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Colère qui gronde face à Visa et Mastercard

Au dépanneur, à l’épicerie, bref, dans tous les commerces, on paye avec sa carte en plastique. Et ça coûte cher aux commerçants.

CHRONIQUE / La colère gronde face à Visa et Mastercard, ces deux grandes sociétés émettrices qui exigent des frais de transaction qualifiés d’«abusifs» et de «taxe privée déguisée» par l’ensemble des commerces et des entreprises québécoises.


Cette colère n’est pas récente. À vrai dire, cela fait des années que leurs représentants dénoncent les pratiques de ces machines à cash dont les actions se transigent à la New York Stock Exchange (NYSE).

Mais cette fois, c’est plus sérieux. On espère que la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, interviendra en leur faveur, lors du dépôt de son budget, le 7 avril, et qu’elle obligera les géants du crédit à réduire ces frais de façon substantielle.

Voici le problème: chaque fois qu’un client insère sa carte de crédit dans le terminal de paiement, le commerçant se fait prélever 1,4 % du montant total de la transaction. Ce montant s’en va directement dans les coffres de Visa et Mastercard. Si c’est une carte «or», «élite» ou «infinite», ce taux peut atteindre 2,5 %.

C’est beaucoup d’argent. C’est la «commission» à payer pour avoir le «privilège» de faire des affaires électroniquement.

«Nous, on trouve que ça n’a aucun bon sens!», déplore Yves Servais, directeur général de l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ).

Ces frais transactionnels, on s’en doute bien, grugent les marges de profit des commerçants, qui ne l’ont pas eu facile depuis le début de la pandémie.

«J’en parlais récemment avec un de nos membres, évoque-t-il. Il m’a dit que ses frais annuels [pour les transactions électroniques] dépassent les 40 000 dollars!»

Une pression énorme

Les 1200 membres de l’Association ne sont pas les seuls à revendiquer un traitement plus équitable. Le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), qui voit là «un enjeu important», et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), mènent leur bataille de front.

Ces organisations font valoir que les frais exigés exercent une «pression énorme» sur l’état de leurs finances.

«L’utilisation des cartes de paiements, particulièrement la carte de crédit, n’est pas gratuite», relève le CQCD.

Et quel serait le pourcentage acceptable aux yeux de tout ce beau monde? Comme c’est le cas notamment en Europe, on demande de le ramener à 0,5 %. Rien de moins.

Argent sonnant

Chose certaine, bien des choses ont changé depuis le début de la crise sanitaire, et pas seulement notre façon de nous protéger face au virus qui a la couenne dure.

Nous n’avons pratiquement plus d’argent sonnant dans nos poches. Nous payons «à crédit» pour tous nos achats, et de plus en plus «sans contact».

Résultat: dans un récent sondage réalisé par la FCEI auprès de ses membres, 78 % des dirigeants de PME considèrent payer des «frais exorbitants» pour le traitement des cartes de plastique.

«La pandémie a aggravé la situation en favorisant les paiements électroniques au détriment des paiements en argent. Les coûts d’exploitation n’ont jamais été aussi élevés», soulève Jasmin Guénette, vice-précisent, affaires nationales.

Une réalité que vivent au quotidien les propriétaires de dépanneurs et d’épiceries, convient à son tour Yves Servais.

«On voudrait bien que le gouvernement de [Justin] Trudeau comprenne très bien, lui aussi, que ça ne peut plus continuer ainsi», expose-t-il.

«Quand vous faites le plein d’essence, le détaillant touche une marge de profit qui peut se situer à plus ou moins 4,5 %. Une fois les frais payés à Visa ou Mastercard, cette marge n’est plus que de 3% », explique Yves Servais.

Et la main-d’œuvre…

Ce n’est évidemment pas le seul enjeu auquel sont confrontés les commerces et entreprises. Avec cette sixième vague qui commence à déferler, il faudra voir si le niveau d’achalandage sera maintenu ou revu à la baisse dans les lieux publics au cours des prochaines semaines.

Et il y a toujours cette pénurie de main-d’œuvre qui cause de sérieux maux de tête aux employeurs. Bien qu’ils versent des salaires bien au-delà du salaire minimum – qui sera porté à 14,25 dollars dès le 1er mai – les patrons parviennent difficilement à faire le plein d’employés pour suffire à la demande.

On évoque maintenant un salaire minimum à 15 dollars de l’heure en 2023. C’est le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, qui vient de s’ouvrir à ce propos. Le député de Trois-Rivières s’est avancé le cou, cette semaine, dans un point de presse, en précisant que ça pourrait être «plus que ça».

Mais il est loin d’être certain que le rehaussement du salaire minimum réglera un problème beaucoup plus profond. Depuis le début de la COVID-19, les emplois dans le commerce de détail ne présentent plus le même attrait pour bon nombre d’employés et employées, qui sont allés voir ailleurs, espérant trouver plus de stabilité et de meilleurs salaires.

«Je ne peux pas concurrencer une entreprise qui offre de 25 à 30 piastres de l’heure et des conditions de travail, genre 8 à 4 ou 9 à 5, un plan d’assurances et des quatre semaines de vacances par année», me confiait dernièrement le dirigeant d’une petite entreprise, à la fois frustré et conscient de l’écart qui s’est creusé au cours des deux dernières années.

Cet écart s’est évidemment creusé depuis le début de la pandémie.

Résultat: les patrons se tapent des heures de fou, s’épuisent au travail et voient partir des employés compétents.

Pas facile de faire de la business dans un tel contexte.

Attendons de voir ce que la ministre des Finances aura à annoncer de concret aux gens d’affaires, dans cinq jours, à Ottawa.