Akira Mizubayashi: écrire au son de la musique… et de la guerre

Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d'expression française.

C’est connu : le hasard fait souvent bien les choses. Comme mettre sur le chemin de l’auteur japonais Akira Mizubayashi des œuvres ou des personnes qui sèment en lui l’ébauche de fictions. Son nouveau roman, Reine de cœur est d’ailleurs le fruit de ses rencontres fortuites avec l’art, l’histoire et son passé familial.


C’est tout d’abord en lisant Le meurtre du commandant du célèbre écrivain japonais Haruki Murakami qu’Akira Mizubayashi a eu l’une de ses premières étincelles. Un court passage, marginal à l’intrigue du roman, lui «a fait signe».

Quoique violente, la scène en question portait sur un musicien obligé de voyager en Chine afin de décapiter un prisonnier chinois. Un geste troublant qui a rendu le fou le compositeur et l’a poussé au suicide. 

«Cet extrait m’a frappé, car il m’a rappelé une scène du très grand film japonais La condition de l’homme, un long métrage de plus de neuf heures réalisé par Masaki Kobayashi», explique l’écrivain d’expression française, en entrevue au Soleil

De fil en aiguille, les variantes de cette scène utilisée par plusieurs créateurs a fait remonter des souvenirs chez Akira Mizubayashi, notamment ceux de son père qui a été soldat durant la guerre de Quinze ans. Ce dernier a profondément souffert de ces combats qu’a menés le Japon en Chine, entre 1931 et 1945. 

«Mon père est une personne qui a essayé de transmettre ses souvenirs de la guerre à ses deux fils. Nous avons grandi dans une sorte de haine face à la guerre. Il disait “plus jamais ça. Ce n’est pas possible. Il ne faut pas recommencer des choses pareilles”. […] 

«Cette guerre vit en moi par l’intermédiaire de mon père. Je la vis par une procuration paternelle. C’est lui qui me demande d’écrire et de parler à sa place. Parce que lui il n’a pas pu témoigner de façon publique. […] 

«Une partie — peut-être minoritaire — des Japonais refuse d’oublier cet épisode. Alors que l’autre partie de la population veut se comporter comme si tout ça n’avait jamais existé. Il y a toute une vision négationniste et révisionniste de l’histoire. Les forces politiques qui sont au pouvoir depuis des décennies sont de cette tendance-là», ajoute le septuagénaire qui n’a donc pas vécu le conflit sino-japonais, mais qui se dit malgré tout marqué par celui-ci. 

Selon lui, le peuple japonais porte toujours en son histoire les traces de la guerre de Quinze ans. Ne serait-ce que par les vingt millions et trois millions de morts faits respectivement du côté des troupes chinoises et nipponnes.

<em>Reine de cœur</em>, Akira Mizubayashi, 240 pages.

Habité par une foule d’œuvres, son passé familial ainsi que le récit d’une vraie histoire d’amour dont au laissera aux lecteurs le plaisir de découvrir les détails, Akira Mizubayashi avait en main les bases de son prochain roman. L’auteur, qui a débuté sa rédaction en janvier 2020, a donc profité du confinement et de «la vie recluse» que lui a permise la pandémie pour créer. 

Deux ans plus tard, il offre ainsi à ses lecteurs Reine de cœur. Au fil des 240 pages, ceux-ci découvriront l’histoire de Jun, un étudiant au Conservatoire de Paris qui se voit dans l’obligation de rentrer au Japon afin de prendre part au conflit sino-japonais. 

Déchiré, il devra ainsi laisser derrière sa «reine de cœur», Anna, une femme dont il est éperdument amoureux, son grand amour.

Avec Mizuné, une jeune altiste parisienne — qui est aussi la petite-fille de Jun et Anna —, le public reconstruira ainsi tranquillement le récit de cette histoire d’amour. Le tout, grâce à des extraits de journaux personnels, grâce à un roman qui changera tout...

Coucher sur papier la musique

Le fidèle abonné de l’Orchestre philharmonique de Berlin a également été, dès le début de son écriture, «fasciné et séduit» par un morceau trouvé dans les spectacles archivés de la troupe :  la 8e symphonie de Chostakovitch, dirigée par Andris Nelsons.

En plus d’être importante au fil de l’histoire, la pièce donne sa structure à Reine de cœur, construit en cinq mouvements.

«Quand j’écoute cette symphonie, je vois la guerre. […] Elle a été écrite en 1943, en pleine période de guerre. Chostakovitch l’a rédigé en deux mois et, dans ses témoignages, il dit que toutes ses symphonies sont des tombeaux édifiés pour les victimes de la guerre», relate l’écrivain, qui prend un réel plaisir à décrire précisément ces concerts «qu’on ne consomme pas», «qu’il faut réécouter plusieurs fois».

De façon générale, la musique est d’ailleurs «omniprésente» sous sa plume, et ce, depuis son premier ouvrage, affirme-t-il. 

Avec son roman Âme brisée (2019), dans lequel il abordait également la guerre sino-japonaise et la musique classique, Reine de cœur pourrait ainsi devenir le deuxième volet d’une éventuelle trilogie. Après avoir écrit sur le violon puis l’alto, Akira Mizubayashi souhaiterait créer autour du violoncelle afin de compléter cet «ensemble romanesque». 

«Quand je cherche à comprendre un sentiment, quand je cherche à décrire une émotion, tout naturellement, il y a une musique qui vient à ma rencontre», affirme l’auteur qui n’écoute cependant aucune mélodie lorsqu’il rédige ses histoires.

«Une question d’ordre linguistique»

Né en 1951, à Sakata, dans le nord du Japon, Akira Mizubayashi a publié quelques essais dans sa langue maternelle avant de faire le choix d’écrire ses œuvres en français. 

Cette décision, il l’a prise après la tragédie nucléaire de Fukushima, en 2011. 

«C’est très long à expliquer, mais ce qui a été décisif [de la transition], c’est Fukushima. J’ai été très choqué par la manière dont le gouvernement a essayé de minimiser cet événement et d’en effacer la mémoire. Puis, par la façon dont les autorités politiques ont abandonné toute une population. Au départ, ce sont 200 000 personnes qui ont perdu leur maison, leur travail, etc.

«Pourquoi on n’arrive pas à titre de leçon de tout ça? Pourquoi il n’y a pas de grand débat national sur le nucléaire? [...]

«Je me suis dit que c’était peut-être lié à la langue. C’est la langue qui médiatise. Tout passe par la langue. […] Peut-être que c’est une question d’ordre linguistique. Et c’est pour ça que j’ai décidé de sortir pour une durée indéterminée de ma langue maternelle», explique brièvement Akira Mizubayashi.

Son tout premier ouvrage en français, Une langue venue d’ailleurs, porte notamment sur ce changement linguistique. 

Reine de cœur est offert en librairie.