Contactée par Le Soleil dans les derniers jours, Louise Baribeau suivra avec émotion les derniers hommages que le Québec s’apprête à réserver à l’ex-légende des Canadiens de Montréal. Lafleur sera exposé en chapelle ardente au Centre Bell, dimanche et lundi, et aura droit à des funérailles nationales à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde mardi à Montréal.
«En pensant à grand-maman, c’est sûr, confie-t-elle. Elle aurait couru pour être la première en avant. Je suis sûr qu’elle est là-haut et qu’elle l’attend.»
Mère de trois garçons, Bernard, Laurent et Richard, Éva Baribeau a développé une affection profonde pour Lafleur en l’hébergeant dans son imposante maison située au 238, boulevard Benoît-XV à Limoilou. Au point où la veuve dans la soixantaine a considéré le numéro 4 des Remparts comme son «quatrième fils».
«Elle avait un énorme respect pour lui, se souvient Louise, l’aînée des petits-enfants de la disparue. Elle n’a jamais hébergé personne d’autre que lui. Grand-maman a toujours dit que Guy c’était son dernier petit gars. Elle en a pris soin et voulait que tout soit parfait.»
Leur première rencontre a eu lieu dans une salle de quilles et c’est par la suite que la dame a pris Lafleur sous son aile. La joueuse de golf a présenté le garçon au tempérament timide à son grand cercle de connaissances, l’a motivé et lui a enseigné une foule de petits trucs de la vie. «Les règlements étaient stricts et son alimentation était surveillée. Son régime pour Guy, c’était le filet mignon et la crème glacée. Elle lui disait que la viande et les légumes, c’était bien important. L’alimentation, c’est ça qui faisait de bons sportifs!»
La chambre et le bureau du Démon blond étaient d’une propreté exemplaire. Sur un mur de la cuisine, l’attaquant des Remparts y avait accroché un poème de l’écrivain britannique Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils :
«Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi»
L’importance des cravates
«Jamais je n’ai été déçue par son comportement, expliquera Mme Baribeau à La Presse en 1971. Il est réservé, mais sensible et expressif à la fois. Il est prêt à tout pour rendre les autres heureux, pour rendre service, pour venir en aide aux moins privilégiés.»
C’est en suivant ses conseils que Guy Lafleur s’est forgé une réputation d’homme à la mode lors de ses années chez les Remparts, de 1969 à 1971. «Il ne mettait pas de cravate et un moment donné ma grand-mère lui a dit : “C’est important les cravates!” sourit Louise Baribeau. Elle est allée lui en acheter et elle lui faisait ses nœuds. Ça me faisait mourir! J’étais toute petite et c’est là que j’ai appris à faire des nœuds de cravate!»
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La doyenne des Baribeau était une spectatrice attentive lors des matchs des Remparts au Colisée. Vêtue d’une petite robe à fleurs et d’un chapeau, rien ne lui échappait. «Elle était une fanatique et elle prenait des notes. Après les matchs, elle lui faisait un compte-rendu, et lui disait : “Tu aurais dû faire ça : j’ai vu que tu as été distrait sur cette séquence-là”. Elle a voulu en faire un homme parfait parce qu’elle l’aimait beaucoup.»
Lors de l’annonce de la première retraite de Lafleur en 1984, Madame Baribeau lui rendra un vibrant hommage dans les médias.
Je garderai toujours un très bon souvenir de ce jeune homme, poli, posé, du temps qu’il est resté chez moi, dira-t-elle au Soleil. Il m’a fait passer par je dirais une cure de rajeunissement quand il jouait junior.
C’est toutefois en 1971, à l’occasion d’une fête réservée à Jean Béliveau que la «deuxième mère» de Lafleur lui aura fait le plus bel honneur, en le comparant à son idole. «Il n’y a pas que le numéro derrière leur chandail : leur taille, leur facilité à capter des buts et leur succès devant la foule québécoise qui rapprochent ces deux hommes par leurs similitudes. Jean Béliveau a sans doute donné l’exemple à Guy. Les deux ont beaucoup d’autres points en commun. Ce sont deux hommes extraordinaires par leur gentillesse, leur délicatesse, leur simplicité. Ce sont deux véritables messieurs.»
Éva Baribeau y ira de cette conclusion à saveur prémonitoire : «Ce soir, j’étais fière de Jean Béliveau et je ne pouvais m’empêcher de penser que les honneurs dont il a été l’objet, un jour, ils s’adresseront à Guy.»
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L'INOUBLIABLE CADEAU DE FÊTE DE LOUISE BARIBEAU
Propriétaire d’une clinique dentaire à Montmagny, Louise Baribeau n’oubliera jamais la soirée du 18 décembre 1970, jour de son 7e anniversaire de naissance.
La petite Louise assiste au match des Remparts au Colisée avec sa grand-mère, Éva Baribeau, logeuse du capitaine de la meilleure équipe de la LHJMQ et futurs champions de la Coupe Memorial.
Pour souligner le moment, Lafleur se met de connivence avec celle qu’il considère comme sa «deuxième mère». «Il lui avait dit : “Pendant la game, je vais lui envoyer une rondelle. Quand je vais vous faire signe, collez-la sur vous et je vais envoyer la rondelle au banc juste à côté”», se souvient-elle.
Lafleur tiendra parole. «J’entends encore la rondelle faire “Bang!” à côté de moi! s’esclaffe Louise Baribeau. Il m’a saluée de la main et m’a souhaité bonne fête.»
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Le joueur préféré des Baribeau termine la rencontre contre Drummondville avec 6 buts et 1 aide dans une victoire de 10 à 3. Plus de 50 ans plus tard, Mme Baribeau conserve toujours précieusement la rondelle chanceuse, autour de laquelle on peut lire l’inscription : «Pour Louise Baribeau, amicalement Guy Lafleur.»
Louise Baribeau se revoit, assise dans le salon de sa grand-mère, en train de manger des Smarties avec la future légende du hockey. Ces moments de simplicité évoquent de chaleureux souvenirs en sa mémoire. «La veille, il avait eu des entrevues avec des journalistes. Pour lui ce n’était pas ça qui était important, c’était le moment présent.»
Les Baribeau ont toujours conservé des liens étroits avec celui qu’ils considéraient comme un membre à part entière de leur clan. «Il faisait vraiment partie de la famille au point où on pouvait l’appeler et lui dire : “On fait telle activité, ça te tente tu de venir faire un tour?”»
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Après son départ de Québec, Lafleur s’est toujours fait un de devoir de retourner voir Éva Baribeau. Que ce soit pour lui montrer sa nouvelle voiture ou en l’invitant à Montréal lors de la naissance de ses enfants. La dame était à ses côtés lors de l’annonce de sa première retraite.
La vie suivant son cours, Louise Baribeau et Guy Lafleur se sont souvent recroisés par la suite. «Mon conjoint pilotait des hélicoptères comme loisir donc on s’est vu sur le tarmac de quelques aéroports, dont à Tremblant. Il a eu un bateau et nous aussi donc on se voyait dans les marinas.»
La dentiste de Montmagny a eu l’impression que le Démon blond a fait partie de sa vie au quotidien. «Il n’était pas gênant, il venait tout le temps me parler. Pour moi, c’était normal, au point que c’est en voyant la réaction des autres que je me disais : “C’est vrai, c’est Guy Lafleur!”»
Comme tous les Québécois, Mme Baribeau s’est dite attristée par son départ. «On était dans le déni, on ne voulait pas que ça arrive. Je vois les reportages défiler et je me dis mon Dieu que c’est triste…»