En Mauricie, à l’heure actuelle, les refuges venant en aide aux personnes itinérantes et en situation de rupture sociale débordent, littéralement. Mais pas seulement en raison des températures froides, des problèmes psychologiques ou des effets de la pandémie. Ils débordent aussi de personnes qui n’arrivent tout simplement pas à se loger. La pénurie de logements abordables frappe fort, c’est loin d’être exagéré.
Et de plus en plus, on accueille aussi une clientèle qui occupe un emploi stable, mais pour qui la recherche d’un logement abordable est une véritable course à obstacles.
«C’est notre réalité depuis une grosse année, et depuis la fin décembre nous affichons toujours complet. Ce qu’on remarque surtout, c’est qu’il y a moins de roulement. Certains résidents restent plus longtemps car ils n’arrivent pas à trouver à se loger. On tente de les aider du mieux qu’on peut avec nos partenaires, mais le marché n’est vraiment pas évident», résume Karine Dahan, directrice clinique au Centre le Havre, où les 22 lits d’urgence et les 14 lits du refuge affichaient complet encore cette semaine.
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À Shawinigan, même constat. On a, en urgence, augmenté la capacité d’accueil de quatre à neuf lits durant la pandémie, mais voilà que la direction a déposé un appel de projets afin d’obtenir du financement pour que ces lits temporaires deviennent permanents. «On ne peut plus se passer de ça, la demande est trop forte. Ici, on affiche complet depuis plusieurs semaines, même quelques mois. Et de plus en plus, on accueille des gens qui travaillent. Ils n’ont pas forcément de problématique psychosociale ou de santé mentale. Mais ils sont seuls et travaillent au salaire minimum. C’est devenu un vrai problème que de trouver à se loger pour eux aussi», indique Frédéric Trudelle, directeur du Centre Roland-Bertrand de Shawinigan, qui chapeaute l’organisme Le Hamac.
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Signe que la pénurie de logements affecte ce service, le séjour moyen d’une personne à la ressource est passé de huit jours à plus de 14 jours depuis les dernières semaines. Le roulement se fait plus lentement, et lorsque de nouvelles demandes entrent, il faut faire des choix. On se met en réseau avec d’autres ressources pour éviter de laisser des gens à la rue. Avec l’aide financière reçue du fédéral durant la pandémie, il arrivait même que dans certaines circonstances, on paie une chambre d’hôtel. Or, on mise maintenant sur un projet de financement pour que la ressource d’urgence devienne une ressource permanente.
À Trois-Rivières, on ne cache pas que la situation met une énorme pression sur l’hébergement d’urgence. «On ne voit pas comment on pourrait pousser les murs pour en accueillir plus. On met nos efforts à consolider les services. On voit bien cependant que ce qui a été exacerbé pendant la pandémie ne se résorbe pas. Ce n’était pas une problématique pandémique, ça a juste mis encore plus en évidence quelque chose qui était déjà là», constate Karine Dahan.
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À l’Office municipal d’habitation, qui gère le réseau des logements sociaux à Trois-Rivières, on constate aussi les effets, alors que la liste d’attente pour du logement social affiche maintenant près de 400 personnes. On tente d’aider un maximum de personnes avec le supplément au logement d’urgence, mais à 0,9% de taux d’inoccupation, pas toujours facile de trouver des logements qui accepteront des locataires bénéficiaires de cette aide financière.
«On travaille très fort à créer des ententes avec des propriétaires de même qu’avec les partenaires du réseau et la Société d’habitation du Québec. On s’attend à ce que la demande soit encore plus forte cette année. On ne vivait pas ça il y a trois ou quatre ans, et on se rend compte à quel point ça a de l’impact sur beaucoup de gens. Le supplément au logement est une partie de la solution, mais encore faut-il trouver des logements», constate Linda Guimond, directrice de l’accompagnement social et de la location pour l’OMHTR.
Bonifier l’offre de logements sociaux et abordables
Dans son dernier budget, Québec a annoncé vouloir consacrer 416 M$ d’ici 2027 pour bonifier l’offre de logements sociaux et abordables, dont 247 millions de dollars qui devraient servir à achever la construction de 3500 logements inscrits au programme AccèsLogis. Ailleurs, 100 millions de dollars seront affectés à la construction d’environ 1000 unités d’habitation supplémentaires, avec le Programme d’habitation abordable Québec. Des montants qui ont été qualifiés de carrément insuffisants par les organismes qui militent pour le logement social.
Sur le babillard à l’entrée du Havre, Jean-François l’a bien remarqué: les logements qu’on y affiche sont de plus en plus chers. Même une simple chambre au centre-ville trifluvien, qui se louait encore 300$ ou 350$ il y a à peine un an ou deux, s’affiche maintenant à 450$. Des logements trois et demi à moins de 600$? Il ne s’en affiche à peu près plus. Une énorme différence pour une personne seule travaillant au salaire minimum, ou encore qui vit de l’aide sociale et qui reçoit 726$ par mois pour subvenir à ses besoins.
«Et les propriétaires ont beaucoup de choix. Je suis allé visiter une chambre l’autre jour, mais il y avait d’autres visites avant moi et après moi, et je voyais bien que le propriétaire avait déjà fait son choix», indique l’homme, qui préfère ne pas être identifié par son vrai nom.
Son voisin de chambre au Havre serait prêt, lui aussi à partir et à aller s’installer dans un logement. Jean-François voit bien tous les efforts qu’il doit y consacrer. «Les gens se démènent, on voit que ce n’est pas facile. Il a bien dû faire une douzaine d’appels au cours des derniers jours, et il ne veut pas s’éloigner de sa chambre, au cas où il manquerait l’appel qui va lui offrir un logement», résume Jean-François.
La chance a possiblement souri à Jean-François, qui a trouvé et qui devrait déménager pour le 1er avril dans une maison de chambres avec laquelle le Havre fait souvent affaire. Il a eu de bonnes références, puisqu’il s’est impliqué à fond dans son cheminement depuis son arrivée au Havre, en novembre dernier. Et comme il se plaît à le rappeler, personne n’est à l’abri de la rue, surtout pas ces jours-ci.
Jean-François n’a pas toujours été dans la rue. Il y a à peine cinq ans, il occupait un emploi enviable chez Costco, dans la région de la Capitale-Nationale. Or, une rupture très difficile l’a entraîné dans un tourbillon duquel il commence à émerger. Dépression, consommation, perte de tous les biens qu’il possédait et même une psychose toxique ont fini par le faire atterrir dans un séjour à l’Institut en santé mentale Robert-Giffard. Après cette thérapie, il a choisi de changer d’environnement et de venir s’établir à Trois-Rivières, où les gens lui sont apparus sympathiques et où il a eu envie de reprendre sa vie en main.
«Je bénéficie de l’aide sociale seulement depuis 2019. Mais là je me suis impliqué dans ma démarche ici, je me trouve des outils pour me stabiliser. Ce que j’ai vécu, ça peut arriver à tout le monde», considère celui qui souhaite pouvoir retourner sur le marché du travail lorsqu’il aura emménagé dans son nouveau chez-lui.
Et malgré que les ressources pour les personnes itinérantes font actuellement les frais de la pénurie de logements, Jean-François assure qu’il n’a jamais ressenti les effets de ces débordements sur l’aide qu’il a pu recevoir.
«Les services qu’on reçoit ici sont exceptionnels. Dans le contexte actuel, ils en ont plein les bras, mais ils continuent à bien s’occuper de nous. Je leur lève mon chapeau», confie-t-il, visiblement rempli de gratitude.