Selon les historiens Marc Desjardins et Yves Frenette, dans le livre Histoire de la Gaspésie, Richard Bonnycastle, géologue amateur, confirme l’existence de pétrole dans la région en 1831. Il s’agit de suintement de surface. En 1844, un vrai géologue, William Logan, avance que les dépôts de pétrole trouvés dans les vallées des rivières Saint-Jean et York sont exploitables commercialement.
Selon un modèle répété jusqu’à récemment, les gouvernements subventionnent directement ou indirectement la recherche du pétrole. La Gaspé Fishing and Coal Mining, la Gaspé Bay Mining, la Gaspé Petroleum Company, la Gaspé Lead Mining et l’International Oil s’activent autour de Gaspé.
Les premiers puits sont forés à compter de 1860, à partir des suintements. Environ 60 puits sont ainsi creusés avant 1900, mais les résultats sont commercialement insuffisants. La firme anglaise Petroleum Oil Trust Company en tire une petite quantité entre 1889 et 1903, après 42 puits.
Au début du 20e siècle, 22 autres puits sont forés «à l’aveuglette», dit-on dans Histoire de la Gaspésie. Sur papier, après William Logan en 1844, une douzaine de personnes rédigent divers rapports entre 1883 et 1943. La première étude géologique sur le pétrole gaspésien n’est publiée qu’en 1950.
Il y a ralentissement des forages entre 1903 et 1940. Avec la Deuxième Guerre mondiale, ils sont relancés. En 1943, un puits de 772 mètres est foré dans le canton Galt, puis trois autres dans le même secteur entre 1946 et 1948 par la Gaspé Oil Ventures. En 1959, l’Associated Developments réalise aussi des forages.
Les années SOQUIP, Pétrolia et Junex
Le choc pétrolier de 1973, une fausse pénurie venant notamment de la volonté des pays exportateurs et des compagnies de hausser les prix, relance l’exploration en vertu des tentatives venant d’une nouvelle entité publique, la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP).
Divers travaux d’exploration sont réalisés jusqu’aux années 1980. La SOQUIP évalue comme faible le potentiel gaspésien. Des experts réfutent ce constat. À la fin des années 1990, la collecte d’information est relancée.
En août 2004, Hydro-Québec démarre un forage pétrolier à quelques centaines de mètres du réputé parc fossilifère Miguasha, site du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Largement dénoncé, le projet n’ira pas plus loin.
Pétrolia, alors de Rimouski, réalise des levés séismiques en 2005 et localise du pétrole à Haldimand, un secteur de Gaspé. La firme évoque un scénario optimiste de 8 millions de barils récupérables. Après un forage au début de 2006, les gens de Pétrolia distribuent à des élus et à des journalistes des fioles de pétrole de Haldimand 1. Junex démarre aussi ses travaux sur la propriété Galt en 2005.
Pétrolia fore Haldimand 2 puis Tar Point 1 à l’automne 2009, et elle continue en 2010. En 2011, la firme obtient des permis pour mettre en production Haldimand 1 et Tar Point 1 avant de réaliser au début de 2012 un test «d’injectivité», un procédé chimique, au puits Haldimand 1. Le test hausse la production quotidienne de 10 à 40 barils.
Pétrolia, détenue notamment par des intérêts suisses et britanniques, travaille désormais avec Québénergie, filiale de SCDM Énergie, de France. Ces partenaires acquièrent l’intérêt de Junex dans Haldimand pour 3 millions $. Pétrolia et Québénergie parlent de soutirer 20 000 barils par jour d’Haldimand, un autre scénario optimiste, à partir des 8 millions de barils jugés récupérables.
Le contexte périclite en juin 2012 quand Pétrolia veut forer Haldimand 4, situé à 350 mètres de certaines maisons. Des citoyens manifestent et craignent l’impact de la fracturation hydraulique. La firme dément ce scénario, mais concède qu’elle forera horizontalement.
Le 19 décembre 2012, la Ville de Gaspé adopte son règlement sur la protection de l’eau potable, invalidant ainsi Haldimand 4. Pétrolia gagne toutefois en cour en 2013 contre Gaspé et finira par forer ce puits.
Pétrolia amorce en 2012 des forages sur la propriété Bourque, près de Murdochville. La société publique Ressources Québec constitue le partenaire principal. Quatre puits seront forés à Bourque entre 2012 et 2017, dont deux à Bourque 1. Sur les 32 M$ dépensés à Bourque, 21,2 M$ viennent de Ressources Québec. Pétrolia amorce aussi des forages à l’île d’Anticosti à la même époque, avec d’autres partenaires, dont Junex.
