Chronique|

On a attendu que la bombe saute

Plusieurs personnes savaient que l’Hôtel Albert avait des problèmes de sécurité, mais c’était plus facile fermer les yeux que prévenir le problème.

CHRONIQUE / Il n’y a sûrement pas grand monde qui est tombé en bas de sa chaise en apprenant que l’Hôtel Albert était devenu dangereusement insalubre. Je ne parle pas de la clientèle (et des préjugés sur celle-ci), mais bien de la bâtisse. On savait que ce n’était pas sécuritaire. Pourtant, rien n’a été fait.


Je n’ai pas vu d’images de l’intérieur du mythique endroit, mais j’en ai entendu parler. À peu près jamais en bien, si ce n’est que c’est une des très rares options pour une population marginalisée.

Quand c’est rendu que la mesure de sécurité exigée est une simple feuille de gypse, c’est que la barre est très basse. On peut se demander ce qui peut bien servir de mur. Des planches? Des rideaux?  

Des échos que j’ai eus, je sais qu’il existe des squats mieux organisés que l’Hôtel Albert. Il existe des communes autogérées dans des manufactures abandonnées vraiment mieux gérées, vraiment mieux équipées et vraiment plus sécuritaires que cet endroit. 

C’est à se demander c’est quoi le modèle d’affaires du propriétaire, Lionel Cuggia. 

L’argument «vaut mieux un toit que rien du tout» pourrait se défendre si c’était un squat, un lieu autogéré par les personnes marginalisées, mais on parle ici d’un propriétaire qui loue ces espaces à des gens. De ce point de vue, M. Cuggia a donc une responsabilité envers la clientèle, qu’elle soit défavorisée ou non. 

S’il récolte des profits parce qu’il ne fait aucune rénovation, c’est problématique. Si, au contraire, les mensualités qu’il demande, 250$, ne sont pas suffisantes pour couvrir les frais nécessaires pour avoir un lieu sécuritaire, ça soulève d’autres problèmes. Peu importe, il y a un problème. 

M. Cuggia a beau se dire inquiet pour les personnes qui seront bientôt évacuées, il a beau soulever le réel enjeu de la pénurie de logements abordables, fait-il réellement partie de la solution? 

Le propriétaire ne semble pas très intéressé par les rénovations de manière générale. Il a déclaré que démolir pour faire des stationnements «rend [sa] vie plus facile». C’est d’ailleurs ce qu’il a fait avec l’ancien bar le Vénus, sur King (entre Camirand et Alexandre). Sa propriété sur la rue Gordon est aussi abandonnée depuis des années. 

Laisser pourrir jusqu’à démolition semble, jusqu’à maintenant, le modus operandi de Lionel Cuggia. Ce qui n’annonce rien de bon pour l’Hôtel Albert et sa clientèle. Un stationnement au coin de King et Bowen ne serait pas seulement une erreur urbaine, ça ne donnerait pas plus un toit abordable à cette population qui en a bien besoin. 

Pas mal tout le monde se doutait que les chambres de l’Hôtel Albert n’étaient pas top. Des policiers et policières sur le terrain le constataient, comme des travailleurs et travailleuses du communautaire. Des premières alertes auraient été données dès 2020.

Mais on dirait que certaines informations clés n’ont pas toujours remonté jusqu’aux hautes directions. Pourquoi les directions d’autant de services municipaux semblent surprises de l’ampleur du problème? Et la mairie? La direction régionale des services sociaux était-elle au courant?

Les informations étaient là, suffisait de se pencher pour le savoir, mais on se couvrait les yeux.

C’est facile, là, de dire que ça prend au dépourvu. La réalité, c’est que collectivement, on a laissé pourrir le dossier. Parce que soutenir cette partie de la population n’est jamais une priorité. C’est pas mal toujours dans le bas de la liste. Sauf quand ça pète.

Si on avait agi en amont, on s’inquièterait peut-être moins pour toutes ces personnes qui risquent de se retrouver à la rue. Si on écoutait davantage cette population marginalisée, on aurait pu trouver des solutions adaptées à leurs besoins, monter des projets qui auraient pu aussi les aider dans leur autonomie et émancipation. 

Le logement est un droit fondamental, faut-il le rappeler. Ne pas avoir de toit met en danger la vie d’une personne. C'est loin d’être banal.

Ce n’est pas vrai que tout le monde peut rentrer dans le mode de vie généralisé par notre société. Pour différentes raisons (éducation, exclusions sociales, incapacités d’adaptations, traumatismes, maladies mentales, etc.). Tant pis pour eux? C’est un peu trop facile.

La société génère cette exclusion, c’est donc notre responsabilité de ne pas l’abandonner. Est-ce la faute de cette clientèle s’il n’existe pas d’endroits entre la rue et les refuges et les logements traditionnels? Si le filet social est troué? Il y a un gros besoin qui n’est visiblement pas comblé quelque part.

D’autant plus que c’est démontré qu’un toit stable est souvent la clé pour ensuite attaquer les autres enjeux. Ça permet aux organismes communautaires de les accompagner et les suivre.

Il y a quelque chose d’hypocrite, ou de l’ordre de l’ignorance, quand la société s’indigne de la toxicomanie, de la violence, de l’itinérance, mais repousse ce qui pourrait les aider. Les rejeter et les abandonner, ça fait partie du problème. 

L’actuel propriétaire de l’Hôtel Albert semble dire que c’est trop compliqué rénover la bâtisse. Difficile se fier à lui. Mais si j’étais une députée de la région, mairesse ou directeur d’un service essentiel, je pousserais fort pour que l’édifice passe aux mains du communautaire. Eux sauraient pas mal mieux gérer la place – en plus de tout l’impact positif pour la clientèle et le centre-ville.

Le propriétaire ne le cèdera probablement pas malgré son chialage. Si les villes pouvaient mieux sévir contre les mauvais propriétaires, ça aiderait. En attendant, s’il existe des fonds pour de mauvais investissements comme le Panier bleu, il doit bien en avoir quelque part pour ce genre de projets structurants.