Ce n’est pas un hasard si les organisateurs du 25e tournoi de tennis Louis Després Invitation ont décidé d’aider les Khrystyuk et la cause ukrainienne dans sa guerre face à la Russie en amassant des fonds pendant le tournoi, qui bat présentement son plein. Tymofiy Khristyuk, le plus jeune des fils, est une des meilleures raquettes de la région de Québec et séjourne présentement en France pour justement continuer à parfaire son art.
Coup de foudre
Plusieurs facteurs expliquent la venue de la famille au Québec, mais le désir d’avoir des meilleures opportunités pour leurs trois enfants a pesé lourd dans la balance selon les deux parents. C’est en plein hiver que le couple qui venait de débarquer depuis quelques jours à Lévis a décidé d’aller marcher.
«Je me souviens qu’il faisait froid parce qu’on était en février. On était légèrement en hauteur et on a regardé la vue. Il y avait Québec, le fleuve et les montagnes. On a décidé à ce moment que notre vie se passerait ici», raconte la maman Anna Spirina, qui pratique le métier de musicienne.
Le tennis l’emporte
Vadym Khrysytuk a toujours adoré le tennis, il était simplement naturel pour lui d’essayer d’inculquer cette pratique sportive à sa progéniture. Dès l’arrivée au pays, les trois enfants ont continué à jouer au sport de raquette même s’il y a eu des réticences de Dariy au début.
«Il n’aimait pas ça, il pleurait pour ne pas y aller. Il a cependant continué et il s’est mis à apprécier le sport un peu plus tard. Ç’a été plus facile avec les deux autres», précise le paternel en esquissant un sourire.
Le parcours de tennis des deux enfants plus vieux restera régional. N’étant pas nécessairement au courant de tous les programmes de tennis existant dans la région, ils ne pratiqueront pas assez pour pouvoir percer à une échelle plus grande.
«Tymofiy est allé dans un sport-études tennis tandis que les deux autres n’ont jamais eu cette chance. C’est un peu pour ça que le cheminement des deux est resté dans la région. Les choses auraient pu être différentes. Ça demeure qu’ils étaient des modèles pour leur frère plus jeune», précisent les deux parents.
Anna aurait bien voulu que les enfants aient la même passion pour les arts. Même s’ils aiment bien la musique et la danse, elle n’a jamais été en mesure de leur faire aimer autant cette perspective que le tennis. Quand la perruche de la famille se nomme «Djoko», cela donne un aperçu de ce qui est roi et maître dans la maison.
Mobilisation pour l’Ukraine
Le début de la guerre avec la Russie a littéralement bouleversé le quotidien de la famille lévisienne. Avec plusieurs membres de la famille habitant encore à Poltava, ville située à l’est de Kyïv à environ trois heures de route de la capitale, plusieurs heures sont quotidiennement consacrées à prendre des nouvelles de tout ce beau monde. Il devenait impératif pour la famille de trouver une façon d’aider leur pays natal.
«On est en communication constante avec les gens là-bas et ils nous disent ce qu’ils ont de besoin. Ma mère est connue de par son métier de musicienne et elle a fait plusieurs concerts dans les églises de la région pour amasser des fonds. Les gens sont très généreux et sensibles à notre cause», explique Polina qui espère trouver sa voie en étudiant les relations internationales.
Les Khrystyuk ont déjà aidé à amasser plus de 10 000 $. Les besoins sont grands à Poltava :
nourriture, matériel militaire, fournitures médicales ou simplement de l’argent pour aider à payer le carburant sont les principales demandes du peuple ukrainien. La famille est très reconnaissante à la population de Québec pour son aide à la cause.
Bien que la famille vit de façon modeste, elle n’a jamais hésité à accueillir une famille ukrainienne fraîchement débarquée à Québec depuis quelques jours. Quand on parle d’avoir le cœur sur la main…
Loin d’être fini
Selon les deux enfants questionnés sur le conflit, ils estiment qu’il existe encore beaucoup d’incompréhension chez la population québécoise sur la nature de cette guerre à laquelle ils ne voient pas d’issue à court terme.
«C’est arrivé souvent au Québec que des personnes me disent que j’étais Russe et il fallait que je les corrige et que je dise que j’étais Ukrainienne, et ce, même au début du conflit. Ça donne une idée que les gens sont loin de bien comprendre ce conflit complexe entre deux nations très différentes», explique sagement Polina.
Personne n’avait cependant la solution pour mettre fin à cette guerre, mais il était clair pour la famille ce qu’elle ne voulait pas voir.
«Il est hors de question de céder du territoire à nouveau. Ç’a été fait en 2014 et Poutine va toujours revenir pour en vouloir plus après un certain temps. Il est simplement comme ça», termine sagement Dariy, qui souhaite commencer des études pour devenir éducateur physique.
