Run de lait : Justin Laramée trait l’information comme un pro

Justin Laramée montre avec <em>Run de lait </em>qu’il sait aussi bien traire l’information que la transformer en œuvre théâtrale.

CRITIQUE / Justin Laramée montre avec Run de lait qu’il sait aussi bien traire l’information que la transformer en œuvre théâtrale. Présentée au théâtre du Trident jusqu’au 26 mars, cette pièce-documentaire qu’on boit en deux heures n’est pas facile à digérer pour les consommateurs de produit laitier.


Mes attentes étaient hautes et elles ont été surpassées. Justin Laramée sait occuper une scène. Tout de même, il aurait peut-être pu donner un peu plus de place au talentueux docteur en musique Benoît Côté qui était tassé dans un coin sombre avec un clavier, une batterie et un ordinateur. Même lorsqu’il parlait, le musicien semblait vouloir prendre le moins d’espace possible dans le temps.

Je suppose que ce ne fut pas une mince affaire que de synthétiser toute l’information qu’ils avaient à partager dans cette pièce.

Sur scène, Justin Laramé s’entoure de boites de son desquelles sortent de longs tubes blancs évoquant les tuyaux de traite dans les fermes laitières.

Les haut-parleurs projettent des extraits d’entrevues qui s’intègrent à sa narration mettant en scène son enquête sur l’industrie du lait québécois. Aucune vidéo ne vient soutenir cette production qui s’en passe très bien.

Lorsqu’on nous présente 8000 ans d’histoire du lait en 8 minutes, les deux dramaturges montrent que des acétates peuvent encore être un support visuel efficace en 2022, pourvu que la personne qui les expose soit captivante...

Sur scène, Justin Laramé s’entoure de boites de son desquelles sortent de longs tubes blancs évoquant les tuyaux de traite dans les fermes laitières.

L’information à transmettre était dense et complexe. Alors que Justin Laramée nous explique le système des classes de lait, un des transformateurs interrogés admet lui-même ne pas tout comprendre. Cela donne une idée de l’ampleur de la tâche de vulgarisation dans laquelle s’est lancée l’auteur de la pièce qui en assure aussi la mise en scène avec Olivier Normand.

Avec des talents d’humoriste innés, l’enquêteur-artiste se moque gentiment de personnalités publiques pour notre plus grand délice. Il offre même quelques blagues préparées spécialement pour Québec. On rit énormément durant cette pièce qui présente avec beaucoup de respect ceux qui ont participé à cette enquête.

Les producteurs de lait ne sont pas caricaturés et Agropur, le seul transformateur d’envergure qui a accepté de rencontrer Justin Laramée, n’est pas diabolisé outre mesure malgré les informations plutôt troublantes qu’on nous dévoile.

Du scandale du lait diafiltré à celui des veaux mâles qu’on abat presque systématiquement à la naissance, certaines révélations pouvaient être pressenties, mais Justin Laramée a réussi à les prouver. En utilisant le théâtre pour communiquer ces faits, ceux-ci auront peut-être un plus grand impact sur le citoyen qui assiste à la pièce que s’il avait simplement lu ou regardé un reportage traditionnel. Parfois, la raison a besoin des émotions pour agir logiquement.

Justin Laramée m’a fait verser une larme au début de sa run de lait, alors qu’il commence sa série d’entrevues en abordant la détresse des producteurs laitiers. Puis, la comédie reprend le dessus grâce aux remarques percutantes et ironiques du dramaturge qui va jusqu’à incarner une vache pour notre divertir.

On rit en découvrant un système désespérément complexe qui est bafoué par ceux-là mêmes qu’il a aidés à s’enrichir et dont l’appétit semble sans fin.

Au-delà de l’information fascinante et scandaleuse que nous transmet cette pièce, Run de lait offre aussi un portrait des cinq dernières années. On voit le dramaturge en télétravail en bobettes tentant d’aider un enfant avec ses devoirs, pendant que la plus jeune a besoin d’aide aux toilettes et qu’il essaie de rejoindre le plus gros transformateur de lait au monde pour la énième fois au téléphone. La pièce fait également des clins d’œil à des événements plus récents.

Cette pièce m’a procuré un nouveau respect pour les végétaliens. Run de lait est une œuvre importante à laquelle tous les Québécois et les consommateurs de produits laitiers se doivent d’assister, même si elle n’est pas de tout repos pour les écoanxieux.