Une part du financement de la police devrait aller aux organismes, estime une étude

La responsabilité des policiers s’est étendue à des domaines qui leur étaient auparavant étrangers. Les interventions de nature sociale ont connu une nette progression, et exigent aussi plus de temps d’intervention.

Une partie du financement accordée aux corps policiers devrait se diriger vers des organismes communautaires, des acteurs compétents en matière de toxicomanie, de santé mentale ou d'itinérance, conclut une étude menée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).


L’étude, réalisée en collaboration avec l’Observatoire des inégalités raciales au Québec (OIRQ), suggère fortement de repenser le financement des services de police dans la province. Il ne s’agit pas seulement de transférer un montant d’argent de la sécurité publique vers des organismes, l’étude Réinventer le financement de la police au Québec encourage la société à repenser la sécurité.

«La sécurité ne se limite pas à la lutte contre la criminalisation. On appelle la police en cas d’inquiétudes concernant des personnes en situation de toxicomanie, santé mentale ou itinérance, mais elle n’est pas l’institution la plus compétente pour régler ce genre de problèmes», note Roberson Edouard, chercheur associé de l’IRIS et co-auteur de l’étude. 

Il y a un consensus de tous les milieux pour cette affirmation. Il s’agit d’ailleurs du premier constat de l’étude : corps policiers, institutions de sécurité publique et gouvernements s’entendent pour dire que le financement des services de police doit être repensé, depuis plusieurs années même.

Le financement n’influence pas le taux de criminalité

Pour formuler de telles conclusions, les chercheurs de l’IRIS ont d’abord analysé le financement de la Sûreté du Québec, de la police de Montréal et de la police de Québec depuis les 20 dernières années. Puis, ils ont étudié l’évolution du taux de criminalité dans la province, dans la région métropolitaine et dans la capitale nationale.

«La sécurité publique coûte de plus en plus cher […] L’évolution de ces dépenses n’est pas liée causalement à celle de la criminalité», concluent les chercheurs. 

La hausse du financement de la police n’a donc pas entraîné une baisse de la criminalité ou du nombre des infractions déclarées. «Les données analysées n’établissent pas de concordance chronologique entre les périodes de hausse du financement et celles de grandes baisses du taux des infractions.»

L’augmentation des dépenses de la police s’explique d’abord par la hausse importante de la rémunération des policiers. Elle a augmenté de 40 % entre 2002 et 2012, alors que la rémunération moyenne des travailleurs du Canada a augmenté de 11 % pendant la même période. 

En moyenne, la Ville de Montréal consacre 20 % de son budget total à son corps de police (la plus grande part presque tous les ans), Québec libère quant à elle 15 % (qui se retrouve au 2e ou 3e rang des dépenses).

«On voit bien que Québec trouve un moyen d’équilibrer le poids de la police avec d’autres dépenses et ça n’entraîne pas un K.O. dans la ville de Québec, ce n’est pas une fatalité de ne pas accorder la part du lion à la sécurité publique», note M. Edouard. 

La plus grosse part du budget de la Ville de Québec va au transport en commun, avec une large avance.

Selon le chercheur, le nombre d’infractions n’est pas nécessairement plus faible à Québec qu’à Montréal. Les deux villes ne composent pas avec les mêmes problèmes.

À Québec, les crimes contre la propriété ont largement diminué depuis 20 ans, comme les introductions par effraction et les vols de voitures. Toutefois, d’autres infractions ont connu une hausse marquée comme les fraudes et les cas d’extorsion. Les crimes contre la personne tendent à augmenter chaque année.

Le financement de la police à Québec est passé de 87,1 M$ à 154,9 M$ entre 2002 et 2020 (429 M$ à 724 M$ pour Montréal pendant la même période).

Panique morale

Pourquoi alors le financement de la police grimpe-t-il en flèche? En raison d’une diversification et d’une demande accrue de ses services, ont déterminé les chercheurs de l'IRIS. 

