Si on a bien compris, il renonce aux autres conditions évoquées depuis deux semaines par des ministres dont ceux de la région de Québec.
Ceux-ci exigeaient que la Ville abandonne le concept de «rue partagée» sur le boulevard René-Lévesque. Ils disaient craindre une hausse intenable de la congestion sur Grande Allée et à l’approche des ponts.
On avait lu entre les lignes qu’ils s’inquiétaient surtout pour les citoyens qui votent en périphérie dans des circonscriptions favorables à la CAQ.
Rompant avec le ton conciliant qu’il avait eu depuis son élection, le maire Bruno Marchand leur a tenu tête. Pas question de renoncer à la rue partagée. Même sous la menace que le gouvernement bloque le projet.
M. Marchand semble aujourd’hui sortir gagnant de ce premier bras de fer avec le gouvernement Legault.
Mais il serait plus juste de parler d’une «sortie de crise» habile qui permet à tout le monde de s’en tirer sans perdre la face et sans se figer dans des pourcentages d’appui rigides qu’il serait ensuite impossible à atteindre.
Le maire Marchand ne pourra pas s’opposer à une condition générale sur l’acceptabilité sociale. Il en avait fait lui-même un engagement électoral et il y travaille depuis son arrivée à la mairie.
On peut spéculer sur les motifs qui ont incité M. Legault et d'autres ministres de la CAQ à jeter du lest sur la rue partagée.
1- Ont-ils jugé qu’ils en avaient fait assez pour convaincre les électeurs que leurs critiques sur le tramway ont été entendues?
2- Ont-ils constaté que leurs craintes sur le trafic étaient exagérées?
Le trafic de René-Lévesque aboutit déjà sur Grande Allée/Laurier. Que le transfert se fasse un peu plus loin ou un peu plus proche ne change pas le volume de trafic à l’approche des ponts.
3- Ont-ils été influencés par les commentateurs de partout au Québec qui ont condamné l'attitude populiste de la CAQ sur le tramway?
4- Ont-ils été sensibles aux critiques leur reprochant un manque de conviction sur les questions environnementales?
5- Ont-ils voulu, à la veille des élections, éviter un affrontement général avec le monde municipal qui tient à son autonomie et s’est rangé derrière le maire de Québec?
Je vous laisse en juger. Il est possible ici de cocher l’ensemble de ces réponses.
Je rejette cependant l’hypothèse extrême voulant que la CAQ cherche depuis le début à saboter le projet. Je retiens ici les mots du ministre des Transports François Bonnardel : «Si on avait voulu faire mourir ce projet, il serait déjà mort.»
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Améliorer l’acceptabilité sociale du tramway ne devrait pas être une condition trop difficile à remplir.
Mathématiquement, tout appui au tramway supérieur au 41% du dernier sondage sera maintenant considéré comme une augmentation.
Reste à préciser comment le gouvernement va définir cette «acceptabilité sociale» et à quoi il va la mesurer.
Dans tous les cas de figure, le résultat ne pourra pas se mesurer cette semaine.
«La loi du nombre n’est pas toujours la seule à pouvoir éclairer la décision publique», suggèrent Pierre Batellier et Marie-Éve Maillé dans Acceptabilité sociale: sans oui, c’est non, paru chez Écosociété en 2017.
«La règle de la majorité, c’est la loi du plus fort sous des dehors présentables», écrivent-ils.
«Cette loi présuppose que les idées véhiculées par la majorité sont pertinentes et que cette dernière a bien souvent, pour ne pas dire toujours, raison…
… Ainsi, une idée n’est plus bonne ou mauvaise, elle est simplement portée par suffisamment ou trop peu de gens pour être prise en compte».
Que voilà un beau sujet de réflexion et de débat.
Si ce n’est pas la loi du nombre, à quelle autre alors devrions-nous nous assujettir?
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Le tramway en trois minutes
Il faudra plus qu’une vidéo promotionnelle de 3 minutes pour accroître l’adhésion au projet de tramway de Québec.
Cette vidéo a cependant l’intérêt de faire voir sous des angles nouveaux à quoi pourrait ressembler la ville sur le passage du tramway.
Sur René-Lévesque, sur Laurier, sur Quatre-Bourgeois, sur la Couronne, dans le tunnel du centre-ville, au terminus Legendre, etc. Ces images manquaient, il me semble.
