Prendre le taureau par les cornes
Ou le mammouth par ses défenses, si on en juge par la «refondation» du système de santé promise par le premier ministre François Legault. Nombreux sommes nous à questionner Le Petit Robert selon qui la refondation est l’action de fonder sur de nouvelles bases. Lesquelles? Robert et François restent muets à ce sujet. S’agit-il de refonte, réforme, restructuration, réorganisation, redressement, remaniement, recomposition ou promesse électorale? Hé oh! Quelqu’un peut-il en expliquer les tenants et aboutissants? À moins qu’il s’agisse d’une utopie pour masquer une incapacité d’agir sous le couvert de la gestion de crise. Une impression de déjà-vu!
Pendant ce temps, le système souffre d’obésité administrative morbide et de cécité organisée. Considérant ce qu’il en coûte en contribution collective, un plan d’action concret s’impose au gouvernement qui se dit pragmatique.
Un pas vers la décentralisation?
Pour paraphraser Armstrong, je dirais : «Un petit pas pour le gouvernement, un grand pas pour les Québécois».
Selon Henri Fayol, précurseur du management, «plus les managers et leurs subordonnées sont efficaces, plus les décisions stratégiques et opérationnelles peuvent être décentralisées, et inversement». Autrement dit, laissons à ceux qui connaissent le mieux les besoins, de décider et d’agir. «Quant à la manière de faire, que chacun soit maître à bord», disait Charles de Gaulle.
La protectrice du citoyen l’a déjà exprimé : les structures décisionnelles trop éloignées des milieux de pratique ont entraîné des délais d’intervention trop longs et, dans certains cas, une incompréhension des besoins et des directives. Cela a mené à un véritable cafouillage sanitaire et administratif, avec son lot de décès et de tragédies.
Nul doute alors que la promesse du gouvernement Legault de décentraliser le réseau de la santé résonne bien aux oreilles des régions. D’autant plus que la décentralisation vient avec son lot d’avantages potentiels : meilleure efficience dans l’allocation des ressources en raison de la prise en compte des besoins locaux; plus grande conscience de la population à l’égard du coût des décisions collectives et meilleur éclairage de ses choix; capacité d’innovation grâce au degré d’autonomie; retour de la légitimité démocratique et reconnexion avec les centres décisionnels, participation des organisations du travail locales aux décisions, etc. Cela dit, nous sommes loin de la coupe aux lèvres considérant l’ampleur des travaux impliqués, des coûts et calendriers de réalisation et de l’absence de garantie politique pour ce faire.
Dans la cour du MSSS
Pour l’heure, il presse au gouvernement de revitaliser cette mégastructure bureaucratisée à l’extrême et déconnectée, qui bouffe la plus grande part du portefeuille gouvernemental!
Un défi majeur confié par le ministre de la Santé à Daniel Desharnais, gestionnaire des communications, formé en histoire et en sciences politiques. Celui-là même qui jouait dans la même cour sous le précédent gouvernement. Peut-être bien qu’à l’aide d’une équipe aguerrie, il atteindra la cible si on lui en laisse le temps. Cependant, gare à ne pas répéter les erreurs du passé, ce qui guette tous les gestionnaires, y compris ceux qui se font les promoteurs du changement.
M. Desharnais s’inspirera-t-il des propos de l’économiste Joanne Castonguay, rapportés dans Les affaires en 2012 : «Nos médecins et infirmières travaillent moins qu’ailleurs. Par conséquent, les Québécois reçoivent moins de services que les autres Canadiens et il en résulte une apparente pénurie de ressources humaines. Aussi faudrait-il développer des indicateurs de la valeur obtenue en santé pour chaque dollar investi». Autrement dit, notre système de santé n’était ni efficient, ni efficace, ni économique.
Une décennie plus tard, Mme Castonguay, maintenant nommée commissaire à la santé par le présent gouvernement, ne semble pas juger que le système de santé a besoin d’un grand ménage; que sa structure n’a pas besoin d’être allégée, tout comme elle ne voit pas de problème à ce que le directeur national de santé publique porte un chapeau de subordonné au sein du MSSS, malgré l’indépendance que suggère sa fonction. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la commissaire, lorsque jadis elle recommandait au gouvernement de s’associer à des professionnels issus d’autres domaines, comme à des économistes notamment, pour contribuer au développement de solutions en santé. Souhait exaucé!
Vivement le rapport indépendant de la protectrice du citoyen qui propose une culture de l’efficacité en santé, basée sur des indicateurs de résultats obligatoires : qualité, pertinence des soins et des coûts, satisfaction des patients, etc. Autant d’indicateurs, qui pour l’heure n’existent pas, soi-disant que la médecine repose sur une obligation de moyens et non de résultats.
Pour un meilleur avenir
Bienvenue à l’œil averti de Marc-Nicolas Kobrynsky, propulsé dans une nouvelle unité administrative du MSSS, créée sur mesure. Un pro de l’efficience, qui dans un passé pas si lointain, passait au crible l’appareil gouvernemental avec comme seul objectif l’atteinte de résultats pour les citoyens. Actuellement joueur de première ligne à l’intérieur de l’arène, quel score attribue-t-il à son nouvel employeur? Et comment s’y prendra-t-il pour améliorer la gestion du système, voire pour en implanter un nouveau sur la base des problèmes largement dénoncés et à solutionner? Difficile à prédire étant donné la force des pouvoirs extérieurs et pressions politiques.
À l’écoute des mains tendues
Selon le dicton, «les seuls à aimer le changement sont les bébés mouillés». Non pas si on en juge par les nombreux porte-paroles qui tendent la main pour aider à la transformation du réseau : les FIQ, FTPQ, SCFP, CPQ, etc. Voire autant de médecins et de travailleurs tous azimuts qui ont proposé leur apport, dont le personnel infirmier qui sait mieux que personne comment remanier le système parce qu’il en subit l’inefficacité, témoin du gaspillage, du délestage de soins et de sa pitoyable technologie vieille de 40 ans.
Dans cette même perspective, saluons le Dr Karl Weiss, président de l’Association des médecins microbiologistes infectiologues du Québec, selon qui le monde entier devrait tirer des leçons de cette endémie, puisque le virus ne disparaîtra pas. Il faudra apprendre à vivre avec en ayant désormais une réserve stratégique d’équipements.
Voilà un discours sécurisant à rediriger illico vers la Dre Lucie Opatrny du MSSS, selon qui «nous n’aurons pas d’autres choix que de donner des soins B au lieu de A+», en référence à la pression que subit plus que jamais le système de santé.