Bien avant la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre se faisait déjà sentir dans le milieu de l’hôtellerie. «En 2015 et en 2016, on en parlait déjà... On allait chercher des gens à l’étranger», raconte Xavier Gret, directeur général du Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT). «On cherche toujours la recette miracle, car notre main-d’œuvre est impactée [sic], notamment en raison de la saisonnalité.»
Selon M. Gret, en mars dernier, il y avait 40 000 postes à pourvoir dans l’industrie touristique qui recense 450 000 emplois, répartis dans 400 métiers différents.
«On voit toujours les hôtels, mais ce sont aussi les guides touristiques ou les personnes dans les stations de ski, dit le DG. Les métiers en danger qu’on a identifiés, qui ont été exacerbés en raison de la pandémie, ce sont les emplois en entretien ménager, les métiers de cuisiniers, les aides-cuisiniers et les réceptionnistes, notamment. Il y a un manque de main-d’œuvre assez criant.»
Détruire un mythe
Le CQRHT estime être parmi les premiers à créer des comités sectoriels et consultatifs sur le tourisme et l’emploi de personnes de 55 ans et plus. «D’ici 2030, il y aura un Québécois sur quatre qui sera âgé de 65 ans et plus. Présentement, on est à 20 %», explique M. Gret.
«On doit s’occuper et séduire cette clientèle-là pour venir travailler dans notre secteur d’activité, qu’on appelle l’industrie du bonheur.»
Cependant, selon le DG, le mythe voulant que ce ne soit pas rentable pour un retraité de réintégrer le marché du travail a la couenne dure.
«On a fait récemment deux webinaires pour défaire cette image qu’on a tout le temps de dire que pour un retraité de retourner au travail, ce n’est pas payant. Mais ce n’est pas vrai. On veut casser ce mythe.
«On a travaillé avec le comité consultatif 55 ans et plus et avec le fiscaliste Luc Godbout de l’Université de Sherbrooke, on a démontré que de retourner au travail, ça pourrait être payant», dit-il, en spécifiant qu’un calculateur a été mis en place sur Internet.
Il ajoute que le CQRHT fait la même démarche avec les personnes handicapées. «Cela va de soi. On fait déjà affaire avec des clients qui vivent la même situation. On sait comment les accueillir et comment les servir dans notre industrie.»
Il en est aussi de même pour les personnes judiciarisées. «Il y a 25 % des entreprises qui font affaire avec eux. Et il y a un taux de réussite de 85 % de réinsertion. Quand on pense à personne judiciarisée, on pense tout de suite aux tueurs en série. Mais ce n’est pas ça du tout», lance M. Gret.
«Même dans les prisons, certains travaillent déjà dans les cuisines. On pourrait les former en amont et les réintégrer dans les cuisines des institutions hôtelières par la suite.»
Les Autochtones font également partie des gens ciblés par l’industrie du tourisme. «La courbe de natalité [des peuples autochtones] est à l’inverse de celle de la population québécoise. La population est extrêmement jeune. Et beaucoup de jeunes Autochtones se retrouvent dans les grands centres, comme à Montréal ou à Québec. Il faut les faire travailler...»
Quant à l’immigration, le CQRHT ne veut pas manquer l’occasion d’attirer ceux qui sont déjà ici pour les ramener dans son secteur d’activité.
«Il y a eu des allègements en novembre dernier quant aux immigrants des catégories 3 et 4. Les préposés en entretien ménager sont situés dans la catégorie 4, parce que ce sont des gens peu diplômés. Mais on a eu des aménagements pour faire venir ce genre de clientèle là au Québec», soutient M. Gret qui assure qu’il y a eu une hausse de l’intégration des gens issus de l’immigration.
«On est passés de 10 % à 20 %. Dans une entreprise de 10 employés, deux peuvent être issus de l’étranger. Mais l’enjeu pour ces gens, c’est le logement. C’est bien beau de les faire venir, mais il faut les loger.»
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Victime de son succès
Le secteur de l’horticulture ornementale est quant à lui un peu victime de son succès en raison de la pandémie, car il s’agit d’un des secteurs qui a le moins pâti des périodes de confinement.
