Les premiers «centres d’achats» à faire leur apparition à Québec sont Place Sainte-Foy, en 1957, et les Galeries de la Canardière, en 1958. Dans les deux décennies suivantes, Place Laurier, Place Fleur de Lys et les Galeries de la Capitale, entre autres, sont sortis de terre.
Ces centres ont rapidement remplacé les magasins de proximité. À l’époque, les grands stationnements et l’amalgame d’offres de produits au même endroit révolutionnaient les tendances d’achat.
Aujourd’hui, certaines de ces galeries marchandes n’ont plus le lustre d’antan. Les couloirs aux boutiques fermées et les aires de restaurants vides deviennent monnaie courante. Et ce n’est pas toujours la faute du commerce en ligne ni de la pandémie.
Si l’offre n’a pas de valeur ajoutée pour le quartier, ou si le déplacement pour s’y rendre est trop compliqué, les consommateurs risquent d’aller voir ailleurs, prévient Stéphane Dion, directeur régional de Québec de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU).
Vincent Chiara, président du Groupe Mach, a observé un changement dans les archétypes des petits et grands carrefours, celui de l’augmentation d’une offre de services. «Historiquement, on ne voyait pas une épicerie ou des pharmacies dans un centre fermé. Maintenant, on les voit.»
Cette nouvelle tendance faisait partie d’une réflexion de l’IDU, bien avant la pandémie. Selon Stéphane Dion, la vitalité de ces centres commerciaux réside dans la densification et la requalification de leur modèle.
En d’autres mots, à «faire se rencontrer dans le même territoire de multiples usages pour diminuer le recours aux déplacements automobiles et créer des milieux de vie plus riches et plus complexes qui fait qu’on retrouve dans un même lieu du résidentiel, du commercial, et aussi du bureau», résume-t-il.
Il ajoute également à l’équation : stationnements souterrains, garderies, cliniques médicales, résidences pour personnes aînées, institutions scolaires, bureaux de poste ou tout autre service de proximité nécessaire à la vie de quartier.
Encore mieux s’ils sont sur le même territoire, réitère-t-il, puisque ce modèle pourrait permettre de contrer l’étalement urbain et de lutter contre les changements climatiques.
De galette à grande recette
Cet idéal en urbanisme n’est pas toujours à la portée de tous ni encore à la mode. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les «galettes commerciales». Autrement dit, les grands sites entourés d’un stationnement et de quelques trajets de transports en commun, comme les qualifie Stéphane Dion, sont une occasion en béton de requalification pour les centres commerciaux.
Et s’il n’y a pas possibilité de densifier et qu’il manque de clientèle, «il faut peut-être penser à un autre usage pour le bâtiment. Sinon, faire une belle étude de marché pour répondre au besoin de la communauté environnante. Parce que les grands besoins sont comblés par les grandes surfaces généralement», rappelle-t-il.
Cependant, si la Ville n’est pas proactive dans l’implantation d’un zonage densifié, les plans peuvent rapidement tomber à l’eau s’ils sont dérogatoires, prévient M. Dion, «puisque ça ne prend que quelques voisins pour signer le registre et mettre fin au processus de densification».
Dans le contexte des travaux de requalification du centre commercial Fleur de Lys dans le secteur Vanier, Trudel Alliance a procédé, il y a quelques années, à une large consultation publique auprès de la population pour comprendre ce que le voisinage souhaiterait dans cette vaste mer de béton (lire autre texte).
«Il y a vraiment là un rôle au conseil municipal de proactivité pour planifier la densification du territoire, en expliquant correctement aux citoyens que c’est un des moyens qu’on a pour contribuer à l’atteinte des objectifs de diminution de gaz à effet de serre, préconise Stéphane Dion. La Ville a également un rôle à jouer pour rendre ces endroits conviviaux et faciles d’accès. C’est un mix.»
Mixité et proximité
Néanmoins, ce n’est pas tous les centres commerciaux qui peuvent rêver aussi grand. Les plus petits, comme le Carrefour Charlesbourg, récemment acquis par le Groupe Mach, prospèrent en grande partie grâce à leur offre de service.
Et signe que la question est sensible, voire délicate, plusieurs centres commerciaux à faible gabarit ont décliné les demandes d’entrevues du Soleil pour ce dossier…
Le 1er mars, le Groupe Mach a clôturé la plus grande transaction de son histoire, en achetant 42 propriétés appartenant au Fonds de placement immobilier Cominar. En tout, neuf millions de pieds carrés d’espace de bureaux et commerciaux se sont ajoutés à leurs actifs, dont Place de la Cité à Sainte-Foy et le Carrefour Charlesbourg.
Ce centre de banlieue a vu près de 1,5 million de visiteurs en 2021, malgré une fermeture d’un mois. Rappelons que le Carrefour loge des enseignes comme la Cité médicale, une SAQ, un supermarché Métro ainsi que plusieurs magasins de proximité, comme un optométriste et un ÉconoFitness.
La vente au détail n’est pas sa raison d’existence, même s’il détient un taux d’occupation à plus de 90 %. Le promoteur compte continuer dans cet angle de proximité afin de maintenir ce taux, au profit des locataires et de la clientèle, confirme Daniel Durand, vice-président marketing et communications.
