L’avenir donna raison à l’instituteur.
Mieux encore, elle est actuellement finaliste dans la catégorie Relève, Femmes d’exception (grande entreprise) au Gala des Mercuriades de la Fédération des chambres de commerce du Québec qui se tiendra lundi.
En décembre dernier, Catherine Morneau et son frère David étaient respectivement nommés directrice générale et chef de l’exploitation de l’entreprise de transport de marchandises fondée en 1942 par leur arrière-grand-père Pierre Morneau à Saint-Arsène, près de Rivière-du-Loup. Un pas de plus était franchi dans le processus de transfert générationnel.
«Notre intégration s’est faite progressivement. Dans les faits, nos nominations n’ont surpris personne», raconte celle qui a fait ses premiers pas dans l’entreprise à l’âge de 14 ans et qui y a travaillé à temps plein pendant sa scolarisation en Études internationales et langues modernes à l’Université Laval.
«Mon frère et moi sommes des artistes. Jamais notre père, André, n’a mis de pression pour que nous fassions carrière au sein de la compagnie. La piqûre de l’entrepreneuriat, j’ai l’ai eue au début de la vingtaine», souligne la femme de 35 ans en ajoutant que son paternel — qui demeure président du Groupe Morneau — lui avait enseigné que le leadership et la crédibilité d’un patron se forgent par son implication, sa vision et son humilité.
Avec un réseau de 23 terminaux de transbordement dispersés dans 17 villes dans l’est du Canada, plus de 1500 employés — aussi appelés des collaborateurs — et quelque 1500 camions, remorques et autres pièces d’équipement, le Groupe Morneau est l’un des plus importants transporteurs de marchandises au Québec. «Personne ne transporte plus d’aliments réfrigérés vers les supermarchés que nous. Notre force, c’est le transport en charge partielle [LTL], c’est-à-dire les envois qui ne remplissent pas un chargement de camion complet», explique Catherine Morneau.
Électrification des camions
Au moment où son enseignant lui prédisait qu’elle allait diriger l’entreprise familiale, Catherine Morneau ne se voyait pas à la tête d’une compagnie d’un secteur de l’économie émettant des tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère.
«À cette époque, je n’avais pas une image très positive de notre industrie. En même temps, j’étais très attachée à la culture de l’entreprise qui mise sur les personnes, la collaboration et la créativité. J’ai fini par comprendre que nous étions un service essentiel et que nous devions faire nos devoirs afin d’amener le monde des transports à se moderniser.»
«Tout ce que nous pouvons faire pour réduire notre empreinte environnementale, nous le faisons», assure Catherine Morneau en soulignant, entre autres, l’installation de jupes latérales aérodynamiques sur les remorques pour favoriser les économies de carburant et la gestion serrée des trajets pour éviter qu’un camion roule de Québec à Gaspé avec une remorque pleine, mais vide sur le chemin du retour.
«Nous évoluons au rythme auquel les technologies se développent», souligne Catherine Morneau. «Il y a trois ans, jamais je n’aurais pensé que nous deviendrions la première compagnie de transport au Canada à acquérir un camion électrique à batterie de classe 8.»
Possédant une autonomie d’environ 250 kilomètres, ce camion lourd construit par Volvo est actuellement à l’essai dans les rues de Québec, notamment pour vérifier sa capacité de charge et son comportement hivernal.
«Nous obtiendrons une première analyse de sa performance au mois de juin. Le fabricant travaille déjà sur un nouveau véhicule qui offrira une plus grande autonomie», indique Mme Morneau qui vise l’électrification de 30 % de la flotte de camions d’ici 2030. «Par contre, pour les longues distances, le camion électrique semble, pour l’instant, une solution peu appropriée.»
Elle signale qu’un camion électrique coûte entre 450 000 $ et 500 000 $ alors qu’un véhicule au diesel de même gabarit se détaille aux alentours de 150 000 $. La subvention du gouvernement du Québec permet de couvrir le tiers du prix du véhicule électrique.
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CROISSANCE CONTRÔLÉE
Des cueillettes et des livraisons de marchandises dans l’est du Canada, le Groupe Morneau en fait 3500 par jour.
