L’organisation sans but lucratif fondée en 2010 par le chef hispano-américain José Andrés a comme mission de distribuer de la nourriture en zones de crise. En Pologne, pour répondre aux besoins des réfugiés, elle a actuellement différents points de service. Le président Joe Biden en a d’ailleurs visité un lors de son passage au pays, ce week-end.
Partout où on voit le sigle de la fondation, on constate le même bourdonnement d’activités. On ne s’étonne pas d’apprendre de la bouche d’Andrés, en entrevue à CNN dimanche, que depuis le début de l’invasion russe, plus de quatre millions de repas ont été servis en Ukraine et dans les pays voisins où se déplacent les réfugiés.
Ici, maintenant, à Varsovie, c’est l’heure du souper sous le toit de toile blanche.
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L’électricité vacille, la lumière aussi. On se dit que la génératrice est fatiguée. Comme celles et ceux qui ont fait tant de route avant d’aboutir ici, dans cet abri temporaire où le parfum des plats chauds est la seule chose qui évoque peut-être un tout petit peu le réconfort de la maison.
Autour, il y a des familles. Des gens seuls. Des amis d’infortune. Des gens de tous âges. Devant nous, deux jeunes hommes originaires du Congo mangent une dernière bouchée avant de repousser leur assiette.
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On s’assoit avec eux, le temps d’une conversation. On apprend que Yann est en Pologne depuis le 5 mars, après avoir fui la ville de Kharkiv, assaillie par les tirs et les bombes.
«J’aurais bien voulu rester là-bas, mais les bombardements m’obligeaient à partir. Le 3 mars, j’ai choisi de m’en aller.»
Il y avait alors dix jours à peine que l’invasion russe broyait l’Ukraine. Mais déjà, le quotidien n’était plus que chaos. La vie normale n’existait plus.
«On n’avait pratiquement plus rien. On cassait même les vitrines des pharmacies pour voler de quoi manger, de quoi boire et de quoi se soigner», raconte le jeune homme natif d’Afrique.
Il secoue la tête en évoquant ces moments-là. Juste avant la fuite.
«Je suis passé par la Slovaquie avant de venir en Pologne. Je pensais que les démarches administratives seraient plus simples à Varsovie.»
Il a aussi atterri ici parce que son ami Eric Leoson était prêt à l’accueillir à la maison. C’est avec lui qu’il était en train de terminer son repas. C’est aussi avec le soutien de celui-ci qu’il essaie de figurer la suite.
«Moi, ce que j’aimerais, c’est aller au Canada. À Montréal, peut-être. C’est un pays où j’aimerais immigrer, c’est une idée que j’ai depuis plusieurs années», confie Eric.
Yann écoute son ami évoquer ce projet outre-Atlantique en haussant les épaules. Il ne sait pas quel horizon l’appelle. Depuis un mois, tout est lourd.
Ce que différents médias européens ont rapporté début mars à propos de la difficulté de fuir pour les résidents ukrainiens d’origine africaine, il l’a vécu. En tant qu’homme immigrant, ça n’a pas été simple pour lui de se frayer un chemin hors du pays.
«Il fallait se faufiler entre les trains. Esquiver les gens. Embarquer de force, aussi, parce qu’on nous repoussait. Je ne pouvais pas passer», explique Yann en mimant les contournements, les frappes à éviter. Et la place à gagner, coûte que coûte.
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«J’ai dû me battre pour arriver à partir», laisse-t-il finalement tomber.
Il se félicite d’avoir pensé mettre ses diplômes dans le petit sac qu’il emportait avec lui. Il se réjouit aussi d’avoir su ne pas les égarer en chemin.
«D’autres n’y ont pas pensé. Ou bien ils ont perdu les passeports, les papiers en cours de route. C’est toujours possible d’arranger ça, mais pas dans un contexte comme celui-ci, où tout est plus complexe.»
S’il appuie autant sur l’importance d’avoir avec lui papiers et documents officiels, c’est qu’il est inquiet. On l’avait deviné à ses épaules basses, son œil triste. Il a vu l’horreur, elle lui pèse d’autant plus que l’avenir est couvert de purée de pois.
Je suis dans une situation instable et incertaine. Les informations des autorités polonaises changent à tous les jours, ici, alors on a du mal à suivre et à se dépêtrer avec les démarches et les formulaires. Je n’ai donc toujours pas les documents requis pour pouvoir rester ici.
Il a encore quelques jours devant lui pour régulariser son statut. Mais le compteur qui tourne génère sa part d’angoisse.
«J’ai entendu dire que le délai, c’était jusqu’au 30 mars… Je cherche la solution.»
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La peur de ne pas y arriver et de vivre illégalement sur le territoire polonais le ronge.
«J’habitais depuis 10 ans en Ukraine», soupire-t-il.
Il avait eu le temps d’y planter ses racines, de se dessiner une vie nouvelle.
«Là, je dois tout reprendre de zéro… Il me faut recommencer. Encore.»
La lumière s'essouffle à nouveau sous le plafond du pavillon. La génératrice est fatiguée. Yann aussi.
Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.