Le président du Groupe Mach et le directeur régional de l’IDU s’accordent tous deux pour dire que «la mixité», entre les services et le «magasinage», est nécessaire dans un centre commercial afin que tous profitent de l’achalandage de l’autre. Une première clé pour la vitalité d’un centre, si la densification n’est pas une option. La deuxième, il faut trouver une raison à sa présence, conseille Stéphane Dion.
«[Les plus petits carrefours] doivent être nichés et avoir une valeur ajoutée pour la communauté. Il faut que ce soit vraiment des produits locaux, exclusifs, de destinations, ou des boutiques qui répondent à un besoin du quartier, insiste-t-il. Et ça, c’est le défi du propriétaire ou du promoteur de trouver la bonne niche, en plus d’être connecté sur sa communauté pour sentir les besoins.» Avec Paul-Robert Raymond
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L'EXEMPLE DE TRUDEL ALLIANCE
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La transformation de Fleur de Lys, situé dans le secteur Vanier à Québec, peut représenter un exemple parfait de réinvention de ces mers d’asphalte que sont les centres commerciaux issus des années 1950 et 1960.
Acquis par les frères William et Jonathan Trudel en juillet 2018, ce complexe «acheté par deux petits gars de la place» était dès lors appelé à être métamorphosé, mais avec l’aval de la population environnante.
«On achetait un site de 3 millions de pieds carrés au cœur de la ville et connu de tous, qui ont un sentiment d’appartenance», affirme Jonathan Trudel, vice-président exécutif et cofondateur de Trudel Alliance, en entrevue avec Le Soleil.
«On savait qu’il fallait refaire le centre commercial en éliminant une partie et en créant un milieu de vie convivial. Mais on ne le savait pas comment on allait le faire et il n’y avait pas de plan caché dans le fond d’un tiroir.»
Les frères Trudel ont donc commencé à sonder la population pour créer un projet de grande envergure avec une mixité qui touche les volets sociaux, culturels et économiques. De cette consultation est sorti un plan directeur afin de régler certaines problématiques quant à l’accès et l’intégration dans le voisinage immédiat. «On est les seuls à faire ça au Québec comme ça, et peut-être même au Canada», ajoute M. Trudel.
Deux mille cinq cents personnes ont répondu à la consultation qui s’est déroulée en ligne et à Fleur de Lys. En plus, une soixantaine d’organismes communautaires, 70 commerçants et 15 institutions voisines, dont Québecor, ExpoCité, le Réseau de transport de la Capitale, l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec, ont été aussi sondés.
«Même si ça fait trois ans qu’on a commencé nos consultations, on est encore en démarches dans les relations avec la communauté», avertit Jonathan Trudel. «C’est un processus qu’on a mis en place dès le jour 1 et qui se poursuit encore aujourd’hui.»
L’espace fait place à l’éducation postsecondaire, à la culture et aux organismes communautaires en plus de conserver des commerces qui attirent une clientèle. Au cours de l’année 2021, l’Université du Québec à Trois-Rivières a ouvert un campus, un parc éphémère a été inauguré et le Théâtre des Gros Becs a emménagé dans la partie qu’occupait le magasin La Baie.
Présentement, une partie de ce qu’était Fleur de Lys est fermée. Les commerçants qui y logeaient ont été relocalisés ailleurs. Celle-ci est en cours de démolition et sera reconstruite différemment. Quand cette étape sera complétée, les locataires seront relocalisés de nouveau afin de raser le secteur où était La Baie.
À terme, 2500 unités de logements multigénérationnels seront bâties avec des commerces au rez-de-chaussée. Les rues commerçantes renaissent et ce concept ne sera pas étranger au projet. Également, des espaces de bureau pour travailleurs autonomes ou pour du cotravail seront inclus. Dans l’immense stationnement, des espaces verts seront créés.
Répétition du modèle
Deux autres centres commerciaux appartenant à Trudel Alliance subiront le même sort que Fleur de Lys, soit Place Quatre-Bourgeois dans Sainte-Foy et les Galeries Charlesbourg. Les frères Trudel avaient annoncé le 30 novembre 2020 le début d’une consultation publique dont les résultats seront dévoilés sous peu.
«Ça nous a permis de consulter 6000 personnes au total pour les deux centres. Du jamais vu! Pendant une période de pandémie où les mails étaient fermés», révèle M. Trudel. «Une bonne partie de la consultation s’est faite en ligne et on l’a étendue à l’ensemble du territoire de la Capitale-Nationale.»
Pour tous ses sites, Trudel Alliance travaille avec 130 organismes de la région. D’ailleurs, Accès-Loisirs Québec emménagera bientôt dans les Galeries Charlesbourg. Au moment où Le Soleil rencontrait les gens de Trudel Alliance dans leur local, la responsable de l’organisme communautaire était présente pour attacher les ficelles de cette relocalisation.
En conclusion, M. Trudel ne peut pas passer sous silence que cela prend une certaine ouverture de la part des institutions financières. «Le financement de ce projet, c’est complexe. Habituellement, les banques vont financer une propriété sur son revenu. Plus il y a de revenus, plus la valeur est haute, plus c’est facile à financer.
«Nous, volontairement, on perd des revenus [pour bâtir des parcs, etc.], mais pour en faire davantage plus tard. Financer cela, ce n’est pas conventionnel. […] On est très heureux d’être avec Desjardins dans cette aventure. C’est une entreprise québécoise qui comprend vers où on s’en va là-dedans», conclut-il. Paul-Robert Raymond, Le Soleil