Kent Hughes: le Québécois motivé

«[Kent] voit vraiment le hockey d’une autre manière, note son frère Ryan. Il a une passion bien particulière. Il enregistre tous les matchs et ne fait pas que les regarder, il épie les joueurs, décortique leurs réactions, envoie des séquences aux jeunes qu’il dirige.»

Le Montréalais Kent Hughes est devenu le 18e directeur général de l’histoire des Canadiens de Montréal cette semaine. Pour apprendre à mieux le connaître, Le Soleil s’est entretenu avec son frère Ryan, un choix des Nordiques de Québec en 1990. Portrait du nouveau dg du Canadien.


La belle carrière d’agent de joueurs que menait Kent Hughes avant d’accéder à l’une des fonctions les plus prestigieuses dans le monde du hockey n’est pas étrangère à sa personnalité fonceuse. 

Dès son jeune âge, le cadet d’une famille de trois garçons talonnait souvent son frère Ryan pour devenir un meilleur athlète. Dès 9h le samedi matin, Kent entrait dans la chambre du benjamin, tirait ses couvertures, l’attrapait par les pieds et sortait son frère du lit. «Il me disait : “Viens-t’en, on s’en va s’entraîner!” se remémore Ryan. Il le faisait pour moi, mais aussi pour lui. Il a toujours été vraiment motivé. Il aimait répéter : “Ce n’est pas en restant assis que les bonnes choses vont arriver par magie.”»

En novembre, lorsque Kent Hughes a été intronisé au Temple de la Renommée de son ancienne université américaine, le Middlebury College, son entraîneur de l’époque s’est rappelé que lors de son passage comme joueur de 1988 à 1992, Hughes agissait pratiquement comme un entraîneur sur la patinoire.

«Tous les joueurs le regardaient et le suivaient, se souvient Ryan. Il n’arrivait pas en disant : “Je suis intelligent et je sais comment ça marche”, mais il agissait. Il n’avait pas besoin de parler.»

De joueur à agent

C’est au milieu des années 90, lorsque Ryan s’accrochait à son rêve de hockeyeur professionnel chez les Bruins de Providence dans la Ligue américaine, que Kent a décidé de devenir agent de joueurs. 

Il a bûché fort avant de se hisser parmi les agents les plus influents du monde du hockey (11e dans la LNH avec 290 millions $ en contrats en 2021). «Il a eu quelques difficultés au début. Il était endetté en essayant de bâtir sa carrière d’agent, mais je ne l’ai jamais entendu se plaindre une seule fois. Il ne m’a jamais appelé en me disant : “Oh mon dieu, j’espère que ça va fonctionner.’’ C’est le genre de gars qui se dit plutôt : “Je vais tout faire pour réussir.”»

 Les trois frères Hughes, Scott, Kent et Ryan.

Son frère Ryan Hughes, un résident du New Jersey depuis un quart de siècle, l’admire beaucoup. «Nous sommes très proches, dit-il fièrement. Je lui parle presque tous les jours, du moins jusqu’à ce qu’il accepte ce poste, parce que depuis quelques jours, disons qu’il est pas mal occupé!»

Comme le fils de Ryan, Callum, porte les couleurs du programme des moins de 15 ans d’Académie du Mount St. Charles, à une trentaine de minutes du domicile de Kent, Ryan visite son frère presque tous les week-ends. Il était d’ailleurs chez lui lorsque le candidat Hughes a rencontré Geoff Molson et Jeff Gorton la première fois pour le poste de dg. «Nous en avons parlé beaucoup. Je ne dirais pas qu’il m’a demandé conseil, mais j’étais là pour lui.»

Le père de trois adolescents a longuement réfléchi lorsque le duo du CH lui a demandé quel était son mentor dans la vie. «Il m’a dit : “Je n’ai pas vraiment de mentor. J’ai appris beaucoup en observant les gens”. Il m’a parlé de Patrice Bergeron. Il a été marqué par sa grande intégrité.»

Est-il surpris que son frère ait balancé sa carrière d’agent par-dessus bord pour devenir directeur général des Canadiens?

Quand ils l’ont approché la première fois, je ne pensais pas qu’il y irait. Comme nous avons grandi à Montréal, nous connaissons la valeur et le prestige de l’organisation. Il était intrigué par ça.

L’homme de 52 ans aime gagner. Tout le temps. «Il déteste perdre, même aux cartes, sourit Ryan Hughes. Lors de l’entrevue avec le Canadien, il était fier de leur dire qu’il avait remporté un championnat national avec les Eagles Jr de Boston. Il est vraiment compétitif. Je pense qu’il a regardé son parcours en se disant : “OK, j’ai connu beaucoup de succès comme agent, mais ça, ce n’est pas gagner.” Il est vraiment confiant, mais sans être arrogant.»

