Je suis également didacticienne des sciences et dans ce débat, je tente de mettre à contribution mon expertise portant sur la compréhension des questions scientifiques socialement vives environnementales et sanitaires.
Dans la foulée d’une motion adoptée à l’Assemblée nationale, moi et d’autres parents avons rencontré (le 7 mars) le ministre de l’Environnement. En guise de préparation, j’ai lu plus de vingt mémoires rendus publics par leurs auteurs. À plusieurs égards, ces lectures ont été éclairantes.
D’une part, la cohérence dans la compréhension de la situation et dans les propositions formulées démontre qu’il est inexact de prétendre que les citoyen.ne.s ont un déficit d’intérêt (ce que suppose l’annonce du 22 décembre), un déficit de compréhension (ce que prétend le ministre en affirmant que le problème d’acceptabilité en est un de communication) et un déficit de connaissances (ce dont les mémoires témoignent de manière éloquente). D’autre part, les arguments soutenant le rehaussement de la norme s’avèrent insuffisants.
Le ministre persiste et signe: «la décision qui sera prise sera appuyée sur des bases solides et elle ne se fera pas au détriment de la santé des populations.» Autrement dit, il utilise la science comme un argument d’autorité. Or, des doutes sur l’objectivité du processus ainsi que des failles scientifiques sont soulevés dans plusieurs mémoires.
Soulignons d’abord que la responsabilité de la coordination des expertises a été confiée au directeur de l’Institut national des mines, qu’une faible diversité d’expert.e.s a été consulté.e.s (ce que souligne notamment l’Ordre des chimistes), que le temps imparti pour conclure les travaux était court et que les mandats étaient restreints. Cela dit, les études sur lesquelles s’appuie le MELCC ne tiennent pas compte de la réalité de terrain. Le rehaussement visé s’appuie sur la norme européenne, établie essentiellement sur les effets respiratoires du sulfate de nickel. Dans l’air européen, les sulfures et sous-sulfure de nickel, les formes chimiques les plus cancérigènes, représentent moins de 10% des espèces chimiques à base de nickel. En 2013, le MELCC a établi que le nickel atmosphérique à Limoilou est essentiellement sous forme de pentlandite, un sulfure de nickel et de fer manutentionné au Port de Québec. L’air de Limoilou n’est donc pas comparable à l’air européen. De l’avis de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), cela constitue une erreur scientifique fondamentale, d’autant que le nickel a un impact disproportionné sur la santé des enfants.
Selon le Conseil de quartier du Vieux-Limoilou, la mauvaise qualité de l’air constitue la plus grande préoccupation des habitants du secteur. En effet, les citoyen.ne.s de Limoilou respirent déjà sept fois plus de nickel que la moyenne des Canadien.ne.s et subissent des niveaux de pollution atmosphérique dépassant les normes de l’Organisation mondiale de la santé. Pourtant, les risques d’effets toxicologiques cumulatifs n’ont pas été considérés. Du point de vue scientifique, cela constitue une autre faille importante.
De manière évidente, les considérations économiques sont celles qui dictent la volonté du gouvernement de rendre plus permissive la norme de nickel dans l’air. Pourtant, de l’avis des directions régionales de santé publique, les arguments économiques sont incomplets et discutables. Par exemple, la valeur économique des impacts sanitaires liés à la pollution atmosphérique de l’industrie du nickel a été exclue du calcul, ce qui rend impossible de conclure à l’existence de réels bénéfices économiques.
En s’appuyant sur le principe du pollueur-payeur inscrit dans la loi sur le développement durable, ce sont les industries qui devraient investir afin de moderniser leurs installations. Les opérations de manutention au Port de Québec pourraient se dérouler sous couvert, comme c’est le cas ailleurs dans le monde où ce type d’activités se déroule à proximité de quartiers densément peuplés. Cette solution est à la portée de l’industrie: le nickel est un constituant essentiel des véhicules électriques, son prix sur le marché est à la hausse, il continuera d’être un minerai recherché et les gisements resteront au Québec.
En somme, les mémoires que j’ai lus sont étayés, précis et rigoureux. Ils témoignent du sérieux des citoyen.ne.s et des organisations qui les ont rédigés. Leur position est ferme: la qualité de l’air doit s’améliorer et non s’empirer à Québec. Et pour cela, ils maintiendront la garde et la pression.