Souvenirs de l'attentat de la Mosquée: «Je suis plus fort que jamais» [VIDÉO]

(Le Soleil, Frédéric Matte)

À l’approche d’un anniversaire déchirant, des membres de la communauté musulmane ont accueilli les médias jeudi, à l’endroit même où 48 balles ont été tirées, cinq ans auparavant.


Ces balles ont tué six hommes, en ont blessé gravement cinq autres et ont ébranlé une communauté entière. 

À l’entrée de la Mosquée de Québec, les portes sont barrées. Un agent de sécurité ouvre la porte et doit identifier les visiteurs. Toute personne qui n’a pas obtenu d’autorisation ne peut pénétrer dans le bâtiment, malheureusement riche de souvenirs douloureux. 

Les caméras sont aussi bien installées, elles filment les allées et venues des visiteurs. Toute cette sécurité n’est pas agréable, mais elle s’avère nécessaire. 

Pour marquer les 5 ans de l’attentat contre la Mosquée de Québec, un artiste local a dessiné le portrait des victimes. Les œuvres sont affichées au mur de la mosquée, à l’endroit même où les hommes ont été tués. Ces portraits seront remis aux familles à la fin de la semaine de commémoration, six veuves et 17 enfants. 

«Entre des murs témoins de beaucoup de violence, on est là pour faire le point, exercer un devoir de solidarité et de mémoire», souligne d’abord le porte-parole du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdallah, qui se veut la voix de cette tragédie depuis 2017. 

La semaine de commémoration de l’événement n’est pas une décision administrative ou technique, il s’agit avant tout d’une décision prise par les familles des victimes. Pour une deuxième année consécutive, la cérémonie se tiendra en ligne, pour minimiser les risques de propagation de la COVID-19. 

«Nous souhaitons que la commémoration ait lieu chaque année, pour ne pas oublier. Le choc est fort et le souvenir est fort», souffle M. Benabdallah, dont la blessure de cet attentat devient de plus en plus sensible à l’approche du 29 janvier.

Ibrahima Barry, Abdelkrim Hassane et Khaled Belkacemi

Cette semaine implique donc des événements de presse et une vigile, mais aussi des rencontres pour discuter de la lutte contre l’islamophobie et du contrôle des armes. L’objectif est d’en parler le plus possible, pour que «plus jamais» Québec ait à vivre un événement semblable à celui du 29 janvier 2017. 

Samedi, seuls les responsables de la mosquée, les animateurs et les journalistes pourront se rassembler devant le centre islamique pour souligner l’anniversaire. La cérémonie sera diffusée en direct sur plusieurs pages Web et réseaux sociaux. 

Québec solidaire 

Depuis 5 ans, la ville de Québec et ses habitants ont su démontrer leur solidarité envers la communauté musulmane, tiennent à souligner les porte-parole du comité citoyen de la commémoration du 29 janvier. 

Ils saluent également de nouveau la décision du gouvernement fédéral, de faire du 29 janvier la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée du Québec et d’action contre l’islamophobie.



Mamadou Tanou Barry, Aboubaker Thabti et Azzedine Soufiane

Des actes de violence guidés par la haine des musulmans existent toujours. Il suffit de penser au 6 juin 2021, où un homme a foncé dans une famille musulmane avec son camion à London en Ontario. Le comité dénonce donc lui aussi le refus de François Legaut d’admettre l’existence du racisme systémique au Québec, explique Maryam Bessiri.

«On a juste besoin de regarder les commentaires sous vos articles pour le voir», exprime son collègue Sébastien Bouchard.

Même en temps de pandémie, pour une deuxième année, les activités de commémoration auront lieu, afin que les discussions difficiles continuent.

Dure guérison

Aujourd’hui, Saïd Akjour est sur ses deux pieds. Il a acheté une nouvelle maison et a rencontré l’amour après une dure séparation. Il a eu de la chance, il y a cinq ans, lorsque la balle s’est logée dans son épaule. Son cœur a été épargné. 

«Ça fait longtemps que je ne suis pas retourné à la mosquée. Ça fait plusieurs mois, mais je rentre et c’est comme si c’était hier. […] Je revois mes frères tombés près de la porte. C’est une grande perte. Mais en même temps, c’est une fierté de réciter ces six noms-là [les victimes]. Les martyrs de notre mosquée, de notre ville, et du Canada au complet», témoigne le survivant. 

À la suite de l’attentat, la mosquée a été agrandie et quelque peu redessinée. La communauté musulmane a maintenant un cimetière pour enterrer ses morts selon ses croyances. M. Akjour voit ces éléments comme de petites victoires, malgré le drame. 

«Je suis encore heureux et content de vivre ici à Québec malgré ce qui s’est passé. Je considère la ville de Québec, une belle ville», souffle-t-il, ému comme chaque fois qu’il aborde le traumatisme du 29 janvier 2017.

Et la justice?

La saga judiciaire de l’attentat de la Mosquée de Québec n’est pas terminée. La cause sur la sentence du tueur sera entendue par la Cour suprême Canada au mois de mars prochain, il s’agit de la dernière étape : une ultime décision à prendre dans ce dossier. 

Alexandre Bissonnette est coupable d’avoir tué six personnes et d’en avoir blessé cinq autres, lors de l’attentat du 29 janvier 2017. Il a été condamné à la prison à perpétuité.

Le dernier débat concerne la période d’inéligibilité avant une libération conditionnelle. Le juge François Huot a imposé une peine de 40 ans de prison ferme, mais avec le cumul des périodes d’inéligibilité lors de meurtres multiples, Bissonnette pourrait passer obligatoirement 125 ans derrière les barreaux, soit toute sa vie. 

«C’est un dossier qui est lourd. La justice n’est pas absolue. Tous les mois qu’on a passés au palais de justice… On revit le moment vraiment chaque fois. Les jugements, l’écriture de la loi… Il faut la justice réparatrice aussi. Du côté de l’IVAC, les choses n’avancent pas», témoigne Saïd Akjour.

Il en veut donc au système qui n’a pas su l’accompagner adéquatement. Pendant des mois, M. Akjour a essayé de contacter un psychologue, sans succès. Il a donc abandonné les recherches et le temps a réparé les choses. Dans l’immédiat, il ne considère pas que la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) s’est bien occupée de son cas. Il ne souhaite pas parler au nom des autres victimes.