Malterre: craquer pour la drêche

Les trois propriétaires de Malterre: Annick Bachand (au centre), entourée de ses filles Marie-Chantale et Éloïse Viens.

Peinées de voir la drêche des bières brassées à la microbrasserie familiale devenir des résidus sans valeur ajoutée, une mère et ses deux filles, trois «foodies», ont imaginé un aliment issu de la transformation de ce sous-produit: des craquelins à la drêche.


Si le pari était novateur, le succès de la jeune entreprise Malterre de Rivière-du-Loup est étonnant. De plus en plus de consommateurs craquent pour les croquants craquelins Malterre.

Pour Annick Bachand et ses deux filles, Marie-Chantale et Éloïse Viens, l’idée derrière les craquelins Malterre consistait à offrir une nouvelle option alimentaire en plaçant l’environnement, la santé et l’économie circulaire au premier plan. En valorisant la drêche générée par la microbrasserie Aux Fous Brassant de Rivière-du-Loup, les trois femmes faisaient un choix écologique en réduisant les déchets de brassage.

Les trois entrepreneures derrière Malterre gravitent autour de la microbrasserie Aux Fous Brassant depuis sa fondation il y a 10 ans parce qu’Éric Viens, le conjoint d’Annick Bachand, qui est aussi le père de Marie-Chantale et d’Éloïse, en est le copropriétaire avec Frédéric Labrie. «On a tout le temps travaillé là, raconte Marie-Chantale. On voyait les drêches partir chez un fermier pour nourrir son bétail parce qu’il y a plein de protéines et de fibres.» Les drêches issues du brassage de la bière en milieu urbain finiront en compost ou s’en iront vers le dépotoir, de l’avis d’Annick Bachand. «On voyait le potentiel, continue Marie-Chantale. On savait que c’était un aliment très protéiné. Pour le plaisir, on avait testé des trucs avec la drêche. On avait fait des biscuits pour notre chien et il avait vraiment aimé ça!»

La finition des craquelins à saveur de tomates et basilic
Le pressage de la pâte à craquelin

L’histoire de Malterre

Lors de vacances en Europe, Annick Bachand et son conjoint ont vu des craquelins fabriqués à base de drêche. «Quand ils ont vu les craquelins à la drêche, ils se sont dit que c’était vraiment une bonne idée, raconte Marie-Chantale. Quand ils sont revenus au Québec, on a commencé à faire des tests à la maison.»

Puis, arriva le moment où Annick Bachand a demandé à ses filles si elles voulaient sauter dans l’aventure avec elle de fonder une entreprise de craquelins à la drêche. «Moi, j’ai tout de suite dit oui», indique Marie-Chantale. Si elle a fini par accepter de se joindre au projet, Éloïse, qui est enseignante, a cependant pris un moment pour y penser. «C’est une personne réfléchie, décrit sa mère. Donc, elle devait peser le pour et le contre. C’est intéressant parce qu’elle apporte une autre expertise.»

L’entreprise Malterre a célébré sa première année d’existence le 5 mars. «Mais, ça faisait longtemps qu’on travaillait là-dessus», précise Mme Bachand. Après le dépôt du plan d’affaires en septembre 2020, la jeune entreprise a pu bénéficier du soutien de la Société d’aide au développement des collectivités de la MRC de Rivière-du-Loup et d’aide financière gouvernementale. «On a ensuite contacté le Centre de développement bioalimentaire du Québec (CDBQ) de La Pocatière, qui a commencé à travailler sur notre projet. Comme on savait ce qu’on voulait, qu’on avait déjà une vision, ça s’est fait rapidement.» Installée dans les locaux du CBDQ, la jeune entreprise a commencé par une minuscule production. 

Le 5 mars, le lancement officiel a eu lieu Aux Fous Brassant. «On a fait goûter le produit aux gens, se souvient Mme Bachand. On était en pleine pandémie de COVID. Puis, on a vendu tous les craquelins qu’on avait en une soirée!»

La pâte à craquelin est cuite au four.
Les craquelins sont prêts pour l’ensachage.

Croissance fulgurante

Un an après le début de leur production, les craquelins Malterre étaient vendus dans une quarantaine de points de vente au Québec: des supermarchés, des fromageries et des restaurants. Depuis, plusieurs autres se sont ajoutés. Comme le produit est facile à gérer et qu’il se conserve plus longtemps que le pain, on le retrouve dans certains sites touristiques qui disposent d’une boutique et dans quelques entreprises agroalimentaires qui ont un kiosque de ventes. Des coachs nutritionnels conseillent aussi le produit. 