En septembre 2016, Junex dépose une demande d’exploitation à Galt, à cause d’un essai de production concluant au puits 4.
En 2017, la firme albertaine Pieridae acquiert Pétrolia, pendant que Cuda Oil and Gas, également albertaine, achète Junex en 2018. En septembre 2019, Cuda vend son actif québécois à Gaspé Énergies, une filiale de Ressources Utica, qui veut aussi obtenir un permis d’exploitation pour Galt 4.
En juillet 2017, Philippe Couillard, alors premier ministre, annonce la fin de l’aventure pétrolière à Anticosti.
«Gisements marginaux»
En décembre 2017, Le Soleil publie un dossier sur le pétrole gaspésien. Denis Lavoie, de la Commission géologique du Canada, y affirme : «Je ne crois pas que la Gaspésie va devenir la nouvelle Alberta. Les roches sont bien différentes. En Alberta, les roches sont plus jeunes, donc elles ont un plus grand potentiel d’avoir conservé les hydrocarbures». Le juriste Richard Langelier craint d’autre part que l’État tente de se refaire en Gaspésie, après l’échec d’Anticosti. «Dans toutes les provinces à l’est du Québec et en Ontario, on a interdit la fracturation. Le Québec s’inscrit dans une logique des provinces pétrolières comme l’Alberta avec des gisements marginaux.»
Le 20 septembre 2018, la Loi sur les hydrocarbures entre en vigueur, deux ans après son dépôt. Le gouvernement Couillard la qualifie de modèle. La suite prouvera sa vulnérabilité.
Du 1er au 3 mars 2021, Gaspé Énergie plaide en cour sa requête pour faire annuler une décision du ministre Jonatan Julien de refuser un permis de forage au puits Galt 6. Le procès révèle que Ressources Québec, une entité publique, veut investir de nouveau 8 M$ à Galt.
Le 21 avril 2021, Le Soleil révèle que Pieridae poursuit le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles pour 32,2 M$ pour avoir mis fin à l’exploration pétrolière à Haldimand.
Le 12 novembre 2021, la Cour du Québec donne raison à Gaspé Énergie et stipule que le ministre Julien s’est servi d’un règlement, l’article 23, qui n’avait pas été adopté de façon conforme par le gouvernement Couillard. Le tribunal estime aussi que les arguments du ministre étaient mal étayés.
Le 2 février 2022, Jonatan Julien dépose le projet de loi 21 pour bannir l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures au Québec. Il prévoit 100 M$ pour indemniser les firmes avec des permis valides et fermer les puits.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/JQS36ZN465HXFCIVR3QWGR66L4.jpg)
+
200 M$ EN 15 ANS POUR 19 000 DE BARILS DE PÉTROLE
Les sommes investies dans l’exploration pétrolière en Gaspésie et à l’île d’Anticosti entre 2005 et 2020 s’élèvent à environ 200 millions $ pour obtenir peu de pétrole, 19 000 barils.
À Anticosti, plus de 100 M$ ont été dépensés pour zéro baril de pétrole, dont 92 M$ du gouvernement du Québec, incluant une réserve de 30 M$ pour fermer les puits creusés par les partenaires privés et 62 M$ d’indemnités.
Pétrolia-Pieridae ont aussi dépensé 62 M$ dans 10 puits forés à Haldimand (3), Bourque (4), Tar Point, Wakeham et Le Ber en Gaspésie. Les 30 M$ dépensés à Haldimand ont livré 1200 barils, à Haldimand 4, en 106 jours de test en 2016, pour 11,3 barils par jour. Dans le cas des trois puits de Bourque, les 32 M$ ont donné 120 litres de pétrole!
Junex a dépensé 32 M$ dans la propriété Galt pour 17 798 barils.
Résultat : le coût du baril extrait s’établit à environ 10 526 $. Le prix actuel du baril atteint environ 130 $ canadiens. Chaque baril accuse un déficit de 10 400 $.
De plus, le bras financier de l’État, Investissement Québec, a perdu au moins 9,5 M$ de valeur boursière à Galt, et 21 M$ dans les projets de Pétrolia-Pieridae, pour 30,5 M$. Gilles Gagné (Collaboration spéciale)