Chronique|

Politique sur l’aménagement: l’État veut devenir exemplaire

La politique québécoise sur l’aménagement et l’architecture était très attendue.

CHRONIQUE / La politique québécoise sur l’aménagement et l’architecture qui sera rendue publique ce lundi à Saguenay, consacre une volonté de virage dans la façon d’occuper le territoire du Québec. 


Le gouvernement y dit vouloir se démarquer par des actions exemplaires.

Cette politique sur l’aménagement était très attendue. 

Elle est le fruit d’une «conversation nationale» menée depuis l’hiver 2021 entre une quinzaine de ministères et des acteurs municipaux et du monde associatif, experts en aménagement, ordres professionnels, citoyens, etc.

Le document Mieux habiter et bâtir notre territoire tient en une trentaine de pages. Il est signé par la ministre des Affaires Municipale Andrée Laforest et sa collègue Nathalie Roy à la Culture et a été entériné ce printemps par le conseil des ministres. 

Il devient le nouveau «cadre de référence» pour les municipalités.

On y reconnaît les grandes idées mises de l’avant depuis des décennies par les militants du développement durable. Le gouvernement n’y avait cependant jamais adhéré de façon, je dirais, aussi solennelle.

Ces idées ont bien sûr inspiré ici et là des décisions et orientations des ministères, mais il manquait une direction politique claire et de la cohérence.

Il faut saluer ici l’avancée du gouvernement Legault, qui, malgré un discours souvent ambigu, veut donner un coup de barre dans les habitudes d’aménagement. 

Plusieurs gouvernements précédents s’y étaient attaqués sans y arriver. Faute de volonté, par manque de temps ou parce que l’urgence climatique n’était pas ce qu’elle est devenue qu’aujourd’hui.

Le plus difficile reste maintenant à faire. 

Traduire cette politique dans des mesures et règles concrètes sans quoi elle ne sera qu’un recueil de vœux pieux. 

Il faudra définir de nouvelles «orientations» au ministère des Affaires municipales pour remplacer celles de 1994; revoir la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme; convenir d’un nouveau pacte fiscal avec les municipalités; prévoir de l’aide financière et de la formation pour soutenir les villes et villages dans le virage qui s’annonce.

On peut regretter que la politique qui sera dévoilée lundi se soit arrêtée à des principes généraux. 

Le gouvernement a choisi de repousser les décisions les plus difficiles. Celles qui seront contraignantes, feront débat et provoqueront du mécontentement.  

Celles par exemple, qui diraient à un maire qu’il ne peut pas ouvrir le nouveau quartier qu’il convoite. Ou celles qui diraient à des ministres qu’ils ne peuvent pas construire telle autoroute ou tel tunnel parce que ce serait contraire à la politique du gouvernement. 

Manque de courage? 

Je dirais un choix pragmatique. Et politique.

Il n’a pas été facile d’obtenir l’adhésion du conseil des ministres et des élus de la CAQ pour cette politique d’aménagement. 

Penser obtenir des consensus supplémentaires sur des mesures contraignantes permettant d’aller plus loin dès aujourd’hui aurait été irréaliste. Sans compter que ce genre de mesures ne peut pas s’improviser. 

Surtout pas en pleine campagne électorale où chaque contrainte aurait fait débat, mobilisé des élus locaux et risqué de nuire aux candidats de la CAQ.

Dans le contexte, il y avait deux scénarios possibles. 

Tout repousser après les élections et risquer de perdre le consensus déjà acquis.

Ou déposer maintenant une politique générale et continuer à travailler avec les partenaires pour définir la suite. Mme Laforest semble avoir retenu ce second scénario.   

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La politique «Mieux habiter et bâtir notre territoire» retient des idées et pistes dont il fut beaucoup question dans les récents débats sur l’étalement urbain.   

En voici quelques-unes. La liste n’est pas exhaustive.

1- Augmenter la densité dans les villes et les villages.

2- Viser des «milieux de vie complets» avec une variété d’usages dans les quartiers. Favoriser l’accès aux services, commerces, lieux de divertissement et de travail puisse se faire autrement que juste par l’auto.

3- Optimiser les infrastructures existantes et rationaliser la construction de nouvelles infrastructures. Cela vaut pour les routes et services publics comme pour les immeubles, particulièrement ceux qui ont une valeur patrimoniale.  

4- Privilégier un développement qui limite les émissions de GES.

5- Orienter la croissance urbaine de façon à limiter «l’artificialisation» des sols.

6- Mieux protéger les milieux agricoles et naturels.

7- Devenir plus «productifs» en prenant en considération l’ensemble des coûts publics nécessaires pour atteindre la qualité de vie que souhaitent les citoyens. 

8- Minimiser l’empreinte environnementale des bâtiments. Internaliser les coûts sur toute la vie du bâtiment et non seulement à court terme.  

9- Mettre en valeur des ressources naturelles en respectant l’environnement.

10- Favoriser la requalification des espaces commerciaux et industriels existants. 

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L’un des énoncés les plus forts de la politique sur l’aménagement est que le gouvernement veut se démarquer par des actions exemplaires, innovantes et cohérentes. Des actions qui s’appuieront sur des connaissances et une expertise de pointe.

C’est le gros bon sens, mais cela implique un virage important.

Nous avons tous en tête des exemples de décisions du gouvernement qui ne s’appuyaient pas sur la connaissance et l’expertise scientifique. 

Des décisions sans cohérence avec les objectifs de développement durable.

Nous pourrons désormais analyser et juger les décisions du gouvernement en fonction de sa propre politique. Pas seulement en référence avec ce que disent les autres acteurs de la scène publique (groupes, citoyens, chercheurs, partis d’opposition, etc). 

Cela n’est pas anodin. 

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La politique d’aménagement vise un objectif national, mais insiste pour tenir compte des particularités régionales. 

Je ne sais trop quoi en penser. 

On n’aime pas, en effet, les politiques «mur à mur» qui ignorent les réalités locales. Mais quel sera l’effet d’une politique nationale si chacun peut évoquer sa différence locale pour s’en soustraire? 

Je note aussi que beaucoup de choix sémantiques ont été faits avec prudence. On a évité des mots comme interdire ou empêcher. Comme si on voulait pour le moment garder des portes ouvertes.   

Des élus vont-ils essayer de s’y engouffrer pour passer des projets avant l’entrée en force des nouvelles contraintes d’aménagement.

Comme des clients chez les marchands d’armes à feu, lorsqu’ils apprennent que l’État va resserrer les règles.