Danielle Dussault: Ces ponts intangibles qui unissent

Pendant deux mois, l’autrice Sherbrookoise Danielle Dussault a déambulé dans les rues de Prague pour y découvrir, à l’aide de ses sens, l’univers tchèque. Un séjour qui a donné naissance à son dernier ouvrage, le recueil de nouvelles Les ponts de Prague.

« Dans l’ennui, tout peut arriver. Quand on s’autorise à perdre son temps, l’inattendu peut survenir. »


C’est avec l’idée d’adopter l’ennui et la déambulation comme mode de vie que l’autrice Danielle Dussault s’est installée en banlieue de la capitale de la République tchèque pour y écrire Les ponts de Prague.

La trentaine de nouvelles rassemblées dans ce recueil ont été écrites lors d’une résidence d’écriture en janvier et février 2020, juste avant que le monde change.

« On sentait déjà l’urgence dans l’air. J’ai été chanceuse, car les résidences ont ensuite été annulées », explique la Thetfordoise d’origine qui vit à Sherbrooke depuis un an et demi. 

L’été précédent, l’autrice avait chanté, avec une centaine de choristes, le Requiem de Mozart à Vienne, Strasbourg et Prague. « J’ai profité de cette occasion, qui était par ailleurs magique, pour faire une approche auprès de la Maison de la littérature de Prague et j’ai finalement participé, le dernier soir de la tournée, à une activité littéraire où j’ai lu des extraits de mes œuvres. » 

Un premier contact était donc fait quand un appel de candidatures a été lancé pour une résidence de création. Elle a levé la main. « J’ai été choisie avec une écrivaine de Lettonie. Au départ, je devais m’installer dans l’appartement où est né Kafka, mais finalement, je me suis retrouvée dans celui de l’écrivain et journaliste Ladislav Mnacko, qui a fait partie de la Résistance contre le régime nazi. »

Sur les pavés têtes-de-chat

À la lecture des nouvelles, on voyage à distance dans les librairies et les cafés de Prague. En marchant sur les pavés tête-de-chat, on emprunte parfois une de ces rues fréquentées surtout par les Pragois et les touristes qui « savent les trouver, à la condition de se perdre ». 

Les nouvelles sont remplies de phrases magnifiques telles que : « Votre présence a une qualité de transparence ». Ou « si un jour vous désirez vous souvenir de ce qui s’est passé, vous devez d’abord vous confier à l’oubli ». Et « il te regarde avec ses yeux de fille oubliée au centre d’un chaos bien ordonné ».

Le lecteur traverse aussi des ponts, comme l’indique le titre de l’ouvrage. Des ponts en pierres, comme le célèbre pont Charles qui relie la Vieille Ville au quartier de Malá Strana, au pied du château de Prague. Mais surtout des ponts humains entre l’étranger et soi-même, des ponts entre la vie et la mort qu’un livre peut bâtir, des ponts entre les époques.

« Je continue de croire qu’il y aura un lendemain et qu’un pont nous unira au-delà du temps », écrit-elle.

Dans cette ville étrangère, l’autrice s’est positionnée comme témoin silencieuse, observant les étrangers qui y étaient chez eux. « J’ai tenté d’appréhender l’univers tchèque avec les sensations, avec le corps. Je trouve intéressant de procéder ainsi en littérature, car ce n’est plus de l’ordre mental : on avance, progressivement guidé de tous les sens », note celle qui a signé une quinzaine d’ouvrages depuis ses débuts, dont L’alcool froid, qui a remporté le prix Alfred-DesRochers en 1994. 

« Lors de mon séjour, je marchais 10, 15 ou 20 kilomètres par jour tout en essayant de capter des scènes de la vie quotidienne et aussi en faisant de la projection, c’est certain. Accompagnée parfois de traductrices dont j’ai fait la connaissance, j’ai découvert la ville de Kafka. »

De lui, son recueil a conservé l’étrangeté. « Je me suis inspirée de cette étrangeté, des coins sombres ou cachés de cette ville. C’est un univers qui est onirique et mystérieux. »

Journaux volés

Le noircissement de journaux intimes est le pont par lequel Danielle Dussault est arrivée à l’écriture lorsqu’elle était toute jeune. « Il y a eu une rupture dans mon éducation. Après avoir fait mon primaire en français, on m’a envoyée à l’école anglaise au secondaire. C’est pour garder contact avec ma langue française que je me suis mise à l’écriture. » 

Après avoir grandi à Thetford Mines, elle vient étudier à l’Université de Sherbrooke.

« À mon arrivée, il y a eu un cambriolage dans mon appartement. La quinzaine de journaux que j’avais écrits ont été volés. C’est à ce moment que j’ai commencé à écrire pour être lue et non pas juste pour moi-même », raconte l’autrice, et choriste à ses heures, dont le sujet de maîtrise en littérature était la voix.

« La voix est vraiment mon thème de prédilection. Une voix personnelle et intime qui s’adresse aux lecteurs », souligne celle qui a longtemps enseigné au Cégep de Thetford Mines.

Vous voulez lire?

  • DANIELLE DUSSAULT
  • LES PONTS DE PRAGUE
  • NOUVELLES
  • Lévesque Éditeur
  • 144 pages