«Nous ne visons pas coûte que coûte une croissance phénoménale de notre volume d’affaires, mais plutôt de bien gérer notre capacité actuelle et de consolider notre réseau», énonce Catherine Morneau.
«Notre croissance s’est faite souvent à la demande de nos clients désireux d’aller vendre leurs produits aux quatre coins de la planète. C’est pourquoi nous offrons également des services de transport international.»
Au sommet de la liste des priorités du Groupe Morneau — outre l’éreintante offensive visant à pourvoir tous les postes vacants —, il y a l’intégration des deux compagnies de transport de la région de Toronto acquises au cours des trois dernières années.
Des emplettes qui lui permettent d’accroître sa capacité opérationnelle dans le plus grand marché au pays tant dans le secteur du transport de marchandises que dans celui des produits réfrigérés. Au cœur des activités du Groupe Morneau en Ontario : un terminal de 84 portes à Mississauga.
La modernisation et l’automatisation des processus, notamment en recourant à l’intelligence artificielle dans la gestion de ses données, sont au menu.
«Il y a un sérieux rattrapage technologique à faire dans le monde du camionnage», insiste la directrice générale du Groupe Morneau. «Malgré l’usage grandissant des tablettes électroniques, le papier demeure omniprésent.»
L’impossible planification
Comme la plupart des entreprises, le Groupe Morneau encaisse les contrecoups de la rupture des chaînes d’approvisionnement et la flambée des prix. «Acheter un nouvel équipement nous coûte entre 20 % et 30 % plus cher. Le prix d’une remorque réfrigérée a bondi de 60 %», témoigne celle qui ne voit pas le jour où les choses reviendront à la normale.
C’est pourquoi elle doute de la pertinence des planifications stratégiques basées sur des horizons de cinq ou dix ans.
«Qui pouvait s’imaginer que nous aurions une pandémie de l’ampleur de la COVID-19? Qui pouvait s’imaginer qu’une guerre éclaterait en Ukraine? Moi, j’ai une bonne vision du chemin que l’on devra emprunter au cours des trois prochaines années et je planifie de façon serrée l’année en cours. Et, tous les trois mois, je révise le tout!»
«Cela nous amène aussi à une réflexion plus philosophique sur la folie de la consommation et la notion du juste à temps. Sommes-nous obligés d’être toujours aussi serrés dans le temps?» Gilbert Leduc
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TROUVER LE JUSTE ÉQUILIBRE
«Disons que la semaine de travail de 60 heures, dans l’industrie du camionnage, ce n’est plus trop trop à la mode!»
Terminée l’époque où le camionneur partait faire sa tournée et rentrait au bercail dix ou douze heures plus tard. «Aujourd’hui, nos chauffeurs, filles et gars, veulent finir leur journée de travail assez tôt afin de pouvoir aller chercher la marmaille à la garderie», constate Catherine Morneau, elle-même maman de deux jeunes enfants.
«La réalité a changé. Il faut trouver un juste équilibre entre les besoins de l’entreprise qui reçoit et livre des marchandises aux quatre coins de l’est du Canada — 24 heures par jour et sept jours par semaine — et les revendications des salariés.
«Comme l’employeur, nous devons être créatifs pour améliorer les conditions de travail de nos employés. Et je ne parle pas seulement de la rémunération. Par exemple, il faut se montrer plus souple dans l’aménagement du temps de travail puisque nos camionneurs réclament des horaires fixes», expose Mme Morneau en signalant que l’entreprise propose la semaine de travail de quatre jours à ceux et celles qui veulent gérer plus efficacement la conciliation entre le travail et leur vie personnelle.
Des postes disponibles de chauffeurs, de manutentionnaires, de mécaniciens et d’employés administratifs, Groupe Morneau en affichait plus de 70 lors de la dernière vérification faite par Le Soleil. «Le recrutement de personnel est l’un de nos plus grands défis. Nous devons aussi composer avec un grand nombre de départs à la retraite. Heureusement, le recrutement international rapporte ses fruits.»
Une dizaine de travailleurs étrangers ont été embauchés en 2021. Près d’une vingtaine vont s’ajouter au cours de 2022 et on pourrait en recruter une quarantaine d’autres en 2023. Par ailleurs, tout près de 200 départs à la retraite sont attendus au cours des deux ou trois prochaines années. Gilbert Leduc