Un gestionnaire «différent»

Quel type de directeur général sera Kent Hughes? Un gestionnaire «différent», persiste et signe son frère. «Il voit vraiment le hockey d’une autre manière. Je regarde beaucoup de hockey, je suis dans les arénas toutes les semaines [il a aussi été entraîneur] et Kent a une passion bien particulière. Il enregistre tous les matchs et ne fait pas que les regarder, il épie les joueurs, décortique leurs réactions, envoie des séquences aux jeunes qu’il dirige[ait]. On est deux passionnés, mais je ne suis même pas proche de lui.»

Son approche sera différente d’un dg conventionnel. «Ce ne sera pas le genre de gars à dire : “Échangeons le joueur A contre le joueur B car le B est meilleur que le A.” Il va mettre l’accent sur l’identité d’équipe en tant qu’organisation. Il va le faire en parlant avec les joueurs et en comprenant leurs motivations.»

En guise de conclusion, Ryan Hughes a voulu ajouter une dernière chose à propos de son frère Kent. «Si j’avais à choisir un mentor dans ma vie, ce serait définitivement lui».

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LE QUÉBEC D'ABORD

Dès qu’il a compris qu’il avait des chances de décrocher le poste de directeur général du Canadien, Kent Hughes s’est mis à pratiquer la langue de Molière. 

«Il s’est mis à parler français avec tout le monde, moi, sa femme Deena [une native de Montréal qui parle très bien français], et ses clients québécois comme [Kristopher] Letang et [Patrice] Bergeron», raconte son frère Ryan Hughes. 

De l’avis de plusieurs, l’agent devenu DG s’est très bien débrouillé. De son domicile du New Jersey, son frère Ryan a été impressionné. 

Ryan Hughes avec Owen Nolan, le 20 juin 1990.

Ma première réaction a été de me dire que son français était vraiment bon pour quelqu’un qui habite aux États-Unis depuis 25 ans. Il était calme et ne m’a pas semblé nerveux.

Vraiment ? «Il l’était peut-être un peu en raison du français, admet Ryan. Son français était bon, mais dans deux mois, il sera encore meilleur. Il va retrouver les expressions de la place. Nous avons grandi à Montréal et nous savons à quel point le français est important dans la province.»

S’il y a une famille d’Anglo-­Québécois qui connaît bien la réalité linguistique particulière du Québec sur le continent nord-américain, c’est bien les Hughes.

En 1989, Ryan Hughes, qui représentait l’un des meilleurs espoirs de la province, a décidé de quitter le Québec pour l’Université Cornell, aux États-Unis, où il a pu étudier en jouant au hockey. Un an plus tard, les Nordiques de Québec en avaient fait leur choix de deuxième tour au repêchage, leur seule prise en sol québécois sur 11 sélections.

Le choix de Hughes par le ­recruteur-chef du club, Pierre Gauthier, avait fait polémique. «On fait ce qu’on peut, s’était défendu le DG des Nordiques, Pierre Pagé. Soyez assurés que je fais mon possible du côté du talent local.»

Florent Potvin, le recruteur-chef de la LHJMQ, avait qualifié Hughes de «bébé gâté», forçant le président du circuit Gilles Courteau à s’excuser de la maladresse de son employé.

Plus de 30 ans plus tard, Ryan Hughes rit de bon cœur en repensant à la controverse de 1990. «Dommage que les Canadiens ne m’aient pas repêché!» s’esclaffe-t-il. 

 Ryan Hughes dans l’uniforme des Nordiques, le 8 septembre 1993.

Le joueur de centre n’a jamais joué pour les Nordiques, mais il a évolué pour les Rafales de Québec en 1996-1997. «J’ai adoré la ville de Québec. Même si nous avons grandi comme anglophones, je m’y suis senti à la maison.»

L’ancien des Bruins de Boston (3 matchs en 1995-1996) est donc bien placé pour savoir que la place des joueurs québécois chez le Canadien peut devenir un sujet brûlant de l’actualité. 

Les deux Hughes en ont d’ailleurs discuté dans les derniers jours. «On en a parlé. Kent a eu du succès pour recruter des joueurs québécois dans son agence. Il connaît très bien la ligue du Québec. Pas seulement les joueurs, mais il a un très bon réseau avec les équipes et les recruteurs. Il sait aussi que le talent local est presque aussi important pour les Canadiens et leurs partisans que d’avoir une équipe de qualité sur la patinoire, mais tout ça est une question d’équilibre. Je pense que ce qu’ils veulent surtout, c’est que les joueurs portent fièrement l’uniforme.»

Comme Ryan à Québec en 1990, Kent Hughes saura faire face à la musique. «Je ne doute pas une seconde que cette dynamique l’effraie. Il y a plusieurs bons joueurs québécois et il le sait. Je pense même qu’il va vraiment insister là-dessus [sur les produits locaux].»