{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F32d78de9-715d-4e38-ac9e-829d9f25590f.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Journaliste et chroniqueuse "},"email":"ktremblay@latribune.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Feb0b7a9e-c0d8-4b3e-a772-a81f5f461178.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Sherbrooke","name":"Karine Tremblay","source":"La Tribune","twitter":"tremblayk"},{"description":{"fr":"Photographe"},"email":"sbertrand@ledroit.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fa2c19d4b-4609-48eb-ab28-dc7a4c63ce93.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Simon Séguin-Bertrand - Photographe","source":"Le Droit","twitter":"SimonSB"}],"channel":" NOTRE ÉQUIPE AUX FRONTIÈRES DE LA GUERRE","chapters":[{"position":0,"text":"

«Ça vous dirait d’aller à la frontière d’Isaccea, demain?»

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Évidemment qu’on a dit oui!

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Oleg Koleboshyn nous réserve des places dans la voiture de deux Ukrainiens qu’il a croisés quelques jours plus tôt. Départ en matinée pour une livraison de l’autre côté de la frontière. En Ukraine, oui. Là où les militaires manquent de tout.

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«Le ravitaillement servira aux soldats, mais il n’y aura pas d’armes dans la cargaison», précise le Québécois d’origine ukrainienne.

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Ça nous va. Nous arrêterons notre course avant le passage de la guérite. Pour rester en sol roumain et pour voir comment s’orchestre l’accueil des réfugiés.

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Lendemain matin, petit pépin. Le moteur de la voiture fait des caprices. Départ décalé. On rejoint nos chauffeurs au garage, où l’auto se fait rafistoler.

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Roman et Eugène Morozyuk marchent vers nous. À leur carrure et leur allure, on sait que ce sont deux frangins. Même démarche, même coupe de cheveux, même regard bleu. C’est simple: on a l’impression d’avoir devant soi des jumeaux qui ne seraient pas du même âge.

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Ils ont un sourire grand comme ça lorsqu’ils nous montrent le précieux paquet qu’ils s’en vont livrer à ceux qui résistent, dans leur pays natal.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Un paysage capté lors du trajet vers la ville de Isaccea, en Roumanie.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":8,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F1d42366a-7f03-43fa-b6ac-4608e99fdc01.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":9,"text":"

Au creux de la banale boîte brune, dort un contenu qui vaut de l’or. Parce qu’il peut faire la différence entre la vie et la mort. Des gilets pare-balles, des casques de combat, des batteries, des genouillères et des jumelles sont entassés dans le paquet.

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«Les gilets pare-balles sont devenus une rareté. Ils sont donc très prisés.»

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Roman et Eugène referment le colis avec satisfaction. Ce n’est pas leur première livraison, ce ne sera pas leur dernière non plus. Un peu partout, près des frontières, d’autres Ukrainiens font le même genre d’expédition.

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«On jasera dans l’auto, on a plein d’histoires à raconter», nous disent-ils en anglais.

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Dans leur Toyota Camry qui fonctionne au propane, on apprendra qu’ils sont natifs de Kyiv. Et que Roman peut traverser la frontière à sa guise.

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«Parce que j’ai quatre enfants. Dans les familles où il y a plus de trois enfants, les hommes ne sont pas obligés de s’enrôler», explique-t-il.

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Eugene, lui, a fui le pays au tout premier jour de la guerre. Le 24 février. En toute légalité.

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«Quand les bombardements ont commencé, à l’aube, j’ai compris que je devais mettre ma famille à l’abri. Sans tarder. J’ai deux enfants, un de 4 ans, un autre de 5 mois. Je savais que l’invasion des Russes signifiait la guerre.»

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Il a conduit vite jusqu’aux limites du pays et il s’en est fallu de peu pour qu’il ne puisse pas passer.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Deux frère Ukrainiens, Roman et Eugene","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":18,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F9bd40740-b12c-409d-ad03-26185e97399d.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":19,"text":"

«On a atteint le poste frontalier à 14h, mais il y avait beaucoup de monde. On a franchi la ligne à 18h30 seulement.»

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À 20h, les hommes âgés de 18 à 60 ans n’étaient plus autorisés à quitter l’Ukraine.

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À défaut d’être sur le champ de bataille, Eugène mène un autre genre de combat. Amasser du matériel et en orchestrer la livraison avec son frère, c’est sa façon de lutter. En restant près des siens.

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Et les deux frérots ont d’autres idées dans leur cabas.

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«En raison de la propagande, les Russes ont une totale incompréhension de ce qui se passe. Il faut le leur dire», expliquent Roman et Eugene.

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Pour contrecarrer la désinformation, ils visent le web. Avec une «armée» inattendue: les adolescents.

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«Tous, ils ont du temps. Et tous, ils ont un téléphone. C’est un moyen de communication qui peut devenir redoutable s’il est utilisé par un très grand nombre, dans un même but. J’ai travaillé dans l’innovation et la cybersécurité. On voudrait créer un réseau capable de déjouer les cyberbarrières de la Russie. Pour diffuser la vérité sur toutes les plateformes possibles. Même dans les critiques de restos en ligne, s’il le faut.»

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Le mouvement en est à ses débuts. Il faudra du financement et du temps pour le mettre sur rails.

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«Après ça, mon analyse, c’est qu’il faudrait un coup d’État pour sortir Poutine de son siège. Il n’y a que ça pour l’arrêter. Et si on ne le fait pas, il va poursuivre sa marche sur les autres pays des Balkans.»

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Pour Roman, l’ombre d’une Troisième Guerre mondiale n’est pas à écarter. Ni la possibilité que Poutine en vienne à provoquer un incident nucléaire. «Ce serait catastrophique. Pour tout le monde.»

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Le paysage défile vite. Trop vite, même. Pressé d’arriver à bon port et multipliant les dépassements, Roman appuie sur l’accélérateur avec beaucoup trop d’enthousiasme. L’odomètre frôle des limites que je ne peux pas écrire ici, ça inquiéterait ma mère. Mais je dois être un peu trop blême sous mon teint déjà blanc.

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«Je suis un conducteur d’expérience, je ne prends aucun risque inutile. Mais je peux ralentir un peu, si vous préférez.»

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Oui, on préférerait. Un peu. Svp.

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À une vitesse un yen plus raisonnable, le sympathique duo profite des quatre heures de route pour nous raconter l’histoire imbriquée (et compliquée!) de la Russie et de l’Ukraine.

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«Les tensions, ça fait longtemps qu’il y en a», constate Eugene.

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La route devient plus sinueuse et traverse des vallons où fleurissent de typiques villages.

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Au détour d’un virage, on aperçoit le Danube. Et les contours de l’Ukraine. On débarque à Isaccea. Roman ne reviendra que dans la nuit, on ne pourra pas attendre son retour pour filer vers Bucarest.

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Au camp, on sera soufflé par l’immensité de la perte et de la peine qui habitent les femmes qui traversent la frontière, en tenant leurs enfants par la main, et avec toute leur vie qui tient dans un mini sac à dos.

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On y repensera, le soir, sur le chemin du retour. On y repensera les jours suivants aussi.

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Le lendemain du périple, Oleg nous dira que nos places libérées leur ont permis de ramener à Bucarest deux femmes réfugiées et leur enfant, à chacune. On se dira alors, nous, qu’on a bien fait de partir plus tôt.

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Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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