Dans le cadre du tournoi Louis Després Invitation, les Khrystyuk recevront les dons des amateurs de tennis qui assisteront aux matchs. Les tables près du court central seront aussi recouvertes du drapeau de l’Ukraine, jeudi et vendredi, pour les derniers jours de compétition.
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LE RÊVE DE TYMOFIY
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Comme c’est souvent le cas dans certaines familles, c’est le plus jeune qui a hérité de la meilleure chance de se rendre loin dans son sport. Tymofiy Khrystyuk se retrouvait en France pour parfaire son tennis au moment de la rencontre du Soleil avec les siens, mais le longiligne tennisman aurait préféré être en ville, l’instant d’une fin de semaine.
«Je voulais vraiment participer au tournoi Louis Després et je les remercie du fond du cœur d’aider la cause de l’Ukraine, mais c’est une semaine importante pour moi. Je me devais d’être en France pour jouer des matchs afin d’améliorer mon classement. J’ai joué le tournoi en 2019 et j’aurais eu beaucoup de plaisir de le rejouer», disait-il dans une conversation téléphonique en marge de ce reportage à saveur familiale.
Le jeune homme de 18 ans travaille à l’obtention d’une bourse d’études pour pouvoir évoluer dans un collège américain (NCAA) la saison prochaine. Il occupe présentement le 836e rang au classement international junior. Il attendait impatiemment l’offre de Farleigh Dickinson University (FDU), qui est située à New Jersey.
«C’est mon choix si je reçois la bourse d’études que j’attends. Il y a de l’intérêt d’autres universités, mais je pense que je serais à ma place dans cette institution. C’est le prochain pas à prendre afin de pouvoir possiblement devenir un jour professionnel», explique le jeune athlète, légèrement fatigué après une dure journée de tennis, avant de fermer les lumières pour la nuit.
Une exception
Présentement à Paris, il suit évidemment le parcours de Félix Auger-Aliassime au prestigieux tournoi de Roland-Garros. Il connaît bien le Québécois, étant lui-même membre de l’académie de tennis du père du jeune prodige, mais il tient à rappeler à quel point le parcours de Félix est unique.
«C’est un phénomène. Il est simplement un surdoué. C’est un beau modèle, mais je ne peux pas me comparer à lui. Je n’ai pas les mêmes aptitudes et mon chemin sera beaucoup plus long pour parvenir à ce niveau. Il y a encore beaucoup de travail devant moi», explique avec humilité le Lévisien.
Tymofiy Khristyuk va plutôt chercher ce qui l’inspire dans son entourage. Il est conscient des nombreux sacrifices faits par sa famille pour l’aider dans sa quête professionnelle et c’est là qu’il puise son énergie pour arriver à mettre les efforts nécessaires chaque jour.
«Mon parcours, c’est la somme des chemins de toute ma famille. Je voulais être comme mon frère et ma sœur et faire du tennis. J’ai toujours adoré ce sport. Mes parents travaillent très fort pour me soutenir, c’est tout ce que j’ai de besoin. Je suis vraiment redevable à mon monde.»
Voyage en terre natale
En septembre dernier, le jeune homme a eu la chance de visiter sa famille en Ukraine avant le début de la guerre. Une expérience qu’il se remémore de façon très limpide.
«J’étais là pour le tennis et je me suis blessé. J’ai décidé de passer du temps dans ma famille maternelle. J’habitais chez ma marraine et j’y ai passé près de deux mois. J’ai beaucoup de difficulté à regarder les images de la guerre maintenant sans devenir émotif. C’est spécialement pire quand je suis avec ma famille.»
Ceux qui pensent que cette guerre peut affecter le joueur de tennis connaissent bien mal ce jeune athlète. Il se sert plutôt de cette rage comme source de motivation.
«Je suis fier de mes racines ukrainiennes au même titre que je suis fier de mon identité canadienne. Je pense que ça me motive davantage quand j’y pense. Je me dis que chaque balle frappée, c’est une balle frappée pour la paix!»
Dans la tête
Questionné sur ce qui lui manque dans son jeu pour pouvoir parvenir au statut de joueur professionnel, Tymofiy n’a aucunement hésité avant de répondre.
«Je dois travailler beaucoup l’aspect mental. C’est là que ça se passe. Les gens n’ont aucune idée comment les joueurs du top 100 mondial sont forts mentalement. Je suis d’accord avec le dicton qui dit que 90 % du sport dépend de ce qui se passe entre les deux oreilles. Je m’en fais pas trop, je vais y arriver», termine avec confiance le jeune joueur de tennis. Jean Carrier