«À l’automne, on s’est vraiment fait “dévaliser”, se souvient Annick Bachand. Comme il n’y avait pas de partys de Noël, les gens ont acheté des cadeaux corporatifs. Des fleuristes placent nos craquelins dans les boîtes avec, par exemple, un petit pot de rillettes ou de confitures, une bouteille de bière ou de vin. Certains lieux d’hébergement, dans leur expérience client, offrent de petits goûters avec nos craquelins et une petite mousse de foie de volaille avec un vin local. Ce sont vraiment de belles collaborations. On est vraiment chanceuses!»

À peine un an après avoir commencé la commercialisation de leurs produits, Malterre a obtenu, le 26 mars, le prix Prestiges dans la catégorie «Nouvelle entreprise» lors du 46e gala des Prestiges de la Chambre de commerce de la MRC de Rivière-du-Loup, animé par le comédien Christian Bégin.

La production visée par l’entreprise était de 25 000 sacs de craquelins par année. Mais, avec l’acquisition de nouveaux équipements, Malterre projette de doubler sa production au cours de la prochaine année pour ensuite l’augmenter graduellement. Cependant, les trois femmes tiennent au caractère artisanal de leur entreprise. Pas question de devenir industriel. À LIRE AUSSI: On a gouté aux craquelins malterre

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TROIS VARIÉTÉS DE CRAQUELINS

Malterre propose trois variétés de craquelins végétaliens: algues et herbes salées, oignons confits ainsi que tomates et basilic. Dans tous les craquelins, la farine utilisée est celle de la Seigneurie des Aulnaies de Saint-Roch-des-Aulnaies, en Chaudière-Appalaches.

En se distinguant par ses notes maritimes, le craquelin aux algues et herbes salées célèbre les saveurs de l’Est-du-Québec. Il provient d’un mélange d’algues cueillies par l’entreprise Un Océan de saveurs de Gaspé et des Herbes salées du Bas-du-Fleuve de Sainte-Flavie. L’utilisation de drêches fraîches donne une consistance croquante au craquelin. Petit conseil des trois artisanes de Malterre: servez ces craquelins avec une trempette rafraîchissante, un tartare ou un poisson fumé.

L’ajout de confit d’oignons au cassis de l’entreprise Retour aux sources de Saint-Aubert, en Chaudière-Appalaches, apporte au craquelin sa couleur légèrement rosée. À servir avec des rillettes, une mousse de foie ou un végépâté. 

Le craquelin aux tomates et basilic se distingue par sa texture lisse issue de la farine de drêche. L’addition de la salsa de Retour aux sources apporte un goût affirmé de tomate. Une pincée de basilic est saupoudrée pour offrir un caractère tonifiant au petit biscuit. Il est suggéré d’agrémenter le craquelin de votre fromage favori ou de votre hummus maison. 

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ORIGINE DU NOM MALTERRE

«On donne une deuxième vie à un déchet, explique la copropriétaire Marie-Chantale Viens. Dans le nom Malterre, il y a une partie des mots alter ego. Puis, on voulait mettre en valeur le côté vert et notre volonté d’aider la planète. Donc, il y a le mot terre. Enfin, on a ajouté le mot malt. C’est doux, comme nom.»

Le slogan est «Créer, valoriser, savourer». «Créer parce qu’on offre une nouvelle option santé dans l’alimentation qui répond à nos valeurs, poursuit l’entrepreneure de 27 ans. Valoriser parce qu’on valorise un déchet, un coproduit, quelque chose qui n’était pas utilisé. Savourer pour savourer nos craquelins et le savoir-faire local de tous les producteurs autour de nous.»

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LA DRÊCHE EN BREF

La drêche, ce sont ni plus ni moins que les résidus céréaliers solides issus de la production brassicole. Les grains, dont l’orge, sont au cœur de la fabrication de la bière. Une fois le processus de maltage terminé, les céréales sont concassées et brassées dans de l’eau chaude. Par la suite, elles sont filtrées pour en récolter un liquide sucré: le moût. La filtration génère des résidus de malt. Ceux-ci constituent les drêches, qui représentent 85% des produits dérivés de l’industrie de la bière, ce qui est beaucoup. 

La drêche est composée de beaucoup de fibres et de protéines. «Ça donne une base qui est plus nutritive que si on prenait seulement une farine, spécifie Mme Bachand. Donc, nos craquelins ont plus de fibres et de protéines que ceux du marché.»

Les quelque 39 millions de kilogrammes de drêches produites annuellement au Québec sont principalement destinées à l’alimentation animale en agriculture ou finissent au compost ou pire, à la poubelle. En résumé, les Québécois aiment boire et produire de la bière, mais les options de valorisation du produit sont rares. Malterre vient donc proposer une option visant à réduire l’empreinte écologique de ce sous-produit, tout en contribuant au développement économique de sa région. En quelques étapes, les drêches sont transformées en craquelins qui, en plus de plaire à un marché en croissance, participent à la lutte contre le gaspillage alimentaire.