À Rivne, à l’autre bout du pays, ces scènes de résistance citoyenne sont sur tous les écrans de téléphone. Elles donnent espoir autant qu’elles étonnent. Car pour Marina Kouzmitchova et Tetiana Kidruk, qui travaillent d’arrache-pied depuis dix jours pour organiser la réponse humanitaire dans leur ville face à la guerre, l’affront des Khersoniens et des Khersoniennes aux forces d’occupation est tout sauf anodin.
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«Kherson est une ville russophone. C’est un endroit où les gens ne se soucient pas beaucoup de la langue ukrainienne, du drapeau ukrainien. Mais regardez maintenant ce qu’ils font. Je n’aurais jamais pensé qu’ils montreraient aussi ouvertement leur volonté d’être Ukrainiens. Nous sommes si fiers!» lance Marina, qui est mairesse adjointe de Rivne, une ville de 250 000 habitants située à 200 km de la frontière biélorusse.
Tetiana, qui dirige en temps de paix une organisation venant en aide aux enfants malades, mais qui depuis le début de l’invasion russe coordonne pour la municipalité la réception des dons de médicaments en provenance de l’étranger, abonde dans le même sens. «Ça nous motive énormément [de voir ça]. Parce que nous comprenons que nous, nous sommes dans un endroit plutôt sécuritaire pour l’instant, mais que nous nous battons aussi pour ces gens-là.»
Je discute avec Marina et Tetiana dans le brouhaha de la Maison du peuple de Rivne, l’édifice municipal où des dizaines de volontaires s’affairent à accueillir les dons de citoyens, citoyennes et commerces de la ville, pour ensuite les acheminer à celles et ceux qui en ont besoin, à Rivne même où dans les zones de combat.
L’étonnement de ces deux femmes qui n’ont pas beaucoup dormi depuis dix jours est partagé par bon nombre d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes. Avec raison.
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En 2014, quand les soldats russes ont envahi la Crimée, à un jet de pierre de Kherson, ils ont été accueillis comme des libérateurs par une majorité des habitants de la péninsule. Dans la capitale Kyïv, le président pro-russe Viktor Ianoukovitch venait d’être renversé après des manifestations réprimées dans le sang, et de nombreux citoyens des régions russophones du pays craignaient, propagande russe aidante, que les nationalistes ukrainiens victorieux viendraient se venger contre eux.
«Ma propre tante en Crimée était extrêmement contente de voir arriver les Russes», se souvient Max Kidruk, écrivain de science-fiction et mari de Tetiana. «Elle est très pro-Poutine et elle disait à ma mère qu’elle croyait qu’on m’enverrait la tuer.»
Mais voilà, les temps ont changé et avec eux, l’allégeance des Ukrainiens et des Ukrainiennes russophones. Si certains pouvaient encore conserver une sympathie pour la Russie il y a quelques jours à peine, la brutalité de l’invasion lancée par Vladimir Poutine en a fait disparaître les dernières traces. D’autant plus considérant que ce sont les villes et territoires les plus russophones du pays qui sont actuellement visés par les bombardements russes.
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«Je crois que Poutine a déjà perdu, dit Marina. Il espérait conquérir l’Ukraine en 72 heures. Mais il ne s’attendait pas à une telle résistance des Ukrainiens. Il croyait que les gens sortiraient dans la rue avec des drapeaux russes. Peut-être que nous n’avons pas l’armée la plus forte, mais notre esprit est le plus fort. Alors nous allons gagner. Peut-être pas aujourd’hui, mais nous allons gagner.»
Le héros Zelensky
Une autre grande source de motivation pour plusieurs Ukrainiens en ce moment est le leadership démontré par le président Volodymyr Zelensky depuis le début de l’invasion.
Max Kidruk était loin d’être un fan de Zelensky, dont il ne respectait ni les talents de comédien ni l’intelligence. Lors de l’élection de 2019, il avait soutenu le président sortant Petro Porochenko, convaincu que Zelensky était «à la solde de Moscou». Mais maintenant, il ne peut que se rendre à l’évidence que l’Ukraine aurait difficilement pu trouver mieux comme président de guerre.
Iaroslav, un chauffeur de taxi de Lviv, m’a aussi raconté samedi matin avoir vécu un changement radical d’opinion à propos de Zelensky. «Je n’ai pas voté pour lui parce qu’il était juif», a-t-il laissé tomber dans la voiture, sans aucune gêne à exprimer ouvertement son antisémitisme le plus primaire.
«Je croyais qu’il nous fallait un président [ethniquement] ukrainien. Mais là je suis en admiration. C’est un tout jeune homme, de 44 ans, qui dit la vérité aux Américains, qui dit la vérité tout court. Il arrive [devant les caméras] sans être rasé, mais sûr de lui, et il tient devant la pression. Il remonte le moral de tout le monde», s’enthousiasme Iaroslav.