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Trente, quarante ou cinquante kilomètres de marche. On ne s’entend pas sur la distance exacte parcourue à pied pour rejoindre la frontière polonaise, mais on s’entend sur les niveaux d’exténuation et de souffrance extrêmes qu’elle a provoqués.

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Au poste-frontière de Medyka en ce cinquième jour de guerre, ils sont des centaines d’étrangers, principalement des étudiants internationaux, à traverser vers une zone de répit appelée Pologne. Si leur nombre est beaucoup moindre que celui des Ukrainiens et des Ukrainiennes qui font la queue en voiture durant des dizaines d’heures à la frontière ou s’y font déposer en autocar, leur périple pour arriver au même point a été indéniablement encore plus long et cauchemardesque.

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Le visage désemparé de Deborah M. le raconte sans presque qu’elle n’ait à y ajouter de mots. La semaine dernière, l’étudiante de 21 ans devait monter à bord d’un avion pour aller passer du temps chez elle, au Congo-Brazzaville. L’armée russe en a décidé autrement. Le jour prévu de son départ, son vol a été remplacé par des bombardements sur Kharkiv, la ville où elle étudie la médecine dans l’ouest de l’Ukraine et où se déroulent actuellement des combats féroces entre forces russes et ukrainiennes.

Au deuxième jour des hostilités, Deborah a pu prendre un train pour quitter la ville, puis un second, jusqu’à Lviv, à l’autre bout du pays. De là, avec d’autres étudiants africains, elle a cherché à rejoindre la frontière polonaise, à 80 kilomètres. Mais à peu près à mi-chemin, à un poste de contrôle, les militaires ukrainiens les ont empêchés de poursuivre en taxi. Question de sécurité, semblait-t-il. Il leur faudrait faire le reste de la route à pied, sans certitude à l’effet qu’on les laisserait même traverser la frontière.

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«J’ai marché de 21h à 11h du matin, raconte Deborah d’une voix faible. J’ai passé deux nuits sans dormir ni manger. Dehors, sous le froid. Et voilà, je me retrouve comme ça.»

«Comme ça», c’est être enfin de l’autre côté de la frontière, mais ne pas savoir quoi faire maintenant pour finalement pouvoir rentrer chez soi. Alors que l’ambassade de l’Inde a mobilisé des autocars pour cueillir les milliers d’étudiants qu’elle savait sur le point de déferler d’Ukraine, Deborah et ses compagnons d’infortune — un Camerounais, un Congolais comme elle et des Guinéens — n’ont jamais obtenu d’aide de leur gouvernement.

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Face à l’impasse du groupe, j’appelle Mateusz et Anna, un couple d’entrepreneurs polonais devenus en quelques jours coordonnateurs d’aide pour les réfugiés à la frontière. Ils viennent tout juste de me conduire de Varsovie jusqu’au poste de Medyka, d’où je m’apprête à prendre le chemin inverse des étudiants, vers l’Ukraine.

Mon appel leur fait rebrousser chemin. Mateusz et Anna s’occuperont de trouver des voitures pour emmener le groupe de Deborah jusqu’à Varsovie, où tous pourront se reposer et, éventuellement, s’envoler vers la maison.

En me rapprochant encore un peu du poste-frontière après leur départ, je constate que les autorités polonaises ont en fait déjà nolisé des bus spéciaux, ouverts aux ressortissants de tous les pays. Accablés par la fatigue et au milieu de la confusion qui régnait, Deborah et ses amis ne les avaient pas vus.

L’avenir en Ukraine

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Les récits des étudiantes indiennes et pakistanaises avec qui je m’entretiens ensuite sont similaires à ceux du groupe africain. Les bombes, la fuite, la longue marche, la traversée. À quelques nuances près.

Abeerah Ahmed Khan, une étudiante pakistanaise à Kharkiv, aussi en médecine, souligne qu’au moment de l’attribution de billets de train pendant l’évacuation des villes, les autorités «priorisaient les Ukrainiens».

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Sa compatriote Saima Waheed, qui a fait toutes ses études en financement des entreprises en Ukraine, jusqu’au doctorat qu’elle vient de terminer, raconte toutefois que la rudesse des soldats rencontrés a été largement compensée par la générosité et la compassion des habitants de la zone frontalière. «Chaque cinq kilomètres, des gens avaient installé des tables et nous offraient des patates pilées, du thé, des saucisses, de la soupe, des nouilles. Si vous aviez besoin d’eau, ils vous laissaient entrer chez eux», dit-elle. «Et une femme nous a même dit en pleurant : S’il-vous-plaît, ne pensez rien de mal de l’Ukraine!»

Plusieurs étudiantes ne peuvent de toute façon pas se permettre de penser du mal de l’Ukraine, malgré l’expérience éprouvante qu’elles viennent de vivre.

À peine capable de se tenir debout après quatre jours sans vraiment dormir, Nisha Surti, a bien hâte de pouvoir rentrer chez elle à Ahmedabad, en Inde. Mais elle songe déjà à son retour à Ternopil, non loin de Lviv, où elle étudie en médecine. «Nous voulons que cette situation de guerre se termine pour que nous puissions reprendre les études. C’est notre avenir qui en dépend», dit-elle.

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