«Présenter des œuvres historiques, dans un musée, c’est une chose. Créer un pont avec ce qui se fait aujourd’hui, c’en est une autre», a affirmé d’entrée de jeu Annie Gauthier, directrice des expositions et des relations internationales au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).
Dès jeudi, les visiteurs du pavillon Lassonde auront ainsi l’occasion d’admirer huit œuvres de Paul-Émile Borduas (1905-1960). Ces tableaux qui ont, tout récemment, fait leur entrée dans la collection nationale grâce au don de Michael J. Audain et son épouse Yoshiko Karasawa.
Bien qu’au cœur de cette nouvelle exposition, les toiles de Borduas ont été installées à travers les créations d’autres artistes, sur les cloisons de la salle. Alors que certains reconnaîtront à l’œil le style du peintre, d’autres seront guidés par la scénographie qui ne distingue ses œuvres que grâce à de grands murs rouges.
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Au fil de la visite, on se laissera donc voyager entre les échos de Grenouille sur fond bleu créée en 1944, dans l’atelier d’Ozias Leduc, et ceux de l’installation textile Peau noire, masques blancs de Michaëlle Sergile — traduction critique du texte contre le racisme de Frantz Fanon. Entre Figures schématiques (1956), qui rappelle l’importance de la période noir et blanc chez Borduas, et l’installation Dérive d’Alain Paiement illustrant des glaces qui dérivent sous le pont de Québec.
Chargées de sens, les œuvres de Nadia Myre résonnent elles aussi dans cette salle. Avec un extrait de son projet Indian Act, l’artiste de descendance anishinaabe recouvre de perles blanches le texte de la Loi sur les Indiens et de perles rouges le blanc de la page imprimée.
Pour Anne-Marie Bouchard, il est clair que Les énergies latentes rassemble, finalement, des voix engagées; des artistes qui ne craignent pas d’aborder des enjeux politiques d’actualité. Tout comme l’a fait Borduas de son vivant.
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«Cette exposition est engagée, politique et presque éditoriale d’une certaine façon. […] Tous ces artistes-là partagent un élan libérateur ou une volonté de changer les choses avec leur propre langage. Toutes les personnes exposées ont toujours eu une approche politique dans leur création», explique la conservatrice de l’art moderne (1900-1949) au MNBAQ, en entrevue au Soleil.
D’où le titre de l’exposition d’ailleurs, souligne Mme Bouchard. Celle qui se passionne pour Borduas depuis ses études en histoire de l’art souhaitait mettre de l’avant «les énergies latentes» de ses toiles.
Si le terme nous provient de la thermodynamique et définit le changement de la matière entre deux états, on l’utilise ici au sens figuré. Pour faire référence «aux changements d’état de la matière et aux polarités multiples qui s’expriment dans la création et la pensée de Paul-Émile Borduas».
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Un hommage malgré tout
Il est vrai que, avec Les énergies latentes, le MNBAQ met davantage l’accent sur le dialogue entre Borduas et les six autres créateurs, soit Dominique Blain, Michel Campeau, Nadia Myre, Alain Paiement, Jean-Paul Riopelle et Michaëlle Sergile.
Or, l’organisation profite aussi de l’occasion pour souligner l’importance de cet homme au Québec, tant d’un point de vue artistique que politique. La description de ses toiles remet d’ailleurs largement en contexte l’époque durant laquelle elles ont pris forme et rappellent la vision créatrice de Borduas.
Si le Québec se souvient ainsi de Borduas pour son rejet de l’académisme ou encore l’écriture du manifeste Refus global, le MNBAQ souligne quant à lui son influence sur la jeunesse.
«Moi, ce qui m’a toujours touché chez Borduas, outre la qualité de sa peinture et de ses réflexions, c’est la dimension généreuse et sans compromis de son approche. Il était généreux de son temps avec les générations suivantes. Il a enseigné à l’École du meuble de Montréal, a toujours eu la volonté de partager sa pensée», estime Anne-Marie Bouchard.
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Présent lors de la visite de presse, Michael J. Audain a quant à lui qualifié Borduas de «héros culturel». Pour le collectionneur britanno-colombien qui s’intéresse aux révolutions sociales, il est nécessaire de souligner l’importance du peintre dans l’histoire québécoise.
«L’art de Borduas a longtemps été révolutionnaire en soi. Puis, au fil des ans, il a été associé à des mouvements intellectuels qui ont conduit à la Révolution tranquille. Pour moi, c’est fascinant.
«J’ai également collectionné les œuvres d’art moderne mexicain qui étaient associées à la révolution des années 20. Je vois en ces peintures de grandes significations sociales, politiques et intellectuelles», affirme en entrevue au Soleil le mécène qui s’est d’ailleurs dit très «touché» de visiter l’exposition.
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Un don important
«Ravi» de voir ces huit toiles «de retour à la maison», M. Audain estime qu’il était de son devoir de les ramener au Québec : «Mon épouse et moi avons le privilège de vivre momentanément avec les œuvres que nous collectionnons. Ensuite, nous aimons les partager avec le public canadien.»
Le directeur général du MNBAQ, Jean-Luc Murray, a d’ailleurs qualifié de «cadeau inestimable» le don de M. Audain et de Mme Karasawa à son institution.
L’organisation ne s’en cache pas : la collection d’œuvres de Borduas appartenant au Musée national des beaux-arts du Québec était «défaillante». Ces huit nouveaux tableaux viennent ainsi la compléter.
«La collection que nous avions ne nous permettait pas de rendre justice à Paul-Émile Borduas. La volonté d’accueillir ses œuvres a toujours été là, mais les occasions ne se sont pas présentées. Ce sont des toiles qui sont rares [sur le marché]. […]
«J’ai fait l’exercice de placer chaque toile donnée à travers notre collection et tout vient s’imbriquer. Ce que nous avons aujourd’hui est donc vraiment représentatif [de sa carrière]», explique Anne-Marie Bouchard.
Les énergies latentes. Paul-Émile Borduas au présent est présenté au Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’au 24 avril 2022. Info : www.mnbaq.org
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Les curieux qui ont envie d’admirer ces œuvres devront toutefois être patients encore quelques semaines. Les huit tableaux se retrouveront au cœur des Énergies latentes. Paul-Émile Borduas au présent. Une exposition qui ouvrira ses portes le 24 février prochain, et ce, jusqu’au 24 avril.
Les créations d’autres artistes seront alors mises en dialogue avec celles du peintre décédé en 1960. On compte notamment les œuvres de Nadia Myre, Michaëlle Sergile, Michel Campeau, Alain Paiement, Jean Paul Riopelle et Dominique Blain.
«Mon épouse et mois apprécions depuis longtemps les œuvres tardives de Borduas, que nous considérons comme un grand maître et un visionnaire. Par cette donation, Yoshi et moi voulons souligner l'audace, le courage et la quête de la liberté artistique absolue de cet artiste. Ses peintures étaient à la fois novatrices et captivantes. [...] Bien que les œuvres nous manqueront, nous sommes enchantés de retourner une part importante du travail de Borduas à son Québec natal», a souligné M. Audain.