{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F591d34b6-c406-47fa-9e81-7357ca832b25.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Collaboration spéciale"},"email":"flavoie@lequotidien.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fae052896-28a3-415c-995e-b15194245025.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Frédérick Lavoie","source":"Le Quotidien"}],"channel":"Frédérick Lavoie","chapters":[{"position":0,"text":"

Je suis farouchement pacifiste et antimilitariste. Je voudrais voir toutes les armes de cette planète fondues et transformées en massives tables de négociations permanentes. Je n’arrive même pas à admirer les gens qui choisissent d’aller au front pour se battre, du moins pas plus que je n’admire ceux et celles qui le fuit pour sauver leur peau. J’ai du mal à faire la part des choses entre le sens du sacrifice des combattants et une certaine attirance malsaine qu’ils peuvent éprouver pour le goût du sang.

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Or, mes fantasmes et mes réserves n’ont aucun poids face aux actes de conquête et de domination de brutes comme Vladimir Poutine. Pendant que je rumine sur la moralité de l’action armée, la brute, elle, poursuit l’exécution de son plan, sans états d’âme.

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S’il y avait une quelconque possibilité de négociation avec Vladimir Poutine en ce moment, je plaiderais bien sûr pour qu’on la saisisse. Mais il faut se rendre à l’évidence : il n’y en a pas. On ne lance pas une guerre de conquête pour en négocier prématurément la fin, à moins d’être acculé au pied du mur un couteau sur la gorge.

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Malheureusement, donc, le seul langage que nous pouvons utiliser pour freiner les plans de Vladimir Poutine en ce moment est le sien, celui des armes.

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Dans la cour d’école, la brute qui intimide et torture ses camarades de classe risque de se voir punie par une autorité supérieure. Mais dans l’arène internationale, quand les pays les plus puissants martyrisent les plus faibles, personne ne peut les arrêter sinon d’autres puissants.

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Je ne souhaite pas plus que vous le déclenchement d’une troisième guerre mondiale, d’autant moins si elle implique un festival d’ogives nucléaires, menace que brandit habilement Vladimir Poutine. Mais c’est justement pour la prévenir qu’il faut agir maintenant. Car plus on laisse la brute prendre du terrain et dicter les règles du jeu, plus l’avenir risque de jouer en sa faveur et nous conduire vers un conflit de grande ampleur.

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Zone d’exclusion

Depuis le début de l’invasion russe, les autorités ukrainiennes supplient les pays occidentaux d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de leur territoire. L’OTAN refuse, de crainte de provoquer une escalade. Vladimir Poutine les effraie en disant qu’une telle décision serait le signe d’une implication directe de l’OTAN dans le conflit.

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Il est vrai que cela voudrait dire que les avions russes qui bombardent les villes ukrainiennes s’exposeraient désormais aux missiles de l’Alliance atlantique.

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Et alors ?

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Qui est Vladimir Poutine pour décider qui a le droit ou non de défendre l’Ukraine face à son agression ? Qui est-il pour décider à la place du gouvernement ukrainien de l’aide extérieure qu’il peut ou ne peut pas recevoir pour assurer sa protection ? Il peut bien croire que l’Ukraine n’est « pas un vrai pays », que son territoire et son peuple sont historiquement liés à la Russie, et donc qu’il peut décider de son sort, nous n’avons pas à acheter sa salade. Imposer une zone d’exclusion aérienne serait un premier pas pour interrompre son monopole sur l’ordre du jour militaire et la trame narrative du conflit.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Des victimes de la guerre en Ukraine sont portées à leur dernier repos.","contentType":"image","credits":"AP, EFREM LUKATSKY","position":10,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F57feebbe-709e-473d-a495-0e982ae51bb9.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":11,"text":"

On ne parle d’ailleurs pas ici d’une attaque directe de l’OTAN contre le territoire russe — ce que Poutine a indiqué être une ligne rouge —, mais d’une défense du territoire ukrainien dans le but de sauver les vies des civils qui se prennent des bombes russes sur la tête depuis maintenant dix semaines. La nuance est importante : défendre l’Ukraine, à la demande de son gouvernement légitime, et non attaquer la Russie. Stopper la brute et l’empêcher d’agir à sa guise, en toute impunité.

