Chronique|

Notre moralité bafouée

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est adressé au Parlement canadien, la semaine passée.

CHRONIQUE / Est-ce moi où il y a quelque chose de profondément absurde et cynique dans la réponse occidentale à l’agression russe en Ukraine? Je fais allusion aux tergiversations autour des sanctions économiques et diplomatiques imposées à la Russie. Évidemment, je comprends que la situation est compliquée et délicate. Je comprends qu’on ne peut pas simplement «foncer dans le tas» sans songer aux conséquences. Personne ne veut d’une Troisième Guerre mondiale et encore moins d’un conflit nucléaire.


N’empêche, pendant que le conflit s’enlise en Ukraine, les puissances occidentales semblent plus occupées à protéger leurs privilèges qu’à réellement régler le problème à sa source. Mais c’est compliqué et délicat, je sais. On observe bien une certaine volonté d’intervenir, ne serait-ce qu’indirectement, afin d’aider les Ukrainiens, mais chaque jour qui passe nous démontre à quel point nous sommes de plus en plus réduits à l’impuissance.

Pourquoi donc l’Occident ne peut-il pas agir comme il le souhaiterait? Au-delà des risques évoqués plus haut, je crois que la réponse tient en un seul mot : l’économie. C’est effectivement l’économie, et plus particulièrement la mondialisation économique, qui nous condamne à l’impuissance. C’est pour des motifs économiques que les Occidentaux ne peuvent pas se permettre d’être aussi intransigeants qu’il le faudrait avec la Russie. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le chancelier allemand Olaf Scholz souffler le chaud et le froid au sujet du gaz et du pétrole russe, dont l’Allemagne est largement dépendante. La réponse adéquate serait évidemment l’embargo, mais le fait est que les Allemands ne peuvent tout simplement pas se le permettre.

C’est là tout le problème. La mondialisation et le libéralisme économique nous ont effectivement rendus de plus en plus dépendants de certaines puissances étrangères qui, pour leur part, n’ont que faire du droit international et des droits de la personne. Le cas de la Russie est le dernier exemple en date, mais ce n’est évidemment pas le premier et certainement pas le dernier.

Pensons aussi à l’Arabie saoudite, un pays qui bafoue ouvertement les droits de la personne et où les libertés sont pour ainsi dire inexistantes, mais avec lequel nous faisons de très bonnes affaires. Le blogueur et militant des droits de la personne Raif Badawi en a d’ailleurs lui-même fait les frais, lui qui vient d’être libéré après 10 ans de prison et qui se voit maintenant interdit de quitter le territoire pendant la même durée. Périodiquement, le royaume islamique procède aussi à des exécutions de masse. Charmant, n’est-ce pas? Quoi qu’il en soit, rien de tout cela ne semble suffisant pour empêcher les puissances occidentales, incluant le Canada, de continuer de faire affaire avec ce pays barbare. « Money talks, bullshit walks », comme on dit en anglais.

Dans le même ordre d’idée, nous nous sommes rendus extrêmement dépendants de la Chine pour faire rouler notre propre économie et maintenir notre style de vie. Ce faisant, bien que nous n’aimions pas nous le faire rappeler, nous nous sommes rendus complices, ne serait-ce qu’indirectement, des nombreuses exactions commises par le gouvernement chinois à l’endroit des Ouïghours, mais aussi de sa propre population. On tente parfois de nous convaincre que nous n’avons pas le choix, mais est-ce bien le cas?

Tout cela était pourtant prévisible et évitable. Depuis longtemps, les mouvements altermondialistes nous ont effectivement mis en garde contre les effets néfastes de la mondialisation. Certes, plusieurs d’entre nous en ont tiré profit et ont amélioré leur qualité de vie, mais à quel prix? La triste réalité, c’est que la mondialisation économique est devenue une véritable machine à broyer les humains.

Pendant que les Ukrainiens croulent sous les bombes et se battent pour leur liberté, ici c’est ni plus ni moins notre moralité qui est bafouée. Le libéralisme économique nous oblige à plier l’échine devant le « Dieu argent » et à piler sur nos principes moraux les plus fondamentaux. Au nom de notre sacro-saint mode de vie, nous sommes forcés de fermer les yeux sur les horreurs qui s’abattent sur le monde. Mais est-ce bien là ce que nous voulons?