{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F32d78de9-715d-4e38-ac9e-829d9f25590f.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Journaliste et chroniqueuse "},"email":"ktremblay@latribune.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Feb0b7a9e-c0d8-4b3e-a772-a81f5f461178.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Sherbrooke","name":"Karine Tremblay","source":"La Tribune","twitter":"tremblayk"},{"description":{"fr":"Photographe"},"email":"sbertrand@ledroit.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fa2c19d4b-4609-48eb-ab28-dc7a4c63ce93.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Simon Séguin-Bertrand - Photographe","source":"Le Droit","twitter":"SimonSB"}],"channel":"Guerre en Ukraine ","chapters":[{"position":0,"text":"

Son regard se détend. Un peu. «Les bruits me mettent sur le qui-vive, explique-t-elle. J’ai encore l’impression d’entendre les explosions.»

La mère de famille vient de franchir le poste frontalier d’Isaccea avec ses quatre enfants âgés de 2 mois, 3 ans, 8 ans et 15 ans. En tout, il leur aura fallu 48 heures de route pour atteindre la Roumanie. Les hot dog mayo-ketchup que leur sert un organisme de bienfaisance à l’entrée accrochent un premier sourire sur le minois des enfants.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Yana a mis 48 heures pour arriver au poste frontalier d'Isaccea, en Roumanie.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":1,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F5b8d8abe-125e-4f44-adc6-201c35f70811.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":2,"text":"

«On est parti de Mykolaïv. C’était difficile, très difficile. C’est la première fois de toute ma vie que je sors de l’Ukraine. J’aurais aimé que ce soit dans d’autres circonstances. Je suis peinée quand je pense à tout ce qu’on a laissé derrière. Et je ne sais pas encore où on va aller. Je vais devoir réfléchir. Mais on n’avait pas le choix. Soit on mourait là-bas, soit on essayait de venir jusqu’ici.»

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Elle s'est enfuie au bon moment. Son taxi démarrait quand le quartier a commencé à être bombardé. «Avant ça, je me trouvais dans un immeuble de cinq étages où tout le monde s’était réfugié au sous-sol. Quand les frappes se sont intensifiées, on s’est demandé si ce sous-sol n’allait pas devenir notre tombeau à tous.»

La fatigue se lit sur son visage comme sur celui de tous ceux qui arrivent.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"La grande majorité des personnes réfugiées sont des femmes accompagnées de leurs enfants.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":4,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F8e32170f-c1d6-4cce-a5d9-7ffe3d3f8f1a.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":5,"text":"

Enfin, de toutes celles qui arrivent, devrait-on plutôt écrire. Parce que la très grande majorité des personnes qui déferlent à la frontière sont des femmes. Et leurs enfants. Comme cette maman et sa petite fille de 1 an et 7 mois, qui ont fait la route depuis Odessa avec chien, chats, valises. Elle ne nous dira que le nom de sa fillette : Mira.

«Ça veut dire paix…»

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Mira","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":6,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F42de3bb5-5484-4eeb-ab4d-0bdb6f636862.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":7,"text":"

Le mot résonne comme une prière. Un vœu. Un espoir. Parce qu’elle a vu «ce qui est impensable, surréaliste, inhumain.» Tout ce qu’entraîne la guerre.

«Si seulement mon mari avait pu venir avec nous… J’ai peur, vous savez, poursuit-elle. Je vis des émotions contradictoires. J’ai l’esprit plus tranquille d’être maintenant dans un endroit sécuritaire. Mais j’ai le goût de pleurer quand je pense à ceux qui sont restés au front, à tout ce que les gens ont perdu. Je suis tellement, tellement triste…»

Son regard se perd dans le vide. Une larme s’esquisse. Elle est incapable d’en dire davantage. Elle a de toute façon déjà tout dit.

L’accablement qui la traverse est presque palpable. Et il est généralisé. Cette ombre qui voile son œil, on la remarque chez les uns, chez les autres.

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De l’autre côté du Danube, s’ils regardent l’horizon, ils voient les contours de l’Ukraine. Là où ils vivaient encore paisiblement il n’y a même pas trois semaines.

Le jour va bientôt tomber, mais de nouveaux réfugiés franchissent encore les guérites à la marche, l’air à la fois hébété et soulagé.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Les personnes réfugiées arrivent avec seulement un petit bagage.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":10,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F9c745081-dd1a-488d-8dde-e79fc9775cc1.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":11,"text":"

Pour tout bagage, ils n’ont souvent qu’un minuscule sac à dos sur les épaules. Parfois, ils amènent avec eux un chat ou un chien. Une fillette avance en sautillant, un toutou précieusement collé sur son cœur. C’est le seul jouet qu’elle a pu emporter.

