«Au fond, je dis que je parle de maternité, mais mon livre aborde très peu ce sujet directement. J’écris sur ce qu’il y avait avant, ce qu’il y a autour. Toute ma vie à moi qui continue et qui n’a rien à voir avec les enfants. La maternité, c’est aussi ça.
«Tous les jours, on fait des choses qui font que nous sommes une mère, mais ça ne veut pas dire qu’on se transforme uniquement en mère», affirme l’écrivaine française, en entrevue au Soleil.
Toucher la terre ferme plonge ainsi dans l’intimité de Julia Kerninon, sous la forme tantôt d’une autobiographie, tantôt d’un essai. Avec cet ouvrage littéraire, l’autrice fait donc le pari que la maternité ne nous change pas. «On devient simplement plus intensément soi-même», écrit-elle.
Au fil des pages, les lecteurs auront l’occasion de voyager à travers certains de ses souvenirs, de sa jeunesse à aujourd’hui. Ils tangueront entre l’adolescente qu’elle était et la femme qu’elle est devenue, entre les épreuves et les expériences qui marquent l’existence, les amours fous qui la transcendent. Puis les enfants qui s’y glissent doucement, naturellement.
On le comprendra assez vite : «l’éternelle culpabilité d’être mère», «la peur de mal faire», «les ambitions démesurées», tout ça n’a pas élu très longtemps domicile sous le toit de Julia Kerninon. Avec un nouveau bébé, il était évident pour elle que ses objectifs de perfection devenaient complètement surréalistes et impossibles à rencontrer.
«Ma vie est devenue beaucoup plus simple. Les enfants m’ont cadré et ont brisé une partie de mon orgueil.»
Avant, j’essayais d’être la femme enceinte parfaite, la jeune mère parfaite. Je ne disais pas que j’avais mal, que j’étais fatiguée.
«La personne que je suis maintenant est beaucoup plus honnête, détendue. Aujourd’hui, j’admets qu’il y a des trucs que je ne sais pas faire, que je ne veux pas faire», raconte la trentenaire qui, en devenant maman, a senti sa vie se simplifier davantage.
Julia Kerninon ne s’en cache toutefois pas : l’arrivée des petits a modifié bien des éléments dans son quotidien. Réorganiser la maison, l’horaire, les nouvelles charges qui s’accumulent, défendre sa liberté, son envie de travailler, tant de choses avec lesquelles elle et son conjoint ont dû jongler.
Représentation équitable
Or, avec Toucher la terre ferme, l’écrivaine souhaite amener un discours différent dans la littérature, une forme d’espoir. Pour elle, il est important de nourrir nos imaginaires d’une position nuancée ou simplement autre, qui se tient loin du conte de fées avec de beaux nourrissons roses et joufflus, mais qui s’éloigne aussi du récit angoissant qui ne montre que le corps déchiré, l’isolement social ou encore les impacts négatifs de bébé sur la vie de couple.
«Je trouve ça capital qu’on réussisse à avoir une littérature où les genres sont représentés de façon équitable. Après, pour l’instant, il y a de plus en plus de femmes qui parlent de sujets féminins, comme la vie après l’accouchement, de façon dramatique. […]
«Je ne veux pas minimiser ces cas, mais je m’oppose clairement à une description de ces réalités qui soient toujours du côté du drame», explique l’autrice de Liv Maria, qui déplore notamment que l’on perçoive souvent l’addition enfant/couple, dans les fictions, de façon négative.
«On sait bien à quel point la représentation du quotidien dans l’art infuse notre vie réelle. Si tous les livres du monde nous disent que le couple s’arrête avec les enfants, eh bien! c’est ça qu’on va faire!» ajoute l’écrivaine.
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Écrire librement
Autobiographique, Toucher la terre ferme s’intéresse donc aussi au métier de Julia Kerninon. Au fil des pages, l’autrice réfléchit ainsi sur l’impact de la maternité sur son travail, sur son art.
Doit-on être entièrement libre pour être écrivaine?
Tant qu’on ne souhaite pas correspondre à ces auteurs qui suivent leur inspiration et composent la nuit, le cerveau pétillant sous l’effet de diverses substances, on peut très bien concilier les vies d’artistes et de famille, souligne en riant Julia Kerninon.
Si la charge mentale peut effectivement nuire à l’imaginaire, l’écrivaine estime qu’il est nécessaire en tant que mère de déléguer certaines tâches au père et de cultiver un laisser-aller sur des choses qui ne font que semer des inquiétudes inutiles.
Mais au-delà de l’écriture, la littérature teinte aussi les pages de Julia Kerninon grâce à ses lectures. Les mots de Ted Hughes, Rainer Maria Rilke, James Joyce ou encore Shakespeare parsèment l’ouvrage.
«C’est comme ça que je pense, à travers les livres. […] La littérature, c’est ma clé de compréhension du monde. Sans en faire quelque chose de trop poétique, mais quand je m’occupe des enfants, il y a des poèmes ou des morceaux de romans qui résonnent dans ma tête. Ça m’accompagne tout le temps.
«Lire Emily Dickinson ne m’apprend pas comment élever des enfants. Évidemment! Mais je baigne là-dedans et, parfois, la littérature permet de rééquilibrer ou d’éclairer une situation trop prosaïque», conclut l’écrivaine, qui possède un doctorat en littérature américaine.
Toucher la terre ferme sera offert en librairie dès le 8 février.