Avouez que c’est quand même fort de café, après plus d’une décennie à débattre publiquement de la nécessité d’une vraie reconstruction qui plongerait le Canadien dans les bas-fonds du classements, stratagème visant justement à s'assurer de la première sélection du repêchage.
C’est le seul moyen efficace de bâtir une future équipe championne de la Ligue nationale, ont répété certains. C’est ce qu’ont réussi les Penguins de Pittsburgh et les Blackhawks de Chicago, par exemple.
Sauf que ça ne fonctionne pourtant pas à tout coup. Il faut regarder la pénible expérience des Sabres de Buffalo pour s’en convaincre, il arrive que la fusée ne décolle pas au bon moment, quand elle arrive à décoller tout court un jour.
Nous voilà donc en 2022 et les Canadiens de Montréal, pire équipe de toute la LNH cette saison, ont obtenu le privilège de repêcher au premier rang. De derniers, une première pour les Glorieux depuis la campagne 1939-40, ils sont maintenant les premiers.
Pendant ce temps, Shane Wright réitère son désir sincère d'être repêché par l'équipe la plus titrée du hockey. Jeune homme de bonne famille et mature, l'Ontarien porte l'étiquette de joueur exceptionnel depuis trois ans et a été capitaine partout où il est passé. Voilà un joueur complet et mature physiquement, doté de leadership et de sang-froid. Il a beaucoup écopé de son année perdue en raison de la pandémie en 2020-21, période pendant laquelle la plupart des meilleurs hockeyeurs de son groupe d'âge, eux, pouvaient continuer de s'améliorer.
Une première depuis Wickenheiser
L’attente de voir le Canadien être la première équipe à parler lors du repêchage de la LNH dure depuis 1980, année de la sélection de Doug Wickenheiser, un franc-tireur naturel de l’ouest canadien, deux rangs devant un certain Denis Savard, réclamé troisième par les Blackhawks de Chicago.
Le contexte est fort différent puisque cette année-là, le Tricolore avait terminé au troisième échelon du classement général, avant de finalement s’incliner en quarts-de-finale, en sept parties, contre les North Stars du Minnesota. Les Islanders de New York, menés par Mike Bossy, Bryan Trottier et Clark Gilles, venaient d'interrompre la séquence de quatres coupes Stanley consécutives du Canadien. La médiocrité n'était donc pas en cause cette fois-là.
Le plan machiavélique pour obtenir ce premier choix remontait à 1976, année où le directeur général du temps, Sam Pollock, avait échangé les droits de Ron Andruff, joueur par excellence dans la Ligue américaine de hockey en 1975-76, et de Sean Shanahan aux ex-Scouts de Kansas City, les piètres Rockies du Colorado, pour une inversion de choix de premier tour en 1980.
La cible n’était ni Doug Wickenheiser, joueur le mieux classé par la Centrale de recrutement de la LNH en 1980, ni Denis Savard, un petit doué du Junior de Montréal. Pollock ne visait pas non plus Dave Babych (2e au total quatre ans plus tard) et encore moins Paul Coffey (6e), mais bien Wayne Gretzky, qui a finalement joint les rangs des Racers d’Indianapolis dans l’Association mondiale de hockey (AMH) et qui n’a jamais été repêché à son année d’éligibilité dans la LNH, en 1980. Ses droits ont ensuite été vendus aux Oilers d'Edmonton, dans l'AMH, avant leur admission dans la LNH.
Wickenheiser est donc devenu le premier choix au total «par défaut» du Canadien, le 11 juin 1980, au Forum de Montréal. Le successeur de Pollock, Irving Grundman, héritait ainsi de toute une patate chaude entre les mains : repêcher le meilleur joueur disponible au premier rang, tout en ne répétant pas l’erreur de 1977, celle d’ignorer Mike Bossy, finalement repêché 15e par les Islanders de New York, au profit de Mark Napier (10e au total).
La sélection de Wickenheiser, que le recruteur du Canadien Eric Taylor avait comparé à un «Maurice Richard au centre», au lieu de Denis Savard, aura collé à la peau de Grundman, même si elle venait du recruteur-chef du Canadien, le prof Caron. La décision des recruteurs du CH teintera le reste du règne de Grundman et finira aussi par le couler. Le DG du Canadien sera congédié en 1983, par le président du club, Ronald Corey.
Le dilemme de 2022
La bonne nouvelle pour Jeff Gorton et Kent Hughes, c’est qu’il n’y a pas de joueurs québécois dans le décor parmi les cinq meilleurs espoirs du repêchage pour venir les hanter en 2022. Le champ est libre et avec 14 choix sous la main, ils pourront sans doute réclamer quelques joueurs d'ici après leur première sélection.
La mauvaise, c’est que comme Irving Grundman, ils héritent eux aussi d’une patate chaude : devoir se prononcer au tout premier rang après une saison catastrophique liée au bilan de l’ancienne administration et plusieurs années de vache maigre lors du repêchage.
Le jeu des attentes est complètement différent 42 ans plus tard après la sélection de Doug Wickenheiser, dont la carrière professionnelle n'a jamais vraiment décollé. Comme la fusée des Sabres de Buffalo...
On ne sait jamais comment les choses vont tourner avec la science inexacte du repêchage, mais une chose est certaine, le tandem Gorton-Hughes jouera gros le 7 juillet prochain au Centre Bell. Les nouvelles têtes dirigeantes du Canadien ne pourront pas se tromper et comme le 11 juin 1980, ils seront des milliers d'amateurs à les regarder manœuvrer.