L’augmentation du budget en sécurité publique devient une réponse publique à la «panique morale».

Cette «panique morale» est en fait une «réaction exagérée de la population face à des événements largement montés en épingle par leur traitement médiatique». On parle aussi de toutes les informations — fausses ou vraies — qui circulent sur les réseaux sociaux concernant certains événements. 

«La demande permanente de sécurité ne semble pas répondre à un besoin fondé empiriquement sur les données objectives de la criminalité, mais à un degré élevé d’inquiétude», écrivent les chercheurs. 

Quelques événements très médiatisés suffisent à susciter le sentiment d’insécurité au sein d’une ville, même si globalement la criminalité régresse au Québec. «L’amplification du sentiment de menace nourrirait la demande collective de services de police, puis, conséquemment, le besoin accru de financement.»

La responsabilité des policiers s’est toutefois étendue à des domaines qui leur étaient auparavant étrangers. Les interventions de nature sociale ont connu une nette progression, et exigent aussi plus de temps d’intervention. Même si les policiers ne sont pas les plus compétents pour intervenir, ils sont appelés sur les lieux. Ils se transforment en intervenants sociaux presque tous les jours. 

«L’inertie du modèle actuel est liée à une approche de la sécurité publique qui en fait une chasse gardée de la police», soulève l’étude. Cette «chasse gardée» s’inscrit dans le virage punitif entamé dans les années 2000, c’est-à-dire une «démarche de judiciarisation de certains problèmes sociaux et de criminalisation de certains groupes». 

«Comme si la police est la seule institution compétente pour intervenir en sécurité. La définition de la sécurité a évolué, tout le monde doit contribuer, les services sociaux, notamment. C’est en changeant cette façon de comprendre la sécurité qu’on va se rendre compte que ce n’est pas de l’argent de la police qu’on déplace aux organismes communautaires, c’est de l’investissement dans la sécurité publique», explique Roberson Edouard.

Exercice gagnant

Les conclusions des chercheurs sont claires : de vrais intervenants sociaux, bien formés, pourraient s’occuper — mieux — d’une bonne partie des appels faits au 911. Pour y arriver, les organismes ont besoin d’argent. Avec un financement adéquat, ils pourraient participer à l’effort de prévention et entraîner des répercussions positives. Ils pourraient surtout libérer les policiers pour qu’ils se concentrent sur les tâches pour lesquelles ils sont compétents.

«Ils pourraient se concentrer sur les arrestations de criminels. Les villes ne pourront pas longtemps supporter le modèle de financement actuel. Le changement social est toujours difficile à réaliser. C’est de la paresse, mais par-dessus tout de la difficulté à changer en profondeur les manières de faire», estime le chercheur. 

Plusieurs services de police se sont déjà penchés sur ce problème, qui dépasse largement les frontières du Québec. Certaines villes des États-Unis ont d’ailleurs fait une évaluation approfondie des appels d’urgence traités par la police. À Seattle, l’exercice a permis de constater que 50 % des appels auraient pu être dirigés vers des ressources d’aide en santé mentale, plutôt que vers les policiers.

«Ils ont modifié le modèle de réponses publiques par la suite, ça a donné des résultats fantastiques. Ici, il y a une espèce de paresse à analyser les besoins et ajuster les ressources», exprime M. Edouard. 

Les villes de Québec et de Montréal gagneraient donc à faire cet exercice d’analyse. 

Avec la même évaluation, la ville d’Edmonton a pour sa part conclu que 32 % des appels faits au service de police concernaient des appels de détresse sans lien avec la criminalité.  

«C’est une chose d’investir dans la police, mais il faut prendre conscience que de plus en plus de besoins sont ailleurs, et qui demandent des investissements conséquents. Il faut revoir le système de financement au complet. La prévention ne tombe pas sur la police au complet. Elle a un rôle, mais on ne peut pas lui laisser l’entièreté de la responsabilité», conclut M. Edouard.