tour s'ils participent à la campagne électorale.



«Équiterre prend part au débat public quotidiennement, et ce de façon non partisane, depuis bientôt 30 ans», explique Marc-André Viau.

Une représentante d'un organisme à but non lucratif, qui préfère conserver l’anonymat, raconte avoir également fait l’objet d’une enquête en 2018 pour une autre affaire.

«Nous avions seulement diffusé les priorités des candidats de notre secteur sur nos plateformes. Nous n’avons pas été blâmés. Mais les enquêteurs sont venus rencontrer les employés, ont vérifié les courriels. On marche sur des œufs sur ce qu'on peut faire ou pas.»

Équiterre est considérés comme un tiers par Élection Québec, c'est-à-dire «un individu, une entreprise, un organisme ou un regroupement qui ne cherche pas à se faire élire, mais qui désire intervenir dans le débat politique». Les tiers ne peuvent pas effectuer de dépenses électorales. «La Loi électorale précise qu’une dépense électorale est, entre autres, le coût de tout bien ou service. Le salaire du personnel est un service et pourrait donc constituer une dépense électorale, par exemple si l’intervention de l’organisation vient favoriser ou défavoriser une personne candidate ou un parti au cours de la période électorale», écrit le porte-parole d’Élection Québec, Gabriel Sauvé-Lesiège. Il ajoute que chaque intervention d’un tiers doit être évaluée au cas par cas. 

«Je ne peux pas exercer pleinement un rôle d'expert et critiquer pleinement un programme ou évaluer le mérite d'une proposition, se désole Marc-André Viau, d’Équiterre. Est-ce normal? Je ne le sais pas. Il y a des raisons pourquoi la Loi électorale a été faite ainsi.»

Son organisation, fondée notamment par Steven Guilbeault, aujourd'hui ministre fédéral de l’Environnement, continuera toutefois de participer au débat électoral. «Équiterre prend part au débat public quotidiennement, et ce de façon non partisane, depuis bientôt 30 ans, ce que nous continuerons à faire dans le respect de la Loi, comme toujours», assure M. Viau.

«Notre rôle, c'est de commenter»

L’organisation environnementale Greenpeace entend, elle aussi, continuer de participer aux discussions lors des prochaines élections. «Notre rôle, c'est de commenter les politiques publiques, et de le faire de manière non partisane. On a une politique d'indépendance qui fait en sorte qu'on ne prend pas position pour ou contre un parti ou un candidat. On va commenter la qualité de leurs positions. […] On va inviter les gens à voter de la manière la plus éclairée possible dans la limite de la loi», affirme le responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace, Patrick Bonin. 

Il rappelle l’importance, pour la démocratie, de limiter l’ingérence des tiers lors des élections. «On sait qu'il y a de puissants lobbys, comme le lobby pétrolier et gazier qui, dans le passé, ont voulu faire de l'ingérence. Les lois électorales visent à éviter que ceux qui ont bien davantage de moyens financiers que les organisations environnementales viennent influencer les résultats du vote.»

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QU'EST-CE QU'UNE DÉPENSE ÉLECTORALE?

Trois éléments permettent de déterminer ce qu’est une dépense électorale, selon le Directeur général des élections du Québec. D’abord, il doit y avoir un coût.

Ensuite, l’objet de la dépense doit être utilisé en période électorale. «La dépense peut avoir été faite avant la période électorale, ce qui est regardé ici, c’est vraiment l’utilisation», précise le DGEQ.

Enfin, la dépense doit être utilisée pour:

  • «favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’une personne candidate ou celle des personnes candidates d’un parti;
  • diffuser ou combattre le programme ou la politique d’une personne candidate ou d’un parti;
  • approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par une personne candidate ou un parti;
  • approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, une personne candidate ou leurs partisanes et partisans.»