Je l’ai sorti dimanche matin.
J’allais rejoindre une quarantaine de téméraires qui, eux, avaient sorti leurs espadrilles pour parcourir cinq kilomètres dans les sentiers de la Clinique du coureur à Lac-Beauport, une course qui n’a rien des courses dont on entend parler d’habitude, une course où les participants se foutent de leur vitesse.
Ils peuvent courir tout le long s’ils veulent, marcher des bouts, même s’arrêter pour regarder un écureuil grimper à un arbre.
C’est Nathalie Bisson qui leur a donné rendez-vous en ce dimanche polaire de février, comme elle l’a fait pendant 100 semaines, pendant 100 dimanches, depuis le début de cette foutue pandémie. Quand le premier ministre Legault a mis le Québec sur pause et nous a assignés à demeure, elle a décidé de faire sortir le monde.
Son premier rendez-vous était évidemment virtuel, elle s’est connectée à l’heure dite le dimanche matin quelques minutes avant le départ pour fouetter le moral des troupes. Elle a remis ça le dimanche suivant, ça ne devait durer que quelques semaines de toute façon avant que tout redevienne comme avant.
Dimanche, c’était son 100e dimanche.
Et chaque dimanche depuis le début de la pandémie elle était là avec son cellulaire à la main, se connectant avec des gens un peu partout au Québec qui avaient l’impression d’être moins seuls. Nathalie a baptisé ses sorties du dimanche «seuls et ensemble», elle n’a manqué aucun rendez-vous.
Comme Lise qui n’aurait raté pour rien au monde le dernier dimanche. «Je suis là depuis deux ans. J’étais là toutes les semaines, mais une fois où j’avais le genou fendu, je l’ai marché. Je n’avais jamais couru l’hiver et le plus que j’avais couru, c’est un 15 kilomètres. Là, j’ai fait deux marathons. Je ne savais pas que j’étais capable!»
Des marathons dans le même esprit que les courses du dimanche, à son rythme, qui varie d’une fois à l’autre.
Cet esprit-là, je vous en ai déjà parlé – j’ai même écrit un livre avec Nathalie là-dessus –, c’est le Pace du bonheur, «pace» étant le terme employé par les coureurs pour mesurer leur cadence, pour se comparer. Dans le Pace de Nathalie, on avance au rythme auquel notre corps va. Parce que Nathalie, atteinte de polyarthrite rhumatoïde sévère depuis presque 20 ans, a dû apprendre à écouter son «body», et elle en a fait une philosophie de vie.
Elle en a fait un mouvement aussi, des milliers de personnes qui se sont mises à s’activer, à bouger, qui pensaient qu’elles n’en étaient pas capables. Son mantra est tout simple «un pas à la fois, droit devant, jusqu’au bout».
Se fixer des objectifs, les atteindre.
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Dimanche matin, en plus de la quarantaine de courageux qui était au départ du cinq kilomètres, plus de 400 adeptes s’étaient branchés sur la page Facebook de Nathalie pour courir avec elle. C’est son téléphone en main qu’elle les a motivés comme elle l’a fait pendant 100 dimanches. «Vous êtes ma fierté, ma gratitude». Elle a salué les fidèles. «Allô Caroline! Allô Ginette! Allô les Îles-de-la-Madeleine, Rimouski!»
C’est moi qui ai donné le départ, le bidule sonore était gelé.
Et ça tombait au fond, ce froid sibérien pour ce dernier dimanche, parce que ça fait également partie de ce que répète Nathalie : on se fout de la météo. Parce que c’est si simple, quand on cherche une excuse pour ne pas sortir, de blâmer Dame nature. «On est sortis tous les dimanches peu importe le temps qu’il faisait. J’ai réussi à briser le mythe des mauvaises températures.»
Qu’il pleuve, qu’il slushe, qu’il vente, qu’il grêle, les coureurs étaient au rendez-vous. Ce qui devait ne durer que quelques semaines aura finalement duré presque deux ans. Elle a choisi un chiffre rond, 100, pour mettre fin à l’aventure. «L’habitude est créée maintenant. Le timing est parfait, les gyms ouvrent, je dis : “gérez-vous maintenant”!»
Elle n’arrêtera pas pour autant de propager son Pace du bonheur, entre autres avec un parcours aux Îles-de-la-Madeleine cet été, et un troisième marathon qui devrait cette fois se tenir bel et bien à Rimouski, en personne, le 11 septembre.
Elle croise les doigts.
À la fois «fébrile et triste» en ce dernier dimanche, Nathalie se console en lisant les messages et en regardant les vidéos que lui envoient des adeptes d’un peu partout pour lui témoigner leur reconnaissance. Pour certains, elle a changé le cours de leur vie, rien de moins.
Lise, pour cet ultime départ dominical, avait apporté pour la remercier 84 cupcakes qu’elle avait cuisinés, sur lesquels elle avait mis le nombre 100.
Comme on dit, le bonheur, c’est comme le gâteau, si t’en veux, fais-toi-z-en.