Dans le jargon, on appelle ça un 4/14, quatre jours travaillés sur deux semaines.
Il y en avait partout au Québec.
Quand elle a lu la nouvelle convention collective négociée à l’automne entre le gouvernement et la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), elle est tombée des nues. «Il y a une clause qui prévoit que les postes comme le mien, et tous ceux qui sont des 6/14 et moins, vont devenir des 7/14. Et je n’ai pas mon mot à dire, mon poste va devenir un 7/14, on m’y oblige.»
On lui avait déjà offert, à elle et à tous les autres employés qui travaillent à temps partiel, d’augmenter le nombre de jours travaillés. «Ils nous l’ont proposé, il y en a qui ont accepté parce que ça faisait leur affaire, mais les autres ont gardé leurs postes, comme moi, parce que ça faisait notre affaire.»
Avec tout le débat sur le temps supplémentaire obligatoire (TSO), jamais elle n’aurait cru qu’on lui imposerait des semaines plus chargées. «J’ai obtenu ce poste [4/14] en 2012. Je l’ai choisi et j’ai signé ce contrat. J’ai organisé ma vie autour de ça. Ça ne m’empêchait pas de faire du temps supplémentaire quand je pouvais, ou même des semaines de sept jours pendant la pandémie. Mais là, avec cette nouvelle convention collective, on vient me dire que le contrat qui a été signé ne tient plus, que nos postes changent sans notre consentement, sans tenir compte de nos réalités.»
L’infirmière ne décolère pas. «Est-ce qu’il y avait des petits caractères m’indiquant que ce poste pouvait être changé dans une nouvelle convention collective obtenue par mon syndicat?»
Cette clause de rehaussement obligatoire des postes à temps partiel faisait évidemment partie d’un grand tout, de l’ensemble des changements négociés entre le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et votés en assemblée par les membres. «La nouvelle convention, c’est très volumineux, la clause était glissée dedans. Je l’ai remarquée parce que ça me touche, mais ça a été très peu discuté.»
Elle n’est pas la seule dans cette situation, le rehaussement obligatoire touche des milliers d’employés dans le réseau. «Juste autour de moi, on est cinq. Il y en a une qui va partir, une autre qui est en maladie et qui ne le fera pas et moi, je regarde mes options. Est-ce que je reste au public? Est-ce que je reste infirmière? Ça reste que les conditions sont difficiles.»
Si les trois partent, on ne sera pas plus avancés.
La nouvelle convention collective prévoit des exemptions pour les gens qui travaillent ailleurs dans le réseau, pour ceux qui enseignent, pour ceux qui étudient à temps plein dans un domaine connexe à leur poste et ceux qui ont 55 ans et plus. Comme une demi-clause grand-père.
Véronique n’a pas encore 40 ans.
De la douzaine de CISSS (Centres intégrés de santé et de services sociaux) et de CIUSSS (Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux) que j’ai contactés, la plupart ont accordé des exemptions uniquement en vertu de ces quatre critères. Au Saguenay Lac-Saint-Jean par contre, Pierre-Alexandre Maltais m’indique que «des exemptions pour raisons humanitaires peuvent également être accordées au besoin».
Quel genre de raisons? «Il peut s’agir d’une demande en lien avec une situation familiale, par exemple, qui nécessiterait une période d’adaptation au nouvel horaire, auquel cas nous acceptons de donner une exemption pour une période déterminée, en accord avec l’employé et la partie syndicale.»
C’est ce que tente de faire Véronique, trouver un terrain d’entente pour qu’elle puisse conserver son bon vieux poste. «On me dit que la porte est ouverte pour une discussion, qu’ils m’entendent, mais il ne se passe rien. On a évoqué la possibilité que les trois autres jours soient des sans solde, mais je n’en sais pas plus. Et puis, qu’est-ce qui me dit que ça sera respecté? Pendant la pandémie, toutes les ententes dans ce genre-là ont été suspendues, ça ne tient pas à grand-chose.»
Elle aimerait pouvoir compter sur son syndicat.
Dans d’autres régions, en Mauricie et au Centre-du-Québec notamment, des demandes d’exemptions comme celle de Véronique ont été faites. «Nous avons reçu une dizaine de demandes d’exemptions que nous évaluons actuellement», m’informe l’agente d’information Julie Michaud.
En Outaouais, l’agente d’information indique que le CISSS travaillait déjà à rehausser les postes et confirme que les employés n’avaient plus le choix avec la nouvelle convention. «Il s’agit d’une obligation prévue à la convention collective nationale, […] ils ne pouvaient pas ne pas accepter le rehaussement.»
Du côté de la FIQ, on défend cette obligation. «En plus de permettre davantage de prévisibilité pour toutes les équipes de travail, le rehaussement aura à terme des effets positifs sur la charge de travail (réduction du temps supplémentaire et du temps supplémentaire obligatoire), la continuité des soins, l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre dans le réseau public de santé, etc. L’un des objectifs était aussi de rendre le réseau de la santé moins dépendant des agences de placement», m’a répondu par courriel Liliane Côté, responsable des relations de presse.
On m’a aussi expliqué que, de toute façon, la plupart des infirmières et des infirmières auxiliaires faisaient déjà du temps supplémentaire, que c’était donc une façon d’être plus conforme à la réalité. Soit, Véronique faisait en effet du temps supplémentaire, mais elle vivait bien avec ça.
La formule qu’elle avait lui convenait totalement. «J’adore mon travail, j’aimerais juste qu’on respecte le poste que j’avais.»
La FIQ assure que la plupart des personnes visées sont satisfaites. «Les postes à temps partiel minimum [6 quarts par période de 14 jours ou moins] ne correspondaient plus aux attentes de la main-d’œuvre actuelle. Les postes avec peu de quarts de travail sont peu attrayants, même si nous sommes bien au fait que cela peut plaire à une partie de notre membership.»
Comme à Véronique, qui sent qu’elle a été sacrifiée à la table de négociation. «La négociation collective n’est pas un exercice parfait, convient la FIQ. Il fallait trouver l’équilibre entre les besoins et les objectifs à atteindre pour globalement améliorer les conditions de travail de l’ensemble de nos membres. […] Cela permet d’offrir plus de flexibilité pour nos membres tout en permettant la conciliation travail-famille-vie personnelle.»
À en croire la FIQ, Véronique et tous les autres qui auraient aimé conserver leur poste devraient sauter de joie. «Le rehaussement a aussi une incidence positive sur l’autonomie financière des femmes, puisque les sept quarts de travail effectués par chaque période vont dorénavant être comptabilisés pour la retraite, ce qui n’est actuellement pas le cas avec le temps supplémentaire ou le TSO. En ayant plus de professionnelles en soins sur le plancher, il y a moins de risque qu’elles se fassent imposer du TS ou du TSO. Ainsi, elles ont un meilleur contrôle de leur vie à l’extérieur du travail.»
On vient leur dire, en somme, ce qui est bon pour elles.
* Prénom fictif