Manif d'art 10: jeunes commissaires alliées de l’art

La jeune commissaire Sevia Pellissier dans l’exposition <em>Salle d’attentes</em> à Criterium, investie par Vincent Hinse.

Même si le mot revient régulièrement dans cette chronique, une fidèle lectrice me demandait récemment : «Mais qu’est-ce que c’est, au juste, une commissaire ?» Réponse : la personne, souvent historienne de l’art, qui pense les expositions, les orchestre et les met en espace.


Elle peut travailler avec un corpus d’œuvres, une collection muséale ou encore avec un ou des artistes vivants. Elle réfléchit, dialogue, organise et écrit sur les œuvres, ce qui en fait généralement une interlocutrice de choix lorsque vient le temps d’aborder les expositions.

Dans la vaste programmation tentaculaire de Manif d’art, un volet est spécifiquement dédié aux jeunes commissaires. Six têtes pensantes, dont cinq femmes, dont on peut voir le travail dans quatre bibliothèques, au cégep Sainte-Foy, à l’Université Laval et à Criterium, dans Saint-Roch, notre premier arrêt.



Sevia Pellissier s’est aménagé un bureau dans la vitrine, ce qui lui permet d’écrire en étant immergée dans son sujet, tout en accueillant les visiteurs.

Sevia Pelissier s’est aménagé un bureau dans la vitrine de Criterium.

Cofondatrice d’À l’Est de vos empires, un organe de médiation protéiforme sur les arts visuels, elle a convié trois artistes à occuper une salle d’attentes (le «s» est voulu) et s’est adjoint les services de Maxime Rheault, fondateur de la boîte de design Criterium, pour créer des accessoires de bureau assortis à l’expo.

Dans cet espace baigné de lumière, des chaises disposées autour d’une œuvre de Karine Payette ont dans un premier volet incité les visiteurs à prendre leur temps et à jaser d’art.

Disposant d’une glorieuse carte blanche (aux dépens et au grand plaisir de la commissaire qui la lui a attribuée), Vincent Hinse a ensuite décidé de mettre le concept K.O.



«Je savais qu’il allait y avoir de l’eau, mais c’est à peu près tout. Je voulais qu’il me déstabilise», indique Sevia.

Les chaises ont été empilées sous une bâche, sauf une, aspergée à intervalles réguliers, ce qui décourage tout visiteur le moindrement observateur de s’y asseoir. L’image d’une plante assoiffée est projetée sur un téléviseur éteint et couvert d’un plastique où l’eau dégouline.

«On a passé beaucoup de temps à mettre les meubles en punition et à créer des liens esthétiques entre les éléments», note la commissaire.

Depuis vendredi, la salle est redevenue fonctionnelle et accueille une courtepointe d’objets, de textes et d’images de Stéphanie Requin Tremblay, qui a correspondu pendant deux ans avec la jeune commissaire.

Les jeunes commissaires Florence Gariépy et Julia Caron Guillemette .

Le duo du campus

Florence Gariépy et Julia Caron Guillemette ont investi la salle d’exposition au 2e étage du Pavillon Desjardins de l’Université Laval pour présenter Ostentation, qui rassemble différentes interprétations de la féminité.

Les entrejambes colorés, en céramique, de Carol-Ann Belzil-Normand sont «une belle façon de présenter de manière décomplexée le corps féminin», dit Florence. «C’est frivole, humoristique, libéré», renchérit Julia.



Des pièces de céramique de Carol-Ann Belzil-Normand dans l’exposition <em>Ostentation</em>

L’artiste a créé une autre œuvre spécifiquement pour l’exposition, Celle de l’ombre, où des mains griffues à sept doigts créent l’ombre d’une fleur, entre une danse typographique sur écran et une superposition d’impressions sur tissu.

Alors que les œuvres de Laure Jambel questionnent les simulacres autour de l’image du corps féminin, la série Skin Deep de Chun Hua Catherine Dong montre des autoportraits où le visage de l’artiste est complètement enveloppé dans de chatoyants tissus traditionnels chinois. En y pointant la caméra d’un téléphone intelligent, des éléments du motif s’animent, puis s’envolent, libérés.

On reconnaît le couvre-chef vulvaire fait au crochet d’Elise Pakiry, présenté à l’exposition des finissants il y a quelques années. Celle-ci a ajouté une œuvre qui aborde la biologie reproductive et le cycle menstruel.

Vue partielle de l’exposition <em>Ostentation</em>, au pavillon Desjardins de l’Université Laval.

Tampons retenus par des chaînes, fœtus, cordon ombilical et flaques de sang auraient eu un aspect plutôt confrontant s’ils n’avaient pas été faits de laine crochetée, où le rose, le jaune et le bleu pâle rappellent des vêtements de nouveau-né.

Les deux commissaires ont trouvé le moyen de présenter avec doigté et sensibilité des œuvres portant des sujets complexes, voire polarisants. Leur touche accompagne l’œil et l’esprit dans une réflexion approfondie.

Les jeunes commissaires de Manif d’art participent à une table ronde dans le cadre du Colloque sur l'enseignement de l'art à l'université aujourd'hui, au MNBAQ le samedi 9 avril à 13h15.

Info sur les expos, jusqu’au 24 avril : manifdart.org/jeunes-commissaires