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On ne peut évidemment prévoir la réaction de Vladimir Poutine face à un tel développement, mais la supériorité de la défense antiaérienne de l’OTAN l’obligerait certainement à reconsidérer sa stratégie. Il aurait à y penser à deux fois avant d’envoyer ses avions bombarder les villes ukrainiennes. Plutôt que de conduire à une escalade, il est tout à fait imaginable qu’une telle mesure ait ainsi un fort effet dissuasif.

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Pour l’instant, les pays occidentaux se sont contentés de fournir des armes à l’Ukraine et d’imposer des sanctions économiques contre la Russie. La première mesure permet aux forces ukrainiennes de tenir le coup. Toutefois, cet afflux d’armes ne semble pas suffisant pour forcer la Russie à accepter un cessez-le-feu et à se retirer des territoires qu’elle occupe, du moins pas à court terme. Quant à la seconde mesure, comme je l’ai noté dans une chronique précédente, elle donne peut-être aux pays occidentaux et à leurs citoyens et citoyennes l’impression d’agir pour le bien de l’Ukraine, mais elles se révèlent pour la plupart inutiles pour freiner la machine de guerre russe, et même contreproductives.

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Orwell et le pacifisme

Il suffit de regarder la télévision russe en ce moment pour se convaincre de l’intensité et de l’ampleur de la folie guerrière dans laquelle Vladimir Poutine a plongé son pays. Les commentateurs et commentatrices n’ont plus aucune gêne à nier l’humanité des civils ukrainiens afin de justifier leur massacre; ces mêmes civils russophones que la Russie disait venir sauver il y a quelques semaines encore en envahissant l’Ukraine. Maintenant, aux yeux de la propagande russe et d’une bonne partie de la population du pays, tout le monde en Ukraine, dirigeant ou civil, est un « nazi ». Un nazi qui mérite la mort.

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On discute aussi ouvertement à la télévision d’État russe de la possibilité de lancer une attaque nucléaire contre des villes comme Londres, animation graphique à l’appui. C’est contre cette normalisation des actes génocidaires et de la perspective d’une guerre nucléaire qu’il est urgent d’agir.

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Je n’aime pas prendre de raccourcis pour comparer tout et n’importe quoi à l’Allemagne hitlérienne, mais force est de constater que la Russie poutinienne en a de plus en plus les airs. C’est pourquoi on ne peut se contenter d’espérer une paix négociée à coups d’appels à la raison.

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En 1941, en pleine Seconde guerre mondiale, George Orwell — ma boussole morale en matière de réponse à la guerre et à l’autoritarisme — mettait justement en garde ses concitoyens contre leurs espoirs de fin hollywoodienne au conflit.

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« Nous, en Angleterre, sous-estimons le danger [du fascisme conquérant] parce que nos traditions et notre passé sécuritaire nous ont donné la conviction sentimentale que tout se terminera bien à la fin et que les choses que nous craignons le plus n’arriveront jamais. »

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« Nourris par des siècles de littérature dans laquelle le Bien triomphe invariablement dans le dernier chapitre, nous croyons à moitié instinctivement que le mal finit toujours par perdre sur le long terme. Ne résistez pas au mal, il se détruira lui-même d’une façon ou d’une autre. Mais pourquoi le devrait-il ? Quelle preuve avons-nous qu’il en sera ainsi ? »

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Orwell qui, loin d’être un va-t-en-guerre, avait longtemps prôné la négociation pour éviter un conflit mondial en arrivait ainsi à la conclusion qu’il n’existait désormais « pas d’autres possibilités réelles entre résister à Hitler et capituler devant lui ».

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« Le pacifisme est objectivement pro-fasciste », allait-il même jusqu’à dire. C’est du bon sens élémentaire. Si vous entravez l’effort de guerre d’un côté, vous aidez automatiquement celui de l’autre. Il n’existe pas non plus de moyen réel de rester en dehors d’une guerre comme la guerre actuelle.

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En fait, comme le notait Orwell, le seul endroit où le pacifisme est moralement nécessaire et important en temps de guerre, c’est dans le pays agresseur même. Et ça, Poutine le sait très bien. C’est pourquoi il a prévu une peine de 15 ans de prison pour quiconque ose se lever pour dire : « Non à la guerre! »

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