La hausse du prix de l’essence se répercutera partout  

Le prix de l’essence a encore atteint un nouveau record lundi dans la grande région de Québec, avec une moyenne affichée à la pompe entre 1,82 $ et 1,84 $ le litre selon les secteurs.

Le prix de l’essence a encore atteint un nouveau record lundi dans la grande région de Québec, avec une moyenne affichée à la pompe entre 1,82 $ et 1,84 $ le litre selon les secteurs. Et l’incertitude entourant le conflit en Ukraine pourrait avoir également des répercussions dramatiques sur tous les secteurs de l’économie et le portefeuille des consommateurs préviennent des experts.


La file était longue, lundi après-midi à la station-service du Costco de Lévis pour faire le plein. Il faut dire que le prix était inférieur (1,767 $) à la moyenne de la région (voir tableau plus bas).

Certains automobilistes rencontrés par Le Soleil, n’hésitent d’ailleurs pas à faire un petit détour pour économiser quelques dollars. «Avant que ça monte, j’allais tous les dimanches faire le plein dans un dépanneur. Là, je prends la peine d’arrêter ici même si c’est plus long pour rentrer chez moi. On ne sait pas le prix va être à combien demain», explique Martin Descoteaux. 

Idem pour Gilles qui a décidé de faire le plein à la station-service du Canadien Tire parce qu’il a vu que c’était moins cher qu’à Pintendre. «C’était affiché 1,94 $, ici c’est 1,84», a-t-il confié. 

S’ils cherchent à réduire leur facture, les automobilistes ne se passeront pas pour autant de leur voiture. «Je travaille avec l’auto. La tarification pour mes clients va être impactée pour le futur, c’est certain, parce que là je suis en perte financière à chaque fois que je me déplace», affirme Jean-François. 

D’autres revoient leur budget personnel pour limiter la casse. «Quand on veut faire des sorties la fin de semaine, ça remet en question notre budget. Quand je vais à l’épicerie, je vais regarder plus souvent les spéciaux et les coupons», raconte Martin Descoteaux. 

Empêcher la collusion

Les prix atteignant des sommets partout au Canada, le gouvernement fédéral a demandé lundi au Bureau de la concurrence de surveiller le marché du carburant afin de s’assurer qu’il n’y a pas de collusion dans la détermination du prix de l’essence.

«J’ai saisi le Bureau de la concurrence pour leur demander de mettre des équipes en place pour s’assurer qu’il n’y ait pas de collusion, qu’il n’y ait pas de pratiques déloyales», a déclaré le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, en marge d’une annonce à Bécancour.

Cette décision survient alors que le prix de l’essence a subi une augmentation brusque à travers le pays dans la foulée de l’invasion en Ukraine. 

Les experts remettent tout de même les choses en perspectives en rappelant qu’il y a d’autres facteurs pour expliquer la hausse du prix du carburant. 

«La pandémie a causé un arrêt très important de la production. Mais la reprise économique post-pandémique est très forte. L’énergie suit et les prix augmentent depuis l’été 2020», souligne Carol Montreuil, vice-président Est du Canada de l’Association canadienne des carburants.

L’inflation le plus grand danger 

Selon Patrick Gonzalez, professeur agrégé du département d’économique de l’université Laval, les pays de l’OPEP+ ne sont pas pressés d’augmenter leurs productions de pétrole. «Ils veulent contrôler le prix de l’essence pour éviter que le prix augmente trop ni que le prix s’effondre. Ils aiment bien un prix à 80-100 $ le baril. Ils n’ont pas prévu la crise en Ukraine, alors il faudra voir dans les mois qui viennent comment ils vont s’ajuster.»

Si l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’est pas directement responsable de la montée du prix de l’essence. Elle produit des incertitudes qui entraînent un signal d’alarme chez tous les économistes.

Le prix du baril de Brent de la mer du Nord, l’une des deux variétés de référence du marché, a frôlé dimanche 140 $ US, proche de son record absolu. Depuis le début du conflit, le Brent a pris 33 %.

Le Canada a interdit l’importation du pétrole russe (2e producteur mondial) dès le début de l’invasion, sans vraiment de conséquences sur notre économie puisque le pays n’importe plus de pétrole russe depuis 2019. Mais si les Américains et les Européens décident d’alourdir les sanctions contre la Russie en prenant la même décision, et que le conflit s’enlise, tous les secteurs de l’économie seront touchés.

Pour M. Gonzalez, le plus dangereux est la montée de l’inflation. «À la Banque du Canada, c’est leur première préoccupation. Toute l’économie dépend du prix de l’énergie. On mange, on s’habille. Il y avait déjà des poussées inflationnistes, et ça va les renforcer», prévient-il.

En janvier, l’inflation au Canada a augmenté de 5,1 %, une première depuis septembre 1991, selon les données de Statistique Canada. «Si l’inflation augmente encore, la Banque du Canada pourrait décider d’augmenter beaucoup plus rapidement les taux d’intérêt à 7, 8 ou 9 % et ça peut être dramatique pour bien des ménages qui ont des hypothèques à payer et qui se retrouvent à renouveler leur hypothèque à 3-4 fois le prix qu’ils pensaient payer», avertit l’économiste. 

Un avis partagé par son collègue, Arthur Silve. «À court terme, il faut s’attendre à une augmentation des prix des céréales, dont la Russie et l’Ukraine sont des exportateurs essentiels. Au Canada, cela se traduira par une inflation plus forte. Il pourrait aussi y avoir des tensions sur l’approvisionnement en potasse, qui rentre dans la fabrication des engrais. Cela pourrait avoir des conséquences sur le prix des produits alimentaires.»

Se tourner vers d’autres solutions

La pandémie a engendré un engouement pour les véhicules énergivores selon le directeur de l’Association pour la protection des automobilistes (APA), Georges Iny. Et la hausse des coûts du carburant n’y a rien changé.

«À ce jour, il n’y a pas de changement dans la consommation d’essence. Les gens n’ont pas abandonné l’achat de VUS, les constructeurs par contre ont abandonné la production de petits véhicules parce que le public n’est pas intéressé», évoque-t-il.

De plus, selon M. Iny, même si les consommateurs voulaient acquérir d’autres véhicules, il y a plus de demandes que d’offres. «Pour les gros véhicules, il y a trois acheteurs pour une voiture donc elles vont se vendre pareil et concernant les véhicules hybrides ou électriques, ils sont déjà tous vendus pour 2022.»

Pour M. Iny, le seul moyen pour les consommateurs de réduire la facture énergétique est donc de se tourner vers des solutions comme le transport en commun ou le covoiturage. «Pendant la pandémie, les gens ont abandonné le transport en commun par peur de la COVID. Il faudrait qu’il retombe en amour. Dans les villes où le transport en commun est efficace, le réseau est sous-utilisé», dit-il. «Autre solution, le covoiturage. En partageant le véhicule avec une autre personne, chaque personne réduit sa consommation d’essence de 50 %», plaide-t-il.  Avec PC et AFP