«Je crois que la situation est pire dans la restauration et l’hôtellerie, car eux, ils ont été fermés, ouverts, fermés pendant la pandémie», affirme Nathalie Deschênes, directrice générale adjointe de Québec Vert, qui représente l’industrie horticole.
«Nous, on a été ouverts normalement, par contre. On a subi que quelques semaines de fermeture. En fait, certains ont travaillé pendant le premier confinement en vue de préparer le commerce à la réouverture.»
Qui plus est, la pandémie a suscité un fort engouement pour le jardinage intérieur, l’agriculture urbaine, le jardinage comestible, l’autonomie alimentaire... «Tout cet engouement se répercute dans nos entreprises, dans leurs besoins en employés. On évalue qu’il va y avoir une forte croissance de l’emploi dans le secteur pour la période de 2022 à 2028», renchérit Isabelle Prévost, directrice générale d’HortiCompétences.
Selon des données de Statistique Canada compilées par HortiCompétences, le secteur de l’horticulture ornementale comptait 20 000 salariés en 2019. Cependant, le comité sectoriel n’a pas pu fournir le manque à gagner en matière de postes à pourvoir.
Les métiers où les besoins sont les plus criants en horticulture ornementale sont les manœuvres, les techniciens et les spécialistes en aménagement paysager, les horticulteurs, les élagueurs et les chefs d’équipe, selon Mme Prévost.
Comme pour le secteur du tourisme, l’horticulture ornementale vise l’intégration de la main-d’œuvre qui est sous-représentée, soit les immigrants, les personnes handicapées, les femmes éloignées du marché du travail ou les jeunes décrocheurs. «Il y a de la place pour tout le monde.»
Le secteur peut compter sur des programmes de formation afin que les travailleurs puissent se faire former durant l’hiver. Ce qui se traduit par de la formation continue à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec — au niveau collégial à Saint-Hyacinthe ou à La Pocatière — et dans les centres de formation professionnelle.
Mme Prévost donne aussi l’exemple des projets de financement pour les étudiants inscrits dans un programme de diplôme d’études professionnelles (DEP) en élagage et en aménagement paysager. «Les étudiants sont payés tant en classe qu’en entreprise. Le programme en aménagement paysager, c’est 1035 heures. Le maximum payé, c’est 1000 heures à 15 $ l’heure. Le DEP se donne grosso modo 60 % en classe et 40 % en entreprise.[…] Ça permet aussi d’attirer des travailleurs qui ont plus d’expérience ou plus âgés», affirme-t-elle.
Les défis de la saisonnalité
La saisonnalité joue des tours à l’industrie horticole, mais la situation change peu à peu. «Les gens quand ils allaient en centre d’emploi, ils étaient rarement redirigés vers des emplois saisonniers. Ils se faisaient toujours dire : “Cherchez un emploi à temps plein, etc.”», ajoute Mme Deschênes.
«Quoique beaucoup d’emplois se sont étirés avec le temps, parce que les saisons s’allongent. On est passés d’une période où le jardinage, c’était très très court et condensé. Je pense à l’aménagement paysager. Ils commencent de plus en plus tôt. Puis, ils finissent jusqu’en décembre...»
Et certaines entreprises, notamment en aménagement paysager, ont trouvé des façons d’employer leurs gens à l’année. «En les mettant sur les contrats de déneigement. Il y a beaucoup de déneigement dans notre secteur, comme en agriculture», explique la directrice générale adjointe de Québec Vert.
En tourisme, le CQRHT souligne qu’un projet-pilote a été mis sur pied dans Charlevoix. «On envoie des gens qui travaillent dans des entreprises pendant la saison hivernale dans d’autres qui œuvrent pendant la saison estivale. D’habitude, cela se fait à la bonne franquette et il n’y a rien de structuré», avance M. Gret.
«On a pris 10 entreprises dans lesquelles 27 employés ont été transférés. Normalement, ces gens-là, qui ne devaient pas travailler durant toute l’année, vont le faire pendant l’année au complet. C’est peut-être seulement 27 employés, mais ce sont 27 employés que l’on garde dans notre industrie.»
M. Gret donne aussi comme exemple un employé qui s’occupe des médias sociaux, qui peut travailler pour trois entreprises.
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