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Sous les tentes chauffées, les bénévoles accueillent au mieux ces nouveaux arrivants. Quelques lits de fortune, des chaises et des bancs ainsi qu’une aire de jeux improvisée à l’aide de tapis de mousse et de bean bags colorés composent le décor de fortune dans lequel les gens se déposent. En attendant la suite. Certains prendront le bus qui va vers Bucarest, d’où il est possible d’aller ailleurs en Europe. D’autres n’ont pas encore de plan.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Une aire de jeux pour les enfants, à l'intérieur de la tente.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":13,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F7324655a-e6d1-4de3-9521-a2c99195ffd4.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":14,"text":"

Sofia a 19 ans. Elle vient d’arriver avec sa mère, son petit frère de cinq ans, sa sœur de 12 ans. Dans un anglais sommaire, elle raconte le trajet depuis Odessa, où ils ont pris le bateau qui les a menés jusqu’ici. Elle ne sait pas ce qui les attend demain. Se rendre ici, c’était le but du voyage.

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Avant de filer se réchauffer, elle passe devant la poignée de kiosques où les réfugiés peuvent se procurer gratuitement quelques items. De la nourriture, de la soupe chaude, du thé et du café, bien sûr. Mais aussi des vêtements, des jouets, des livres pour enfants, du savon, des couches, du lait en poudre, des produits sanitaires de toutes sortes.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Adriana Susma et Sofia.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":16,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F712090ca-fcac-421a-8a04-b0d0c60710ee.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":17,"text":"

C’est devant cet étalage que Sofia s’arrête. Tout ce qu’elle veut, en ce moment, c’est du dentifrice.

«Les gens pensent que c’est la nourriture dont les réfugiés ont besoin. Et bien sûr, il leur faut manger. Mais ce qu’ils recherchent ensuite en arrivant ici, ce sont les produits d’hygiène. Parce que c’est lié à la dignité», me dit la bénévole roumaine Adriana Susma.

La veille, me raconte-t-elle encore, elle a pleuré.

«Une femme est arrivée ici tard le soir. Elle cherchait des serviettes hygiéniques. D’ordinaire, on en a, mais si tard dans la journée, nos réserves étaient épuisées, parce que beaucoup de femmes arrivent chaque jour. Je me suis rappelé que j’avais laissé une boîte dans l’une des salles de bain. J’ai pu lui en donner. Elle m’a serrée dans ses bras et s’est mise à pleurer. J’étais tellement émue. Vous imaginez ce que ça veut dire quand une chose si simple devient aussi précieuse?»

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"La bénévole Adriana Susma est là tous les jours, du matin jusqu'au soir.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":18,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fc5382e00-2e3b-4609-8e95-129ca7baa74b.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":19,"text":"

La jeune femme fait partie des bénévoles qui sont à pied d’œuvre de l’aube jusqu’au soir. Chaque jour. Dans des conditions parfois difficiles.

«Aujourd’hui, il fait beau, mais hier, c’était vraiment très froid, souligne-t-elle. Avec le vent, la température ressentie était de moins 17 degrés. J’ai les mains craquelées par le froid. Mais je reste quand même lorsque c’est plus pénible. Je sais que tous ces gens qui arrivent, ils ont eu froid aussi. Et ce qu’ils ont vécu est innommable. Je suis ici parce que j’ai du temps. Et je ne vois pas de façon plus utile de l’employer.»

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Miruna Maria Rahin est aussi bénévole, pour la Croix-Rouge. Elle est postée à l’orée du poste frontalier, là où les réfugiés patientent avant d’avancer vers l’installation temporaire où ils pourront se reposer.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"Miruna Maria Rahin bénévole pour la Croix-Rouge embrasse la petite Irena, 2 ans, qui vient d'arriver avec sa maman Anna.","contentType":"image","credits":"Le Droit, Simon Séguin-Bertrand","position":21,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fde1f3764-29dc-4175-b736-210b99752bff.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":22,"text":"

«On les accueille avec des couvertures, des objets de première nécessité, des médicaments. Depuis le début, on a été témoin de toutes sortes de choses. Plusieurs femmes ont accouché ici, sous la tente. On a dû les transporter rapidement à l’hôpital. Une dame âgée qui avait fait le trajet toute seule, à pied, est décédée en arrivant, probablement parce que le voyage avait été trop difficile pour elle. Il se passe des choses heureuses, d’autres très tristes.»

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Oleg Odesa est aussi venu prêter main-forte. Vêtu de son dossard jaune d’interprète, l’Ukrainien raconte que c’est sa façon à lui d’être utile. Aux abords de la clôture, la conversation s’étire.

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«Ça me fait du bien de parler. C’est ma femme qui m’a convaincu de rester ici. Si elle et nos filles n’avaient pas été là, je serais de l’autre côté de la frontière. J’ai voulu y retourner. Elle m’a dit que s’il m’arrivait quelque chose, la guerre ferait d’autres victimes. Autrement. Parce qu’elle se retrouverait seule pour subvenir aux besoins de nos enfants.»

Il confie pleurer devant les vidéos où on voit des civils parmi les victimes. Parce qu’il y a ce sentiment d’impuissance, terrible, qui lui vrille le cœur.

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«Je n’ai jamais été croyant, jamais. Mais maintenant, je me surprends à prier. C’est la seule chose que je peux faire.»

Et c’est la paix qu’il invite dans ses prières. Comme un vœu, comme un espoir.

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Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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