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Plus de 2200 citoyens dont l’accès aux emprunts était bloqué à cause d’un compte impayé de plus de 20 $ ont à nouveau accès aux rayons des bibliothèques.

Sans parler des 43 000 autres qui n’osaient peut-être plus se présenter aux guichets d’emprunt par honte ou par crainte qu’on leur demande de payer leur dû.

L’administration Marchand en avait fait une promesse électorale et rejoint ainsi le large mouvement des bibliothèques qui «pardonnent».

Près de 380 villes au Québec, dont Montréal, ont ainsi renoncé aux frais de retards. Le mouvement s’étend dans les bibliothèques publiques d’Amérique du Nord et semble devenu irréversible.

Lévis y songe aussi, mais veut d’abord compléter des analyses.

Pourquoi encourager (et récompenser) la délinquance? vous demanderez-vous peut-être.

Ceux qui ont réservé un livre ne risquent-ils pas d’être pénalisés s’il n’y a plus de conséquence aux retards?

La question est pertinente, mais l’expérience suggère qu’il n’en est rien.

Même que l’abandon des frais stimule le retour de livres qui traînaient parfois depuis des années sans que les bibliothèques réussissent à les récupérer ou les facturer aux délinquants.

Mieux encore, une abondante recherche scientifique1 montre que l’abandon des frais de retard favorise la fréquentation des bibliothèques.

L’effet est particulièrement significatif chez les jeunes et les clientèles défavorisées qui avaient parfois renoncé à la bibliothèque et aux livres, faute de pouvoir payer les retards ou par le refus des parents d’y consacrer de l’argent.

Les bibliothèques de Québec percevaient entre 20 ¢ et 1 $ par jour, avec des plafonds variant de 3 $ à 7,50 $.

Rien de si exagéré, mais assez pour faire une différence et ajouter aux inégalités sociales.

Abolir les frais de retard permet aux bibliothèques de mieux remplir leur mission de rendre le savoir accessible plus également pour tout le monde.

Québec estime que la mesure la privera de revenus de 265 000 $ par année.

Il y a cependant un coût administratif à percevoir des frais de retard. Des recherches montrent qu’il en coûte parfois aussi cher de percevoir les frais que les montants qu’on en tire.

La Ville de Québec fera un bilan préliminaire à la fin mars, mais les premiers échos sont «positifs», rapporte le service des communications.

Depuis 2020, l’Association des bibliothèques publiques du Québec (il y en a 1042) fait une promotion active de l’abandon des frais de retard. Plus de 46 % ont déjà répondu et l’élection de nouveaux élus en novembre a provoqué un boom, rapporte la directrice générale Ève Lagacé (Dans la version originale du texte, j'avais écrit par erreur Ève Légaré).

Les premières traces d’un mouvement Fine free library remontent au début des années 1970. Fort Vancouver, dans l’État de Washington, fut parmi les pionnières.

San Francisco a suivi en 1974 en éliminant les frais pour les enfants et adolescents. Le mouvement s’est beaucoup accéléré depuis cinq ans.

La portée des exemptions varie d’une ville à l’autre. Baie-Comeau fut la première au Québec. Son projet pilote, lancé en décembre 2018, a été converti quelques mois plus tard en mesure permanente.

Bilan après un an : hausse de 22 % des abonnements; hausse de 4 % de la fréquentation de la bibliothèque (2282 visites de plus); baisse de 43 % des «facturations», l’étape ultime pour tenter de récupérer les livres manquants.

Des statistiques parlantes, mais la différence, c’est aussi l’impact sur le service à la clientèle, rapporte Marie Amiot, alors responsable de la culture et de la bibliothèque.

Il y a maintenant plus de «cordialité» dans «l’accueil», moins de «temps perdu au comptoir», etc.

Des gens qui étaient «trop gênés» pour rapporter leurs livres en retard ont commencé à revenir, a-t-elle observé.

Des clients réguliers étaient contre au départ, se souvient-elle. Ils craignaient de ne plus pouvoir obtenir les livres réservés à la date prévue. Dans les faits, il n’y a jamais eu de problème.

Avant d’en venir aux frais de retard, la Ville de Québec avait fait une première expérience de «pardon» en 2014.

Pendant un mois, les 51 000 usagers qui avaient une facture en souffrance pouvaient rapporter leurs livres sans frais et remettre leur compteur à zéro. L’objectif était de récupérer des livres et des abonnés.

Le résultat fut très mitigé, pour ne pas dire décevant. Seulement 143 documents ont été récupérés.

Lévis a eu plus de succès en 2016 lors d’une amnistie de quelques semaines avec 8000 documents récupérés.

L’administration Labeaume, comme la plupart des villes à l’époque, n’était pas convaincue encore de l’utilité de l’abandon des frais de retard ou d’amnisties répétitives.

Elle se défendait d’en faire un enjeu financier, puisque les sommes perçues étaient réinjectées dans les collections et services de la bibliothèque.

C’est plutôt qu’elle craignait d’envoyer un mauvais message si elle banalisait l’importance de rapporter des livres à temps.

En 2011, New York comptait 143 000 enfants, principalement dans des quartiers défavorisés, qui avaient perdu leur droit d’emprunter des livres à cause de retards accumulés.

La Ville leur a offert de «rembourser» leur dette en allant lire à la bibliothèque. Pour chaque 15 minutes de lecture, on réduirait la facture de 1 $.

Montréal a offert un programme similaire à l’automne 2016. «Lire c’est payant» a permis à 1245 jeunes de moins de 13 ans de réduire leur dette de 10 ¢ pour chaque minute de lecture en bibliothèque.

Le projet a été élargi aux adultes en 2017 (5342 participants), puis à nouveau en 2018 et 2019 (pas de données disponibles).

Je trouvais l’idée intéressante, même si elle a perdu toute pertinence avec l’abandon des frais de retard.

Mme Lagacé de l’Association des bibliothèques y voyait au contraire un message contre-productif.

Je résumerais sa thèse ainsi : associer la lecture à une obligation ou une punition envoie un mauvais message et une mauvaise image de la bibliothèque qu’on souhaiterait être un lieu de liberté, de rencontre et de plaisir. Bien vu.

1. Références à des recherches sur les frais de retard : endlibraryfines.info/resources/ ; www.abpq.ca/abolition_frais_retard.php

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