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Olessya et Andriy me racontent cette anecdote à leur sortie du train, devant la gare de Lviv, à 1000 km de Kharkiv et de la vie qu’ils ont laissée derrière. Le voyage a duré vingt heures, entassés à quatorze dans un compartiment prévu pour quatre. Il a fallu passer à travers la capitale Kiev durant la nuit, alors que la ville était tout aussi lourdement bombardée par l’artillerie russe.

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Mais les Shashko se comptent chanceux. Ils sont là, bien vivants, avec leurs deux jeunes enfants, Svetlana, la mère d’Olessya, deux de leurs voisins et, bien sûr, leurs sacro-saints instruments.

À la gare de Lviv en ce septième matin de guerre, les trains affluent plus que jamais en provenance des zones de combat ou à risque d’en devenir et, avec eux, celles et ceux qui ont dû faire le choix déchirant de partir de chez soi.

Les regards sont sévères, parfois agressifs. À travers la cohue, on cherche le train vers la Pologne, vers la Roumanie, la sortie vers la ville ou quelque chose à manger. Une grand-mère est prise de tremblements. Elle fait une crise de panique devant ses petits-enfants qui pleurent, paniquent à leur tour.

Une dame aux traits tirés demande à tout le monde quand partira le prochain train pour Kiev. Elle doit rentrer chez elle. Son fils de huit ans y est resté avec sa grand-mère.

Trois jeunes hommes tout juste rentrés de Pologne, l’air stoïque, sans expérience militaire, monteront aussi à bord de ce train, pour aller apprivoiser les armes.

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Ce couple aussi, avec leurs trois chiens, leur enfant dans les bras et l’autre dans le ventre de la mère. Ils ont essayé de quitter le pays ensemble, mais à la frontière, ils ont compris qu’ils n’en avaient pas les moyens. Il leur en aurait coûté «près de 3000 euros» pour qu’un passeur emmène le père, en âge de se battre, côté polonais.

L’heure est grave pour tous et toutes ici. Olessya et Andriy le savent aussi bien que tout le monde. Mais ils ne peuvent s’en empêcher, c’est dans leur nature, le sourire n’est jamais loin de leurs lèvres. «Nous rêvions de revenir en visite à Lviv. Notre rêve s’est réalisé, même si ça ne s’est pas passé exactement comme nous l’aurions voulu!» lance Andriy.

La décision de partir a été difficile. Il a fallu une intensification des bombardements dans la nuit de lundi à mardi pour qu’ils s’y résignent dès le lendemain matin. Au moins, leur départ a été facilité par le fait que leur maison ne se trouve qu’à dix minutes à pied de la gare du sud de Kharkiv. «Nous avons jugé qu’il était moins dangereux de partir que de rester», dit Andriy.

Partir avait néanmoins un coût lourd. Il leur a fallu laisser derrière la grand-mère octogénaire d’Olessya. «Elle habite loin de la gare. Il lui aurait fallu s’y rendre, mais déjà, quand elle sort pour aller à l’épicerie, ça bombarde et ça mitraille tout autour, donc elle ne peut pas.» Le frère d’Olessya aussi a dû rester à Kharkiv. Il est en instance de divorce, son ex est en Russie, il s’occupe seul de leur fils, et lui aussi, il habite loin de la gare.

«Je le savais que ça allait arriver», dit Olessya à propos de l’invasion russe, qu’Andriy, ne croyait pas possible il y a encore une semaine. «Nous faisions des réparations dans notre appartement. J’ai dit : je ne veux pas dépenser toutes mes économies là-dessus, parce qu’il y aura une guerre avec la Russie. On me disait, Olessya, tu es comme une vieille grand-mère! Que Dieu fasse que tu n’aies pas raison!»

Par le tunnel du métro

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Dans le train en provenance de Kharkiv se trouvait aussi plusieurs étudiantes et étudiants indiens, dont Leona Merwyn. Quelques heures avant son départ de la ville où elle devait compléter ses études de médecine dans quatre mois, un autre étudiant indien de la même université, un niveau plus bas qu’elle, a été tué dans un bombardement alors qu’il faisait la queue pour acheter de la nourriture.

«Notre niveau émotif est un peu élevé, mais nous sommes heureux d’être en vie», dit Leona.

Pour se rendre des résidences universitaires jusqu’à la gare, ses camarades et elle ont plongé les profondeurs du métro kharkivien et ont marché dans les tunnels les deux stations qui les en séparaient.

Maintenant en sécurité, elle compte prendre quelques jours avant de quitter Lviv. «Nous avons des chiens, et il nous faut un passeport international pour pouvoir les emmener avec nous», explique-t-elle.

Toujours à Kharkiv

Pendant ce temps à Kharkiv, Vladislava Naoumova a aussi des préoccupations canines. Avec le couvre-feu en place dès 16h désormais, elle ne sait pas trop comment elle pourra aller promener son animal de compagnie.

Au bout du fil, cela semble l’inquiéter presque autant que le bombardement qui a dévasté une salle de quilles à deux rues de chez elle la nuit précédente, faisant voler en éclats les vitres de plusieurs des appartements de sa tour à logements.

«Peut-être que j’ai une prédisposition psychologique qui fait que je ne ressens pas la peur dans sa pleine mesure», réfléchit-elle à voix haute. «Mais de voir comment mes proches s’inquiètent, comment mes animaux réagissent aux bombardements (elle a aussi un chat), ça me crée un inconfort. Je crois que si j’étais seule, ce serait plus facile.»

Avec les bombardements qui s’intensifient, Vladislava, son père et sa mère voient de moins en moins comment ils pourraient réussir à quitter la ville de manière relativement sécuritaire. «Je crois qu’il aurait fallu partir au tout début, dans les premiers jours, même s’il y avait des embouteillages incroyables. Les attaques n’étaient pas encore aussi agressives. Maintenant, je ne sais pas. Il y a toujours un risque. Nous pourrions essayer, faire toute la route en voiture, ou simplement rouler jusqu’à la gare et l’abandonner là-bas. Mais il faudrait le faire avant le couvre-feu, et la gare est à l’autre bout de la ville.»

En attendant que sa ville retrouve son calme, sous contrôle russe ou ukrainien, Vladislava garde le sien, pour mieux s’occuper de ses proches, parents et animaux.

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