Évidemment, elles sont un peu racoleuses avec leur lumière de fin de jour et leurs trottoirs grouillant de piétons dans la douceur de l’été. Ces images ne disent pas tout du tramway, de ses hivers et des pluies obliques de novembre.
Les arbres du boulevard Laurier y semblent plus verts et plus hauts que dans les pubs précédentes, comme s’ils avaient continué à pousser depuis les premières esquisses.
Je n’en fais pas reproche aux concepteurs vidéo ni à ceux et celles qui ont donné le feu vert à la diffusion.
Je pense au contraire qu’il était temps de remettre un peu de rêve, de légèreté et de vision à long terme dans ce projet accablé par les détails et inquiétudes logistiques.
Au point où des citoyens jadis favorables au projet ont fini par en perdre de vue la finalité, à force d’entendre parler seulement de ses limites et défauts.
Il ne s’agit pas de taire ou cacher les irritants, mais il est nécessaire de rappeler aussi ce que le projet peut apporter à la ville.
Le tramway qu’on nous montre aujourd’hui n’a rien des guimbardes grincheuses dont les plus âgés d’entre vous ont peut-être encore souvenir.
Les nouvelles voitures, élégantes et lumineuses dans leurs tons de bleu, me font penser à un métro de surface.
La comparaison est forcée sans doute, mais pas complètement fausse.
On retrouve dans la plate-forme de circulation exclusive au tram et dans la priorité aux feux de circulation, l’idée de l’efficacité d’un métro qui roule à l’abri de la circulation.
Les stations d’attente protégées, près de carrefours aux larges trottoirs, sont dans le même esprit.
Cela dit, je me méfie toujours un peu des images léchées et vidéos d’artistes qui accompagnent les projets. Elles donnent l’idée générale, mais c’est rarement une représentation exacte de ce que sera la réalité.
On voit un tramway glisser en douceur et en pleine harmonie avec les quartiers qu’il traverse.
Un contrepoids nécessaire aux vidéos malhonnêtes de la dernière campagne municipale qui montraient une ville coupée en deux sur 19 kilomètres par un tramway-muraille.
Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec le projet, c’est un trois minutes qui vaut la peine.
On y retrouve des informations factuelles et didactiques sur le trajet, les stations, les pôles d’échange, le réseau régional dans lequel il va s’insérer. Avec en prime une touche d’humour sur le climat de Québec.
Mais vous êtes ici prévenus. La vidéo ne donne pas un portrait complet de l’état des lieux.
On y a fait le choix «éditorial» de n’aborder aucun des aspects qui ont fait controverse.
Pas un mot sur la plate-forme surélevée, la voie partagée, la circulation détournée, les interdits de tourner à gauche, les arbres à couper, les boisés amputés, etc.
Remarquez que ces sujets ont abondamment été débattus dans l’espace public. Ce n’est pas comme si on avait voulu les cacher.
N’empêche que la vidéo va parfois aux limites de l’honnêteté intellectuelle.
Suggérer que le tramway sera intégré à la ville de façon «exemplaire» et que la «circulation automobile sera plus fluide» est un peu court. Cela appellerait au minimum des nuances.
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La plus grande déception est cependant dans la minceur des informations sur le réseau de transport en commun qui sera déployé autour du tramway.
Particulièrement les corridors d’autobus express sur les autoroutes et le service à demande «Flexibus» offert par le RTC dans les quartiers non desservis par les grandes lignes.
C’est par ces mesures, complémentaires au tramway, que l’ensemble des citoyens des banlieues et des villes voisines trouveront leur compte dans le projet de 4 milliards $.
Si on veut améliorer l’acceptabilité sociale du projet, il faudra en parler davantage. Ça inclut le gouvernement qui n’a rien dit encore ou très peu sur ses voies express le long des autoroutes.
On ne peut pas tout dire dans une vidéo de 3 minutes. J’ai noté cependant que le maire Marchand avait consacré son intervention principale au conseil de lundi soir à décrire le service Flexibus. Bonne idée.
Je souhaite que ce service puisse être étendu un jour à tous les quartiers de la ville. Une sorte de condition pour espérer devenir partout un véritable concurrent de l’auto-solo.