Chaque fois que Maya Cousineau Mollen tombe sur une nouvelle qui la touche, l’attriste ou la choque, elle ouvre son téléphone et écrit.
Et avec les événements des dernières années, l’autrice affirme que son deuxième recueil de poésie, Enfants du lichen, s’est composé tout naturellement. «J'ai déjà mon troisième recueil dans mon cellulaire», lance-t-elle en riant, malgré tout.
«La crise des Wet’suwet’en est vraiment venue secouer des vieux souvenirs concernant la crise d’Oka que j’avais vécue durant mon adolescence. […] Il y a quelque chose qui s’est déclenché chez moi. Comment on peut en arriver à ça au Canada?», relate par exemple Maya Cousineau Mollen, en entrevue au Soleil.
Si elle visitait les multiples voix que prend la colère dans Bréviaire du matricule 082 (2019), elle estime cette fois-ci faire migrer ce sentiment vers autre chose.
«En vieillissant, la colère devient un enseignement différent. Au lieu d’être dans l’impulsivité, dans l’agressivité, on essaie de la transformer en quelque chose de constructif, qui va atteindre l’autre.
«S’il y a tant d’autochtones qui font de l’art, ce n’est pas seulement pour partager leur culture. Je pense que c’est aussi pour créer des ponts avec l’autre.
«Moi, j’ai remarqué que la poésie est un médium non intrusif auprès des gens. Ça les touche différemment et ça amène un dialogue. On peut parler de sujets difficiles mais sans être en position de revendication ou sur la défensive», ajoute la lauréate 2020 de la catégorie «Poésie publiée en français» aux Voix autochtones (Indigenous Voices Awards), une cérémonie littéraire canadienne qui récompense les auteurs des Premières Nations.
Avec Enfants du lichen, la poète s’adresse ainsi à tous les publics et entame avec eux une discussion. Tantôt intime, sur la santé mentale, les idées noires qu’elle a eu pendant la pandémie, ses animaux qui lui ont permis de se raccrocher, tantôt collective sur les enjeux des Premières Nations.
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Féministe et engagée
Militante, elle partage dans la première partie de son ouvrage des poèmes pour les femmes et les enfants disparus. Comme «un devoir de mémoire».
Pour elle et toutes les autres, Maya Cousineau Mollen met ainsi en mot la fierté d’être une femme autochtone, question de se réapproprier tout un pan de son identité féminine.
«C’est un peu pour redonner à la femme autochtone sa dignité, dans sa sensualité, dans sa sexualité. […]
«C’est une chose à laquelle je suis confrontée en tant que femme quand je suis en relation avec d’autres et que j’entends les préjugés.
«Ça me secoue beaucoup et je me dis que les autres femmes ont peut-être besoin, elles aussi, de ces poèmes-là», explique celle qui est également conférencière.
Le temps de quelques vers, l’autrice rend d’ailleurs hommage à Joséphine Bacon, sa «muse», son «modèle». Figure importante de la littérature, la célèbre poète inspire Maya Cousineau Mollen notamment grâce à sa sagesse et «sa force tranquille».
Quand je me regarde/ Dans ce miroir colonial/ À l’image de l’Indienne/ Se substitue celle de la femme/ Qui écrit/ Se tient debout/ Et rêve en prose
Se réconcilier lentement
Enfants du lichen est également une affirmation culturelle, une «ode à la force et à la résilience» que ce soit dans les thèmes que Maya Cousineau Mollen aborde ou encore dans l’utilisation de certains mots en innu-aimun.
D’où le titre de l’ouvrage d’ailleurs : «Pour moi, les enfants du lichen, ce sont les Innus. Parce que s’il n’y a pas de lichen, il n’y a pas de caribous. S’il n’y a pas de caribous, il n’y a pas d’Innus.
«Le lichen, c’est un petit champignon microscopique, mais qui tient sur le bout de ses branches toute une nation et une culture», explique l’autrice.
Celle qui vit aujourd’hui dans la région de Montréal lance ainsi ce livre sur les tablettes des librairies comme «une requête pour éveiller la société» qui se transforme tranquillement.
Car si le terme «réconciliation» est de plus en plus présent dans l’espace public, «il reste encore du travail à faire», affirme Maya Cousineau Mollen, qui estime que la réelle réconciliation viendra d’abord de la population.
Enfants du lichen est offert en librairie.
Maya Cousineau Mollen sera de passage à Québec le 27 avril pour le lancement officiel de son recueil. La soirée aura lieu au Café Krieghoff, un endroit que la poète chérit depuis sa formation à l’Université Laval, en sciences politiques et études autochtones.