Ce que nous révèlent les migrations interrégionales

La fuite des grandes villes et l’engouement pour les régions soulèvent un certain nombre de questions qui sont autant de défis.

POINT DE VUE / Exode urbain et repeuplement des régions : des tendances qui s’amplifient. Le rapport de l’Institut de la statistique du Québec sur le bilan des migrations interrégionales 2020-2021 publié le 13 janvier dernier expose des données qui, ajoutées à celles des années précédentes, viennent confirmer des tendances qui bouleversent les dynamiques d’occupation du territoire. Il s’agit de la fuite d’une frange croissante de la population des grandes villes, notamment Montréal, vers d’autres territoires, d’une part, de l’attractivité des villes petites et moyennes et communautés rurales en région, d’autre part. 


Les statistiques présentées dans ce rapport révèlent que l’exode urbain a fait perdre 48 257 personnes à la région administrative de Montréal entre juillet 2020 et juillet 2021 dans ses échanges avec les autres régions, alors que celles-ci enregistraient presque toutes des gains, parfois records. Si l’on considère uniquement le nombre de «sortants», c’est 78 472 personnes qui ont quitté la région de Montréal au cours de la dernière année.

Le phénomène n’est pas nouveau mais il s’amplifie au fil des ans. Pour la période entre 2001 et 2021, c’est 458 173 personnes que la région de Montréal a perdus (1 170 734 sortants contre 712 561 entrants).

Ces départs viennent accroître les effectifs de la couronne périurbaine et les régions limitrophes de Montréal: Montérégie (6299), Lanaudière (8385), Laurentides (12 656), Estrie (8554); mais aussi, et en nombres significatifs, les effectifs des régions intermédiaires et éloignées: Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine (1378), Bas-Saint-Laurent (1597), Mauricie (3493), Saguenay/Lac-St-Jean (1405), Abitibi-Témiscamingue (-205), Côte-Nord (-250). À noter que ces deux dernières régions avaient des bilans fort négatifs en 2001, soient respectivement -2005 et -1868 qui ont considérablement diminué depuis.

Le total des soldes migratoires interrégionaux annuels des sept régions intermédiaires et éloignées, qui était de -9324 pour l’année 2001-2002, a atteint le chiffre positif de 11 086 en 2020-2021, ce qui signifie le passage d’un contexte d’exode à une situation encourageante de repeuplement dont témoigne un écart de gain annuel de 20 410 en vingt ans (de -9324 à 11 086).

Bien que Montréal soit le cas le plus éclatant du phénomène de l’exode urbain, d’autres grandes villes et agglomérations en sont aussi affectées: la ville de Laval (-2073), l’agglomération de Québec (-2081) dans la région de la Capitale-Nationale, et l’agglomération de Gatineau (-1948) dans la région de l’Outaouais.

Les régions et agglomérations aux migrations interrégionales négatives ne sont pas nécessairement en déficit de croissance démographique, car celle-ci est déterminée par deux autres variables: la croissance naturelle (écart entre naissances et décès) et l’immigration interprovinciale et internationale. Cependant, cette dernière a été particulièrement touchée par la fermeture des frontières comme mesure de lutte à la propagation du coronavirus. Les contingents de population venus d’autres régions du Québec ont toujours constitué des apports importants pour l’essor démographique des grandes villes. Mais voilà qu’ils s’amoindrissent tandis que les départs augmentent chez elles.

Et si l’occupation du territoire était en processus de reconfiguration?

Dans les grandes villes, un sentiment de désamour envers le cadre de vie et les conditions de la vie quotidienne est présent chez plusieurs: coût du logement et des loisirs, densité, congestion routière et problème de stationnement, diverses formes de pollution, insécurité dans certains quartiers, bruit, stress, déficit d’espaces verts, etc. Changer de lieu pour mieux vivre (ou vivre autrement) s’avère aujourd’hui possible plus qu’hier. 

Plusieurs secteurs de l’activité économique sont désormais dématérialisés et peuvent s’affranchir de la contrainte de la concentration. 

Par ailleurs, la révolution numérique et les progrès des technologies d’information et de communication permettent le travail à distance, ce qui est à la source du boum du télétravail et de l’élargissement des bassins d’emploi. Dans ce contexte, une appétence nouvelle se manifeste pour la vie en région. Il y a regain d’intérêt pour les villes et villages hors des grands centres, voire éloignés de ceux-ci. On y valorise la proximité avec la nature, un environnement moins pollué, l’accès à une habitation plus vaste et moins chère, un mode de vie plus sain, des conditions jugées meilleures pour élever une famille, moins de congestion routière, plus d’esprit communautaire, etc.

La pandémie s’avère un révélateur au grand jour et un accélérateur d’une tendance déjà présente depuis près d’une vingtaine d’années et qui va en s’amplifiant.

Ces nouvelles réalités ne sauraient être absentes des réflexions qui entourent l’élaboration de la Politique nationale d’aménagement du territoire, d’urbanisme et d’architecture et de la Stratégie de développement économique local et régional. On ne peut construire le Québec de demain avec les modèles et les outils de la société d’hier. Les signes d’un monde qui change obligent à l’anticipation, à l’invention, à l’innovation.

Des défis

La fuite des grandes villes et l’engouement pour les régions soulèvent un certain nombre de questions qui sont autant de défis: 

1. L’exode des grands centres urbains, sans être un phénomène d’exurbanisation ou de démétropolisation, ne peut-il pas être vu comme un délestage propice à une meilleure gouvernance? 

2. Le repeuplement des régions ne porte-t-il pas la perspective d’un rééquilibrage économique et social entre les grandes villes et les territoires pour plus d’égalité et de justice sociale? 

3. L’afflux de nouveaux résidents en région confrontent les municipalités d’accueil à offrir les logements, les infrastructures et les services qui répondent à leurs besoins. Quels moyens à leur disposition? 

4. Quelle vision, quels outils et quel encadrement des autorités locales en matière d’urbanisme et d’architecture pour éviter que les petites villes et les milieux ruraux ne deviennent le nouvel eldorado des spéculateurs et promoteurs urbains, modifiant et compromettant la qualité des cadres de vie?